Rien de bon ne sortira pour les Palestiniens dans les actuels entretiens sur le Moyen-Orient. Pire, beaucoup de mal, sans doute.
Ces négociations menacent d’anéantir le travail effectué durant de longues années par la société civile palestinienne et ses partenaires de la solidarité du monde entier, qui ont œuvré inlassablement pour une paix juste.
Leur travail a été réalisé – principalement – par le biais de campagnes de résistance non violente telle que la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), le Tribunal Russell, et de la montée des protestations populaires, locales et internationales, pour ne citer que quelques tactiques parmi d’autres.
Ce que nous apprenons, c’est que le ministre américain des Affaires étrangères, John Kerry, a présenté aux deux parties un accord intérimaire destiné à « servir de cadre à des négociations continues vers un accord général ».
L’« accord final sur les statuts » reposerait « sur les frontières de 1967 ». Des concessions concrètes, avec de profondes implications, sont exigées de la part des Palestiniens, mais ce n’est nullement le cas pour Israël qui « négocie » à propos de territoires, de droits et de ressources qui appartiennent déjà aux Palestiniens.
Une bonne partie de cette rhétorique est familière, puisqu’il s’agit d’une resucée des accords manqués d’Oslo, dans lesquels on était parvenu à un arrangement qui extorquait des concessions permanentes aux Palestiniens moyennant des promesses de réciprocité israélienne qui ne se matérialiseraient jamais.
Par conséquent, on vend aujourd’hui aux Palestiniens les mêmes mensonges qu’ils avaient achetés voici vingt ans.
Cette fois, les concessions exigées aux Palestiniens équivalent à un abandon complet de nos droits en tant que peuple indigène, en échange des mêmes promesses creuses et d’un peu d’argent de poche en provenance de l’UE et des États-Unis afin de maintenir le statu quo un peu plus longtemps encore, assez longtemps pour modifier en permanence le paysage et achever entièrement la transformation économique, politique et sociale de la population palestinienne pour la plonger dans une impuissance permanente, dans laquelle des divisions profondes, la corruption et la dépendance empêcheront l’émergence d’une résistance organisée et efficace.
Des vérités bien connues
Les détails de l’accord, nous dit-on, « doivent être mis au point entre les parties ».
Mais, ici, il y a des certitudes : l’autodétermination palestinienne ne se réalisera pas à partir de cet accord.
Un État palestinien viable, avec une masse territoriale contiguë restera impossible étant donné les altérations physiques du paysage opérées par Israël via la rapacité de ses vols de terre, sa colonisation et sa « judaïsation » de Jérusalem et de vastes parties de la Cisjordanie. Israël ne cessera pas ses installations de colonies illégales, même s’il les suspend provisoirement.
Les Palestiniens n’auront pas le contrôle de leur espace aérien, de leurs ressources naturelles (par exemple, l’eau, le pétrole, découvert récemment), de leurs frontières ou de leur économie. La ségrégation des routes, des logements et des autobus restera une réalité.
La démolition des maisons palestiniennes se poursuivra.
Le siège de Gaza restera et sera peut-être même rendu plus sévère encore.
Le mur de séparation sera toujours là, avec des tours de guet et des snipers. Israël continuera toujours à bombarder notre monde quand ça lui plaira. Il effectuera toujours des raids nocturnes. Il continuera à terroriser nos enfants.
La détention administrative restera l’un des coûts de la vie pour la jeunesse palestinienne. Notre Jérusalem, à quelques kilomètres à peine, sera toujours aussi éloignée que la lune pour la majorité des palestiniens.
Israël continuera à importer des Juifs étrangers du monde entier et à les installer sur des terres palestiniennes volées, où ils prendront les armes contre la population native palestinienne.
Les primes d’encouragement offertes aux Palestiniens dans les actuels pourparlers sont si insignifiantes et suggèrent que l’Autorité palestinienne (AP) préférera un financement à la liberté.
Il est question d’un « paquet économique sans précédent » et d’autres « concessions », et tout cela équivaut à des anesthésiques passagers. Par ailleurs, il est vraisemblable qu’Israël s’en aille avec la bénédiction palestinienne pour avoir volé la vallée du Jourdain, la terre la plus fertile de Cisjordanie et pour avoir gardé le contrôle des vies et des ressources palestiniennes.
Il est aussi question qu’ils pourraient donner un coup de pouce à leurs visées démographiques racistes – appuyées par le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et par Henry Kissinger, un conseil du WINEP – en transférant sous contrôle palestinien d’importantes proportions de leurs citoyens non juifs indésirables.
Mais c’est dingue ! Leurs objectifs immédiats sont doubles : Porter un coup dur à la solidarité palestinienne croissante et au boycott d’Israël ; et, finalement, gagner de la légitimité en tant qu’État raciste.
L’effet de BDS
La campagne BDS, lancée en 2005 par la société civile palestinienne comme moyen non violent de libération nationale et humaine vis-à-vis de la colonisation et de l’apartheid israéliens, s’est répandue dans la culture traditionnelle, en annonçant des actions mondiales à la même échelle que celle qui a contribué à mettre un terme au système similaire de l’apartheid en Afrique du Sud.
Je crois que ce mouvement populaire des BDS (y compris les actions de solidarité qui s’y rattachent) est le principal facteur qui motive Israël à tenter d’en arriver à l’un ou l’autre accord temporaire avec les Palestiniens, pour l’instant.
Israël panique, et à juste titre, parce que son pouvoir ne réside que dans le royaume du gouvernement et des élites des grosses sociétés.
Israël est sans défense face à la mobilisation de masse appelant à la justice et aux élémentaires droits de l’homme.
Ce fut précisément le cas à la fin des années 1980, quand la première Intifada a touché l’imagination populaire du monde entier.
Même avant la communication de masse et l’information instantanée, les images des enfants palestiniens armés de cailloux et affrontant des soldats et des chars lourdement armés ont commencé à marquer la conscience internationale, menaçant l’image d’Israël en tant que victime, malgré ses excellentes relations publiques et ses campagnes de hasbara (propagande).
Par conséquent, de concert avec les États-Unis, Israël a orchestré la conférence de Madrid, suivie par les accords d’Oslo.
Bien que les Palestiniens aient consenti au douloureux sacrifice de renoncer à réclamer 78 pour 100 de la Palestine historique, acceptant ainsi d’établir un État sur 22 pour 100 à peine de notre patrie, Israël a continué d’agir de mauvaise foi, multipliant les projets de colonies et d’épuration ethnique afin de créer la situation du « fait accompli » qui empêche aujourd’hui toute réalisation sensée d’une État palestinien tel que l’envisageaient les accords d’Oslo.
Non seulement la « diplomatie » d’Oslo a consolidé les terres dont Israël s’est emparé par la terreur et la guerre en 1948 et a créé une nouvelle base à partir de laquelle Israël peut multiplier ses tentatives d’implantation de colonies, elle a également siphonné le réel pouvoir dont nous disposions – la mobilisation populaire – et brisé notre ossature collective en nous donner le faux espoir que la libération était proche.
En retour, nous avons eu une illusion d’autodétermination – une contingence de « dirigeants » élus à vie qui ont contribué à transformer notre peuple fier en une nation de mendiants, dépendants de l’aide internationale pour leur subsistance.
Nous avons continué à assister à la colonisation de nos terres, qui sont désormais des domaines réservés aux seuls Juifs. Et nous avons obtenu une force de police palestinienne bien entraînée qui, loin de protéger les Palestiniens, collabore avec Israël pour réprimer la résistance légitime à la tyrannie.
Après des années de lutte, d’organisation et d’activisme, la résistance palestinienne une fois de plus a frappé les imaginations populaires et la société civile du monde entier – universitaires, activistes, clergé, intellectuels, artistes, syndicats, universités, municipalités,n églises et autres individus et institutions de conscience – se mobilise par solidarité avec les aspirations palestiniennes aux droits de l’homme fondamentaux et afin de réclamer des comptes à Israël pour ses crimes systématiques et incessants contre la population indigène palestinienne.
Mascarade de négociations et haute trahison
Puisque Israël n’a pas d’argument légitime face aux exigences des Palestiniens en faveur de leurs droits de l’homme les plus élémentaires, il tente d’éradiquer les BDS comme il l’a fait avec la première Intifada (tous deux mouvements de résistance populaire non violente), en recyclant la mascarade des négociations.
Alors que le peuple palestinien ne peut être berné une seconde fois, ce genre d’accords intérimaires par contre risquent de jeter de la poudre aux yeux de nos partenaires dans la solidarité.
Et, ainsi, les enjeux sont bien plus importants, désormais.
Court-circuiter l’expansion des BDS pourrait en fin de compte se muer en une cerise sur le gâteau.
L’enjeu réel de l’idéologie de la suprématie impérialiste du sionisme, c’est la reconnaissance par les Palestiniens d’Israël en tant qu’État juif.
De nombreuses personnes se demandent pourquoi c’est un but si important pour Israël. La réponse est simple.
Lorsque les véritables héritiers de la terre, ceux qui y sont nés dans tous les sens du terme – historiquement, culturellement, légalement, génétiquement –, reconnaîtront Israël en tant qu’État juif, ils renonceront effectivement à leurs revendications concernant leur propre patrie.
Comme une propriétaire de maison qui cède officiellement sa maison à un squatter, les Palestiniens accorderaient à Israël la seule légitimité réelle qu’il puisse espérer obtenir. Faire une telle déclaration équivaudrait non seulement à renoncer à notre droit au retour dans un pays que nous venons précisément de sanctifier comme appartenant à la communauté juive mondiale, mais cela signifierait également l’abandon de nos frères et sœurs palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne à leur statut permanent de citoyens de second rang et à une inégalité raciste institutionnelle.
La poursuite des négociations bilatérales dans cet actuel déséquilibre du pouvoir va nous détruire.
Pour reprendre les mots de Richard Falk, « La diplomatie intergouvernementale n’est pas la voie vers une paix juste, mais plutôt un tout à l’égout pour les droits palestiniens. »
On peut pardonner à l’OLP de s’être fait berner par Oslo la première fois (en dépit des avertissements de personnes éclairées comme Edward Saïd). Mais nous conduire dans le même piège utilisant le même langage et les mêmes promesses creuses est totalement déraisonnable.
Au point où nous en sommes actuellement, tout accord intérimaire ne mettant pas totalement un terme à l’occupation israélienne, à l’apartheid israélien (y compris la pleine égalité pour les Palestiniens de citoyenneté israélienne) et excluant le rapatriement des réfugiés palestiniens devrait être considéré comme un acte de haute trahison contre le peuple palestinien.
Publié le 16 janvier 2014 sur Al Jazeera English.
Traduction JM Flémal.
Susan Abulhawa est une femme de lettres et activiste palestinienne, auteur du roman et best-seller international, Les matins de Jénine (Buchet/Chastel 2008). Elle est aussi fondatrice de Playgrounds for Palestine (Terrains de jeu pour la Palestine), une ONG au profit des enfants.
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