Des racistes israéliens s’unissent contre le racisme

Ali Abunimah

Le général israélien Ziv, a gauche, fait l’objet de sanctions de la part des États-Unis pour s’être livré à un trafic d’armes avec les deux camps de la guerre civile au Sud-Soudan. Sur cette photo – une photo manifestement relookée –, on le voit se repositionner en tant que responsable d’une organisation « antiraciste ». (Photo : Israelis Against Racism)

Une nouvelle organisation appelée Israelis Against Racism (Israéliens contre le racisme) affirme vouloir éradiquer la discrimination, mais son fondateur fait actuellement l’objet de sanctions américaines pour trafic d’armes et certains de ses membres présentent un beau palmarès d’intolérance à l’égard des non-juifs et des gens de couleur.

En janvier dernier, l’organisation a organisé un atelier à Netanya, une ville côtière d’Israël.

À la même époque, la maire adjointe Shiri Hagoel-Saidon a déclaré que « le racisme est devenu la peste du 21e siècle et il est profondément enraciné en nous en tant que société, affectant toutes les couches de la population ».

Elle n’aurait pu avoir davantage raison : L’un des endroits où le racisme et la violence rasicte sont le plus profondément enracinés n’est autre que l’organisation Israéliens contre le racisme même.

L’organisation a des partisans puissants, dont certains sont impliqués dans d’importants crimes de guerre et d’autres qui présentent un palmarès choquant sur le plan de l’intolérance.

Pourtant, cela n’a pas empêché Israéliens contre le racisme de se voir offrir, au début de ce mois, un gala inaugural par le président israélien Reuven Rivlin dans sa résidence officielle.

Sanctionné pour trafic d’armes

Le fondateur de l’organisation, Israel Ziv, est un général sous le coup de sanctions de la part des États-Unis du fait que le département du Trésor, à Washington, affirme qu’il a vendu des armes aux deux camps de la guerre civile sanglante au Sud-Soudan.

Selon les autorités américaines, Ziv a utilisé une entreprise agricole « comme couverture à la vente au gouvernement de quelque 150 millions de dollars d’armes, dont des fusils, des lance-grenades et des roquettes portables ».

Il est dit également qu’il avait « prévu d’organiser des attaques de mercenaires contre les exploitations et infrastructures pétrolières au Sud-Soudan, dans un effort de créer un problème que seules sa société et ses filiales auraient pu résoudre ».

Suite au fait d’avoir été porté sur une liste noire en tant que trafiquant d’armes par les autorités américaines, Ziv a également été frappé par le gel de ses comptes bancaires en Israël.

« Il est allé en appel devant un tribunal de district, puis devant la Cour suprême, mais en vain », rapportait le quotidien israélien Haaretz le mois dernier.

« Aujourd’hui, il va en appel contre son inscription sur la liste noire des autorités américaines. »

Ziv a toujours nié avec énergie être un trafiquant d’armes. Il ne recule non plus devant aucun moyen pour intimider les gens qui parlent de ses activités.

En 2017, Ziv a intenté un procès au journaliste David Sheen pour l’avoir mentionné dans un article publié par The Electronic Intifada et le présentant comme l’un des principaux racistes en Israël.

Ziv et Sheen ont conclu l’affaire après que Ziv n’est pas parvenu à prouver la moindre inexactitide dans l’article.

Une célèbre firme de PR (relations publiques)

La réputation de Ziv en a également pris un sacré coup quand des médias israéliens ont révélé comment il essayait de concevoir un plan visant à fixer l’image de Salva Kiir, président du Sud-Soudan, après que les Nations unies avaient découvert que le gouvernement de Kiir supervisait le viol systématique de femmes et d’enfants par ses soldats.

Se pourrait-il qu’aujourd’hui Ziv espère redorer son blason à tout le moins souillé en dirigeant une organisation dont le noble but est de mettre un terme au racisme ?

Ce serait la couverture parfaite, particulièrement du fait que son attention se concentre surtout, au départ, sur les Éthiopiens en Israël, une communauté africaine qui souffre d’une des formes de racisme les plus graves dans le pays.

Cette impression est certainement appuyée par le fait qu’Israéliens contre le racisme a été mis sur pied avec l’aide de Parsi-Zadok Kucik Triwaks, une firme de relations publiques qui a entre autres comme client le ministère israélien de la Défense.

Cette société israélienne de PR se présente comme la « partenaire exclusive » de la célèbre firme Hill and Knowlton de Washington, qui s’appelle désormais Hill+Knowlton Strategies.

Shkedi et Ziv

Eliezer Shkedi, à droite, en compagnie d’Israel Ziv, lors de l’inauguration d’Israéliens contre le racisme. Shkedi commandait les forces aériennes israéliennes au moment de l’offensive de 2006 contre le Liban, qui tua 900 civils. (Photo : Israelis Against Racism )

On a dit un jour que la firme Hill and Knowlton faisait partie du « lobby des bourreaux » en raison de la quantité d’argent qu’elle gagnait en réprésentant un peu partout dans le monde des gens qui violaient les droits de l’homme.

On se souviendra sans doute mieux – ou en pire encore – de la firme en sachant que c’est elle qui a orchestré les faux témoignages au Congrès américain concernant les soldats irakiens qui retiraient les bébés koweïtiens des couveuses, témoignages censés gagner le soutien public en faveur de l’engagement des États-Unis dans la première guerre du Golfe, en 1991.

Pourtant, si Ziv espère qu’une opération « antiraciste » va blanchir son image, il a choisi nombre de personnalités à tout le moins bizarres pour le soutenir.

Soutenu par des criminels des guerre

Selon un document d’Israéliens contre le racisme consulté par The Electronic Intifada, l’organisation a gagné le soutien d’un certain nombre de grosses pointures de l’armée israélienne qui sont impliqués dans des crimes de guerre.

Le document reprend la liste des « membres au service du forum » d’Israéliens contre le racisme. Dans cette liste, on trouve le général Amir Eshel, l’ancien chef des forces armées israéliennes.

Récemment, Eshel a été poursuivi aux Pays-Bas, en même temps que l’ancien chef de l’armée, Benny Gantz, pour avoir commandé un bombardement à Gaza, lequel avait tué six membres de la famille du citoyen hollandais d’origine palestinienne, Ismail Ziada.

Les membres de la famille Ziada faisaient partie des plus de 2 200 Palestiniens tués – en très grande majorité des civils – au cours de l’offensive de 2014 contre Gaza, commandée précisément par Gantz et Eshel.

Les deux généraux ont échappé à toute demande de comptes du fait que, le mois dernier, les juges hollandais ont accordé l’immunité pour les crimes de guerre israéliens commis « à titre officiel ».

Un autre membre du forum est Doron Almog qui, en 2005, a échappé à une arrestation par la police britannique suite à des accusations de crimes de guerre, en refusant de débarquer d’un vol El Al en provenance de Tel-Aviv et qui venait de se poser à l’aéroport de Heathrow.

2 août 2006, Tyr, Liban, Des soldats de l’armée libanaise transportent des housses en plastique contenant des cadavres de civils tués par les frappes aériennes israéliennes. Les funérailles d’au moins 95 civils prévues ce jour-là durent être reportées du fait que la zone continuait à faire l’objet de lourds bombardements israéliens. (Photo : Nikos Pilos ZUMA Press)

En leur compagnie, on trouve également Amos Gilad, un pilier de l’establishment militaire israélien qui a soutenu très activement certaines des mesures les plus répressives à l’encontre des Palestiniens qui protestent contre l’occupation militaire israélienne.

Autre personnage présent sur la liste, le colonel Lior Lotan, qui proposait de kidnapper des Palestiniens et de les utiliser comme monnaie d’échange dans les négociations en vue de la libération de militaires israéliens prisonniers. Les prises d’otages, telles que les propose Lotan, constituent un crime de guerre.

Parmi les supporters repris sur le site internet d’Israéliens contre le racisme, figurent les maires de plusieurs villes et localités israéliennes ainsi que des dirigeants de grosses sociétés, dont Israel Discount Bank et Israel Electric Corporation.

Ils sont rejoints par Eliezer Shkedi, qui commandait les forces aériennes israéliennes de 2004 à 2008, période qui couvrit l’offensive israélienne de 2006 contre le Liban, offensive au cours de laquelle les forces israéliennes larguèrent environ un million de bombes à sous-munitions.

Les attaques israéliennes au Liban, effectuées sans la moindre discrimiation, ont tué 900 civils.

Des racistes peuvent-ils combattre le racisme ?

Peut-être tout cela n’aurait-il rien de bien remarquable si Israéliens contre le racisme avait réellement l’intention de prendre des mesures efficaces pour combattre la discrimination.

Mais son truc principal consiste à presser les gens à signer une promesse officielle de ne pas être raciste, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit à des pratiques institutionnelles profondément enracinées et qui perpétuent des inégalités on ne peut plus flagrantes.

L’Association des Juifs éthiopiens a accueilli l’initiative avec peu d’enthousiasme, faisant remarquer que la lutte contre la discrimination devait

« commencer par le racisme institutionnalisé que l’on recontre dans les couloirs du gouvernement, parmi les décideurs politiques et dans les schémas politiques ».

« Étant donné que la plupart d’entre eux faisaient partie des mêmes institutions qui ont dirigé les mesures racistes contre la communauté éthiopienne »,

a ajouté l’association,

« il est naturel que la liste des personnes participant à cette initiative soulève des soupçons. »

Ce point est souligné par les états de service des « membres du forum » d’Israéliens contre le racisme , dont l’ancien dirigeant de l’opposition, Isaac Herzog, et l’ancien chef de la police, Roni Alsheikh.

Herzog, qui dirige aujourd’hui l’Agence juive d’Israël, a dit des mariages mixtes entre juifs et non-juifs qu’il s’agissait d’une « plaie » qu’il souhaitait éradiquer.

Pendant ce temps, Alsheikh prétendait qu’il était « naturel » que la police se montre plus soupçonneuse envers les Éthiopiens.

Un autre membre du forum est le journaliste israélien d’origine éthiopienne, Danny Adino Abebe. Il a prétendu un jour, sans la moindre ombre de preuve, qu’environ un millier de femmes juives israéliennes, d’origine éthiopienne, avaient été kidnappées et qu’elles étaient détenues contre leur volonté par des demandeurs d’asile africains non juifs.

Cette allégation sans fondement aurait sans aucun doute avivé les flammes du racisme déjà rampant contre les hommes africains.

La cérémonie inaugurale d’Israéliens contre le racisme chez le président impliquait nombre de personnages de profil élevé qui sont montés sur l’estrade afin de signer publiquement l’engagement précité.

Parmi ces personnages figuraient l’ancien vice-ministre de l’Éducation Avi Wortzman, membre du parti du Foyer juif, rabiquement hostile aux Palestiniens.

En 2013, Wortzman et ses collègues de parti ont soutenu le célèbre raciste Shmuel Eliyahu dans sa tentative couronnée de succès d’être désigné comme l’un des deux grands rabbins d’Israël.

Il n’importait pas du tout qu’Eliyahu ait instamment invité Israël à massacrer jusqu’à un million de Palestiniens en guise de méthode pour écraser la résistance sous son pouvoir militaire.

Il avait également justifié les viols commis par les soldats et avait demandé aux juifs de ne pas louer leurs maisons à des Arabes.

Il est évident – bien que cela n’ait rien de surprenant – qu’Israéliens contre le racisme ignore totalement les Palestiniens.

Ces derniers sont de loin les victimes les plus affectées par le racisme étatique israélien, soit en tant que citoyens de deuxième rang ou comme sujets d’une occupation brutale en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, soit comme réfugiés à qui on refuse leur droit au retour uniquement parce qu’ils ne sont pas juifs.

Mais tel est le genre de racisme qui tend à unir Israël.

Un nom plus adéquat conviendrait peut-être à la nouvelle organisation de Ziv – un nom qui mettrait en évidence son absurdité et son cynisme : Racistes israéliens contre le racisme.


Publié le 13 février 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Ali Abunimah

Ali Abunimah est directeur exécutif de The Electronic Intifada.

 

 

Trouvez ici d’autres articles d’Ali Abunimah, publiés sur ce site

Vous aimerez aussi...