Les semences de la résistance : les luttes des fermiers palestiniens
L’UAWC entretient une banque des semences depuis 2003 ; elle y conserve l’héritage des semences palestiniennes rares qui ont été soigneusement transmises d’une génération à l’autre. Ces semences et les sources de nourriture qu’elles produisent ont toute une multiplicité de buts.
Salena Fay Tramel, 24 juin 2020
Ce n’aura pas été une année facile, pour la Palestine, en admettant qu’une telle chose soit possible. Au tournant de la nouvelle décennie, en janvier, l’administration américaine à dévoilé son plan paradoxalement appelé « Deal of the Century », autrement dit, « l’accord du siècle », invitant Israël à annexer unilatéralement environ un tiers de la Cisjordanie.
Mais, en mars, le coronavirus s’est glissé entre les check-points pour entrer à Bethléem, plongeant ainsi des millions de Palestiniens dans le confinement.
Et, en avril, Israël a formé un gouvernement d’unité dans l’intention de procéder à l’annexion immédiate de la vallée du Jourdain, et ce, en violation directe des lois internationales.
Aujourd’hui, à peine quelques semaines avant que cet accaparement de terres ne devienne une réalité en juillet, de nombreux Palestiniens s’inquiètent de ce que la chose pourrait passer largement inaperçue du fait que l’attention du monde se concentre pleinement sur la nécessité de venir à bout du coronavirus et d’infléchir la dégringolade économique.
La Palestine est souvent présentée comme une anomalie dans la politique mondiale. Les apologistes de l’occupation israélienne des territoires palestiniens ont été en mesure de présenter efficacement un discours d’exceptionnalisme en mettant l’accent sur les dimensions relativement minuscules de ce coin chaudement contesté de la Méditerranée et en insistant sur le fait qu’il y existe des divisions religieuses inconciliables.
La lutte contre le Covid-19 a fait montre d’une dynamique similaire, puisque le gouvernement israélien a reçu de vifs éloges pour sa réponse à la pandémie dans ses propres frontières, tout en la laissant déborder sans le moindre contrôle dans les territoires occupés.
Dans le contexte de crise qui a récemment été constitué par le plan d’annexion imminente et par les menaces sanitaires présentées par la pandémie, les mouvements de justice sociale dans le secteur agricole ont porté leurs luttes à des hauteurs nouvelles.
Des éléments clés dans ces tentatives sont la protection des ressources naturelles, telles la terre, l’eau et les semences, ainsi que la reconnaissance de formes multiples de la souveraineté palestinienne.
« Notre réponse à la pandémie du coronavirus a consisté à inviter instamment notre peuple à retourner à ses terres et à les cultiver »,
a expliqué Amal Abbas*, de l’Union des Comités des tâches agricoles (UAWC), un mouvement de producteurs alimentaires à petite échelle représentant quelque 20 000 petits fermiers et pêcheurs en Cisjordanie et à Gaza.
Cette version palestinienne consistant à s’abriter sur place reflète la stratégie plus large de l’UAWC de résistance à l’occupation et à l’annexion, une tâche à laquelle elle est attelée depuis 1986.
Le colonialisme d’implantation, ce processus invasif qui cherche à remplacer une population autochtone par une autre venue d’ailleurs, a son propre ensemble de règles kafkaïennes qui le maintiennent en place dans le système juridique israélien.
Exemple important de ce qui précède, il existe une loi stipulant que, si la terre n’est pas travaillée pendant trois ans, elle devient automatiquement terre de l’État (israélien).
L’armée israélienne est allée jusqu’aux pires extrémités pour incorporer le plus possible de terres palestiniennes « à l’abandon » dans l’architecture de l’État.
Cette loi est utilisée en partie pour justifier l’établissement et l’expansion des colonies israéliennes illégales par le biais d’expulsions violentes, de démolitions de maisons, de confiscations de terres agricoles cultivées et du mur de séparation.
Les défenseurs des droits humains palestiniens s’emploient à inverser ce discours et à empêcher l’ensemble du projet politique qu’il soutient.
Les fermiers et les travailleurs ruraux de Cisjordanie et de la bande de Gaza – exactement comme partout ailleurs – sont depuis longtemps des acteurs du changement social et, pour cette raison, ils font partie des secteurs les plus ciblés de la société palestinienne.
Cette forme lente d’intrusion violente, ainsi que celle plus rapide de l’annexion figurant sur les tables du Parlement israélien avec le puissant soutien américain, placent l’avenir de la Cisjordanie et de ses habitants dans une situation extrêmement vulnérable.
« L’armée israélienne tire parti de notre actuelle situation de détresse et elle accélère ses actions »,
a déclaré Amal.
Certaines des actions les plus visibles entreprises par les autorités israéliennes dans l’actuel contexte de la pandémie ont eu lieu dans la vallée du Jourdain, qui est précisément la zone qu’elles cherchent à annexer.
Cette zone tombe déjà dans la classification de Zone C, ce qui signifie qu’elle fait partie des plus de 60 pour 100 de la Cisjordanie se trouvant sous le contrôle civil et militaire complet d’Israël.
On ne sera sans doute pas surpris d’apprendre que la Zone C est riche en ressources naturelles comme, par exemple, l’eau souterraine ou des terres de culture fertiles.
Non seulement la vallée du Jourdain est sans équivoque le joyau agricole de la Zone C, mais elle a également une frontière stratégique avec la Jordanie et c’est en outre une porte sur les pays arabes du grand Levant.
Les services publics sont très peu développés pour la population à majorité bédouine de la vallée du Jourdain.
C’est pourquoi les mouvements de fermiers et de travailleurs comme l’UAWC tentent de combler cette lacune en fournissant des services élémentaires comme l’eau, les équipements sanitaires, l’enseignement, les semences, l’alimentation et la nutrition.
Mais même ces services sont confrontés à une opposition permanente et agressive. Par exemple, en mars dernier, l’armée israélienne a détruit une clinique d’urgence (de campagne) contre le coronavirus que les Palestiniens étaient en train de mettre sur pied dans le nord de la vallée du Jourdain.
En dépit de ces menaces, l’UAWC et d’autres organisations de masse palestiniennes s’occupent des personnes âgées et des femmes enceintes dans des cliniques mobiles, distribuent du matériel éducatif et de protection et aménagent des potagers sur les toits et des jardins urbains au profit de diverses communautés.
Ce travail de réponse à la crise du coronavirus a connu un beau succès surtout parce qu’il constitue un reflet du genre de travail dans lequel les mouvements sociaux palestiniens s’engagent continuellement tout au long des crises permanentes que fait naître l’occupation militaire.
« Une bonne part de l’excellent travail que nous fournissons pour combattre le virus et résister à l’annexion passe par notre banque des semences »,
explique Amal.
L‘UAWC entretient une banque des semences depuis 2003 ; elle y conserve l’héritage des semences palestiniennes rares qui ont été soigneusement transmises d’une génération à l’autre.
Ces semences et les sources de nourriture qu’elles produisent ont toute une multiplicité de buts.
« Non seulement nos semences indigènes font qu’il nous est plus facile de retourner à notre terre et à la protéger en la cultivant »,
explique encore Amal.
« Elles requièrent peu d’eau et nous protègent du changement climatique ».
Et elle ajoute :
« Et, du fait que tant de personnes sont encore confinées à cause du Covid-19, l’accès permanent aux semences permet aux gens de nourrir leurs familles et voisins lorsqu’il est peu sûr d’accéder à la nourriture sur les lieux où on en la vend habituellement. »
L’UAWC insiste sur l’importance de l’internationalisme et de la solidarité dans la normalisation de la situation critique des producteurs de nourriture palestiniens à petite échelle qu’elle représente.
Elle est membre du mouvement paysan international La Via Campesina, qui a adopté une position forte contre le colonialisme et contre le contrôle de l’agriculture par les multinationales et qui est active dans 81 pays.
Maintenir cette importante relation politique a permis aux activistes palestiniens d’accueillir des échanges très instructifs sur leur propre territoire et de participer à d’autres qui ont lieu à l’étranger.
« En compagnie de La Vía Campesina, nous profitons de l’opportunité qui nous est offerte pour prouver au monde entier que les soins de santé et systèmes alimentaires mondiaux ne fonctionnent pas et nous mettons en exergue notre solution consistant en l’agro-écologie comme alternative au modèle néolibéral »,
explique Amal.
« Nos contributions en tant que Palestiniens au mouvement de la souveraineté alimentaire peut aider les gens à comprendre que l’occupation tourne autour du contrôle des ressources naturelles, exactement comme la plupart des autres saisies de terres »,
résume-t-elle.
Il est certain que la conquête par l’armée israélienne du territoire palestinien a sa propre histoire, mais c’est également une indication des processus coloniaux d’implantation qui ont eu lieu ailleurs, comme dans les Amériques, en Australie et en Afrique du Sud.
Comme cette prochaine phase d’annexion va se dérouler en Cisjordanie, sur la toile de fond gênante de la pandémie, ces connexions sont d’une très grande importance.
Loin d’être une anomalie de la politique mondiale des ressources naturelles, la Palestine l’a réunie tout entière dans un microcosme.
* Le nom a été modifié afin de préserver l’anonymat.
Publié le 24 juin 2020 sur Open Democracy
Traduction : Jean-Marie Flémal