Le tribunal militaire israélien condamne le chercheur Ubai Aboudi
Ce mardi 2 juin, le tribunal militaire de l’occupation israélienne à Ofer a condamné le chercheur palestino-américain Ubai Aboudi, directeur exécutif du Centre Bisan de recherche et de développement, à 12 mois d’emprisonnement dans une prison israélienne et à une amende de 2 500 NIS (environ 720 USD).
Aboudi avait d’abord été enlevé par les forces d’occupation isréliennes le 13 novembre 2019, puis il avait été incarcéré dans le cadre d’une « détention administrative », sans accusation ni procès, pendant deux mois, ce qui avait déclenché un tollé international, surtout parmi les hommes de science et universitaires familiarisés avec son travail. Les forces d’occupation israéliennes avaient ensuite transmis son affaire aux tribunaux militaires et sa détention avait été prolongée.
Sa sentence couvrira 12 mois à dater de son arrestation, ce qui signifie que sa libération est prévue pour le mois de novembre 2020.
Aboudi, 36 ans, est marié à l’écrivaine et activiste des droits humains Hind Shraydeh, qui s’est employée sans compter pour la libération de son mari et pour plus de justice en faveur des Palestiniens emprisonnés. Le couple a trois enfants : Khaled, Ghassan et Basil.
Shraydeh a exprimé son indignation du fait de l’emprisonnement injuste de son mari :
« Depuis des décennies, Israël arrête et emprisonne des figures clés de la société civile palestinienne et des organisations des droits humains. Les tribunaux militaires israéliens sont un autre bras encore de la répression des civils palestiniens par Israël. Ces tribunaux sont partiaux, ils n’appliquent pas la loi de façon régulière et ils violent les conventions internationales des droits humains. Israël ne veut pas que les Palestiniens travaillent à la mise en place d’institutions citoyennes, même si elles sont tout aussi socialement orientées et font autant la promotion de l’éducation et de l’égalité des genres, que ce n’était le cas du travail réalisé par Ubai au Centre Bisan de recherche et de développement »,
insiste-t-elle.
« Quant aux Palestiniens engagés par des moyens pacifiques dans l’amendement de notre société, ils n’ont d’autres choix ou opportunités de le faire avec succès. Ironiquement, plus une personne ou une institution fait son travail avec succès, plus elle est ciblée par Israël. La terrorisation par Israël des Palestiniens en tant que peuple et de la société civile palestinienne dans son ensemble et l’incitation permenante par Israël contre tout soutien ou sympathie témoigné par la communauté internationale à l’égard des Palestiniens, font partie d’un processus systématique visant à imposer aux Palestiniens des solutions politiques allant à l’encontre de leurs intérêts et destinées à contrer la justice. »
Avant qu’Aboudi soit arrêté, il avait travaillé avec Scientists for Palestine (Des scientifiques pour la Palestine) afin d’organiser la Troisième Rencontre internationale sur la science en Palestine, qui avait eu lieu du 10 au 12 janvier 2020 au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il dirigeait également des recherches sur les mécanismes utilisés par l’occupation israélienne pour empêcher le développement scientifique palestinien et étouffer la recherche universitaire palestinienne.
Hind a mis ce travail en lumière en tant que cible particulière de la répression israélienne :
« Je crois que les violations des droits humains par Israël sont spécifiquement dirigées contre les Palestiniens ayant des relations fortes avec les organisations internationales qui cherchent à réaliser un changement progressiste et développemental en Palestine. Israël réduit les gens au silence, muselle leur liberté d’expression ainsi que la liberté de se livrer à des recherches universitaires, affaiblit les infrastructures palestiniennes et empêche tout changement positif tenté par les institutions civiles – puis, de façon incroyable, demande »où est le Mandela palestinien ? »
Un tollé international
La sentence du tribunal militaire est venue le lendemain du lancement sur les médias sociaux d’une campagne internationale utilisant les hashtags #Freedom4Ubai (Liberté pour Ubai) et #Science4Palestine (La science pour la Palestine).
Des dizaines d’organisations – dont Samidoun – et des centaines d’activistes du monde entier ont réclamé la libération immédiate d’Aboudi, en éclairant l’injustice de son cas.
Environ un million de personnes ont été touchées via le seul Twitter, outre d’autres campagnes sur les médias sociaux, entre autres sur Facebook et Instagram, et de nombreux appels directs ont été adressés au département d’État à Washington, DC.
Une revendication majeure de la campagne s’adressait d’ailleurs à ce même département d’État des États-Unis et à leur ambassade en Palestine occupée et réclamait que soit mis un terme à leur silence et à leur inaction, et, qu’en lieu et place, ils agissent rapidement afin de faire libérer Aboudi, citoyen américain, qu’ils exigent que les accusations bidon contre sa personne soient immédiatement déclarées nulles et non avenues.
La campagne a également mis en exergue l’injustice des poursuites israéliennes à l’encontre des Palestiniens, soit par le biais de l’« arrestations administratives », un emprisonnement sans accusation ni procès, soit via le tribunal militaire, où les Palestiniens sont fréquemment confrontés à des accusations bidon pour des activités politiques et culturelles qui sont déclarées « interdites » par l’occupation militaire israélienne.
Actuellement, quelque 470 Palestiniens sont en détention administrative et près de 5 000 prisonniers politiques palestiniens croupissent dans les geôles israéliennes.
Les tribunaux militaires israéliens condamnent plus de 99 pour 100 des personnes qui doivent comparaître devant eux, présentant ainsi une mise en scène truquée avec laquelle il est pour ainsi dire impossible d’obtenir la moindre parcelle de justice.
La campagne a condamné le gouvernement américain, qui fournit annuellement 3,8 milliards de USD d’aide militaire à Israël, pour sa complicité dans l’actuel emprisonnement d’un citoyen américain et son procès truqué devant un tribunal militaire qui refuse complètement de se soumettre aux normes internationales de procès équitable.
Elle a également mis en lumière les actuelles tortures et violences ciblant les Palestiniens, hommes, femmes et enfants, emprisonnés, sans oublier de nombreux étudiants ainsi que des universitaires et des chercheurs comme Aboudi.
La campagne coïncide aussi avec les efforts incessants d’hommes de science et de chercheurs internationaux pour réclamer la libération de leur collègue.
Leur fer de lance est Scientists for Palestine (S4P), qui a lancé des pétitions signées par de célèbres savants comme Noam Chomsky et le lauréat du prix Nobel de physique George Smith. La campagne de S4P a mis en exergue les violations par Israël du droit des Palestiniens à la science, droit reconnu internationalement.
Ces pétitions insistaient sur le fait que,
« par conséquent, S4P et les signataires condamnent l’enlèvement et l’incarcération de M. Ubai Aboudi dans les termes les plus véhéments possibles et demandent au département d’État des États-Unis et à l’ambassadeur des États en Israël, David M. Friedman, de mettre un terme à leur silence et d’œuvrer à la libération immédiate d’Ubi Aboudi de la prison militaire ».
Des centaines d’universitaires ont ajouté leur nom à la liste sans cesse croissante des signataires.
Le déni des droits à un procès équitable
Les militants en faveur de la libération d’Aboudi et de la justice pour les prisonniers politiques palestiniens ont également mis en exergue l’enquête actuellement en cours de la Cour pénale internationale et les énormes quantités de preuves citées par les organisations des droits humains éclairant les crimes de guerre et crimes contre l’humanité d’Israël, y compris ses violations concernant les procès équitables, la torture et l’enlèvement de prisonniers politiques et détenus administratifs palestiniens.
Comme le faisait remarquer dans son rapport sur l’affaire Wattan TV, une agence palestinienne d’information : « Les détenus palestiniens sont confrontés à une dure réalité, (…) des décisions qui affectent leurs existences débarquent avec un feu vert émis depuis le sommet de la pyramide politique dans l’État d’occupation. Ces systèmes tentent de briser la volonté des prisonniers palestiniens en les soumettant à des tribunaux bidon, afin de saper leur résilience et leur détermination. Les arrestations peuvent parfois prendre la forme d’une détention administrative arbitraire et injuste, s’appuyant sur des dossiers secrets fournis par les services de renseignement israéliens. Les détenus et leurs avocats n’ont pas le droit d’accéder à ces dossiers. Les ordres de détention peuvent être sortis pour des périodes allant jusqu’à six mois à la fois, mais ils peuvent être renouvelés indéfiniment. »
Le rapport faisait encore remarquer :
« L’occupation achète aussi du temps pour fabriquer des accusations et des preuves bidon reposant sur des allégations, comme dans le cas d’Aboudi. Elles s’appuient souvent sur des confessions obtenues de force sous la torture d’autres détenus, conformément à la »loi Tamir », qui autorise la condamnation d’un prisonnier palestinien dans un tribunal militaire en se basant sur les confessions obtenues par la torture d’autrui et sans preuve externe ni sans les aveux mêmes du détenbu. Dans de telles circonstances, des centaines de Palestiniens sont condamnés chaque année dans les tribunaux militaires israéliens, et ce, à un taux allant jusqu’à 99,76 pour 100. »
Des négociations de peine imposées de force
Par conséquent, les prisonniers palestiniens sont essentiellement forcés de conclure des négociations de peine avec le procureur militaire israélien. Des estimations ont montré que plus de 90 pour 100 des prisonniers palestiniens dans les tribunaux militaires israéliens sont condamnés par le biais de telles négociations de peine.
Du fait que le système constitue une arnaque au détriment des prisonniers palestiniens, arnaque dans laquelle les forces militaires d’occupation israéliennes font office de pouvoir procédant aux arrestations, de procureur et de juges en même temps, il est quasiment impossible d’être acquitté, dans ces tribunaux militaires, sur base d’une argumentation juridique ou en contestant les preuves fournies par l’armée.
Si des prisonniers palestiniens refusent une négociation de peine, ils sont confrontés à des reports d’audience récurrents qui s’éternisent au fil des années, comme ce fut le cas avec Mona Qaadan, qui dut subir des dizaines de ces reports d’audience arbitraires dans les tribunaux militaires. En outre, les procureurs militaires israéliens ont l’habitude de refuser de fournir des preuves pertinentes aux avocats de la défense, en prenant pour prétextes la sécurité et la confidentialité. Et, une fois encore, le système des tribunaux militaires israéliens refuse habituellement d’accorder réparation, dans ces affaires, ce qui ne laisse aux Palestiniens et à leurs avocats aucune opportunité de se défendre.
L’un des cas le plus connus est celui de Mohammed Halabi, le travailleur humanitaire palestinien originaire de Gaza, qui avait rejeté une négociation de peine à propos des exigences du juge dans son affaire, en disant qu’il refusait de reconnaître de fausses allégations. Cela fait trois ans qu’il est en prison, après avoir connu 126 séances de tribunal, dont la plupart ont été des séances reportées, et sans progrès significatif dans son affaire.
Dans de nombreux cas, chaque séance, pour certains prisonniers, implique en outre de très longs et très pénibles trajets à bord de la tristement célèbre « bosta », puisqu’ils sont emmenés au tribunal et ramenés de ce même tribunal à chaque occasion. Ces trajets durent des heures, voire une journée entière : les prisonniers sont attachés par des fers à des bances de métal et, fréquemment, on leur refuse le moindre accès à des installations sanitaires.
Dans de nombreux cas, la sentence imposée dans une telle négociation de peine est bien plus courte que le long processus des audiences sans cesse reportées. Il en résulte que ces retards constituent une forme additionnelle de coercition forçant les Palestiniens à accepter ces négociations de peine, spécialement s’ils souhaitent poursuivre leur existence, s’occuper de leur famille et développer leur travail à l’avenir et ce, en dehors d’une prison israélienne. Tout cela a lieu afin de forcer essentiellement les détenus palestiniens à mettre un terme aux procédures juridiques en vue de recevoir une sentence et une date de libération, particulièrement lorsqu’ils n’ont aucun espoir d’obtenir un procès équitable.
La réponse de Samidoun
Samidoun Palestinian Prisoner Solidarity Network condamne cette dernière injustice à l’encontre du chercheur palestino-américain Ubai Aboudi, une expérience quotidienne dans les tribunaux militaires israéliens.
Nous nous engageons à poursuivre le combat pour la liberté d’Ubai et de tous ses compagnons prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes et à continuer d’affronter la complicité permanente des États-Unis, de l’Union européenne, du Canada et d’autres puissances impérialistes dans la dépossession du peuple palestinien, dans la torture et l’emprisonnement de près de 5 000 prisonniers politiques palestiniens, dont près de 200 enfants, et dans les incessants crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par le régime colonial d’implantation d’Israël en Palestine depuis plus de 72 ans.
En dépit de toutes les injustices imposées à Ubai Aboudi et à ses compagnons prisonniers palestiniens, ils ne sont pas isolés et ils ne sont pas seuls ; ils constituent un exemple de détermination et d’engagement dans la justice qui nous inspire tous, partout dans le monde, y compris lorsque nous luttons contre le racisme à l’égard des noirs, l’oppression policière et les arrestations de masse dans nos villes et communautés.
Il n’est en aucun cas surprenant que le même régime américain, qui s’est bâti sur le génocide des peuples autochtones et sur l’asservissement et l’exploitation du peuple noir, et qui terrorise des peuples dans le monde entier par l’entremise de ses troupes impérialistes, fonctionne également main dans la main avec son partenaire stratégique colonial d’implantation, l’État israélien, afin d’emprisonnier et de cibler les Palestiniens – y compris des citoyens américains et des chercheurs estimés, comme Ubai Aboudi.
Nous ne nous reposerons pas tant que nous n’aurons pas mis un terme à ces systèmes et structures d’injustice, d’occupation, d’apartheid et d’oppression, en Palestine occupée, aux États-Unis mêmes et partout ailleurs dans le monde.
Liberté pour Ubai Aboudi et pour tous les prisonniers palestiniens ! Liberté pour la Palestine, du fleuve à la mer !
Publié le 2 juin 2020 sur Samidoun Palestinian Prisoner Network sous le titre : Israeli military court sentences Palestinian American researcher Ubai Aboudi in new injustice. (Une nouvelle injustice : Le tribunal militaire israélien condamne le chercheur palestino-américain Ubai Aboudi)
Traduction : Jean-Marie Flémal pour Charleroi pour la Palestine
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