Haidar Eid : « Ce qu’il convient de faire »

 

Haidar Eid : Le but du gouvernement israélien est clair : établir un régime d’apartheid via l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie et, par la même occasion, liquider la cause palestinienne pour de bon. Les Palestiniens doivent reconnaître les erreurs du passé et ne pas accepter de compromis quand ils réclament leurs pleins droits humains.

3 avril 2014. Des enfants palestiniens rassemblés au pied de la barrière israélienne de séparation, dans le village d’Abu Dis, à Jérusalem-Est. (Photo : Saeed Qaq/APA Images)

3 avril 2014. Des enfants palestiniens rassemblés au pied de la barrière israélienne de séparation, dans le village d’Abu Dis, à Jérusalem-Est. (Photo : Saeed Qaq/APA Images)

Haidar Eid, 19 juin 2020

Le gouvernement israélien dirigé par Benjamin Netanyahou a l’intention d’annexer au moins 30 pour 100 de la Cisjordanie occupée. 

En agissant de la sorte, le mouvement sioniste, qui a refusé historiquement les droits nationaux et culturels à la population autochtone de la Palestine, va finalement tuer la solution raciste à deux Etats, préparant ainsi la voie à une forme élargie d’apartheid institutionnalisé et militarisé réunissant les zones de 1948 et de 1967.

Israël a toujours fait savoir clairement que son objectif était d’occuper la terre tout entière d’« Israël », c’est-à-dire la Palestine historique avec, en plus, les hauteurs du Golan syrien. Mais où cela laisse-t-il le peuple palestinien ?

En Afrique du Sud, le régime d’apartheid avait décidé de parquer une partie de la population africaine noire dans les bantoustans, dans le même temps qu’elle allait laisser les autres pourrir dans des townships.

Si seulement ces indigènes avaient accepté leur sort de créatures inférieures, les choses seraient restées inchangées ! Mais tel n’avait pas été le choix des Africains et de ceux qui croyaient en l’égalité. Il n’y eut pas le moindre compromis, à propos de ce droit humain fondamental.

Par contre, en Palestine, nous avons décidé de nous lancer dans des négociations marathoniennes avec les Israéliens dans l’espoir que l’on nous accorderait une « patrie indépendante » pour un tiers d’entre nous seulement, tout en oubliant les droits de deux tiers restants du peuple palestinien, à savoir les réfugiés et les citoyens palestiniens d’Israël.

Feu le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir espérait traîner en longueur, au moins pendant dix ans, les négociations avec les représentants des Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza de 1967. Les négociations durèrent plus de deux décennies et aboutirent à une situation de facto où il est devenu impossible pour les Palestiniens d’avoir leur propre Etat « indépendant » sur moins de 22 pour 100 de la Palestine historique. 

On a dit que feu le dirigeant palestinien, Yasser Arafat, avait compris en 2000, lors du sommet de Camp David, qu’il n’obtiendrait rien d’Israël et qu’on attendait de lui qu’il cède Jérusalem et renonce au droit au retour de 6 millions de réfugiés. En échange, il se serait vu accorder de minuscules parcelles de terre déconnectées les unes des autres et il lui aurait été permis de leur donner le nom de « Palestine ». Et voilà ce que le gouvernement israélien et ses sponsors américains ont décrit comme une « offre généreuse » !

Pendant ce temps, Israël n’a jamais cessé de créer des faits sur le terrain en expropriant de plus en plus de terres, en les annexant aux colonies israéliennes existantes, en construisant un mur de l’apartheid des plus monstrueux, en expulsant de façon extrêmement violente les habitants de Jérusalem de leurs logements et en enfermant en cage deux millions de Palestiniens dans le minuscule ghetto de Gaza.

En fait, ce qui se créait sur le terrain, c’était une réalité à un seul Etat, mais qu’aucun dirigeant israélien ou palestinien ne voulait reconnaître.

Quand on examine cette histoire, on voit clairement quel a été le but des colonisateurs israéliens dès le départ : l’instauration de l’apartheid et, en même temps, la liquidation de la cause palestinienne. Point final.

Dès lors, que convient-il de faire ?

C’est une question à poser aux Palestiniens colonisés suite à l’échec catastrophique de leur choix en faveur des négociations depuis trois décennies, en dépit de l’énorme déséquilibre de pouvoir par rapport aux Israéliens, et ce, pour avoir cru que les Américains et l’Union européenne, sans caractère, allaient exercer quelque pression sur Israël afin de leur accorder un Etat « indépendant ».

Cette possibilité s’est désormais volatilisée, avec le gouvernement israélien de droite qui ne mâche pas ses mots ni ne cache ses intentions : un seul Etat juif entre le Jourdain et la Méditerranée.

Avant tout, nous devons admettre notre échec lamentable en ne parvenant pas à libérer ne serait qu’un seul pouce de la Palestine historique, depuis 1948.

L’émergence de notre révolution contemporaine en 1965 et la formation de l’Organisation de libération de la Palestine un an plus tôt ont été deux moments importants, entre autres, dans la formation d’une identité nationale qui nous est refusée par les colonisateurs sionistes.(*)

Mais, aujourd’hui, il nous faut aller de l’avant. Nous ne pouvons plus nous permettre de flirter avec le sionisme ou avec les régimes arabes réactionnaires. La menace est existentielle et, partant, elle doit être traitée d’une façon qui ne compromettra pas nos droits fondamentaux.

C’est le moment adéquat pour élaborer la création d’un « nouveau » mouvement politique qui s’adressera à un plus grand nombre de circonscriptions que les partis nationalistes traditionnels ; et des organisations politiques progressistes se sont avérées capables de faire mieux, jusqu’à présent. Le problème avec la plupart des forces politiques en Palestine occupée, c’est qu’elles ont capitulé sous la séduction de l’assimilation émanant de l’« idéologie » d’Oslo.

Il est très encourageant de voir un plus grand nombre d’activistes palestiniens adopter une analyse plus claire reflétant une vision capable d’aller au-delà de la solution raciste à deux Etats, en critiquant radicalement l’activisme et les théories nationaliste du passé.

Un bon exemple est la formation de la Campagne pour un seul Etat démocratique qui a des membres dans les trois composantes du peuple palestinien.

Son objectif a été défini très clairement : remplacer le régime d’apartheid par un Etat démocratique aux droits égaux pour tous ses habitants, y compris les réfugiés de retour.

Sa vision est

« une démocratie qui donnera des droits égaux à tous les habitants de la Palestine, qui finira par ramener tous les réfugiés au pays et qui respectera les cultures, les religions et les identités de tous les peuples que comprendra notre société ».

Voilà précisément pourquoi il est d’une importance capitale de situer le discours sur un Etat et BDS au sein de la tradition radicale palestinienne via des liens vers les œuvres de Ghassan Kanafani, Edward Saïd et la gauche antistalinienne.

Nous, en Palestine, nous avons besoin d’un mouvement qui accorde de l’attention à l’éducation politique populaire et qui s’éloigne de la dichotomie hégémonique et factionnelle.

Ce mouvement doit donner la priorité au travail et à l’activisme sur le terrain, ce que les activistes sud-africains ont appelé la « mobilisation de masse » et associer cela à la campagne BDS mondiale, laquelle a déjà reconnu l’intersectionnalité d’un grand nombre de questions actuelles.


Publié le 19 juin sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

Haidar Eid

Haidar Eid

Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.

(*) Lisez à ce propos la série d’articles, publié sur ce site dans la catégorie « La Révolution palestinienne »

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