Pour certains, les Gazaouis ne sont pas des êtres humains

Ceux qui prétendent que le transfert de l’ambassade à Jérusalem s’est fait sans douleur ne pensent pas que les Gazaouis sont des êtres humains

Philip Weiss, 24 juin 2020

Gaza, décembre 2018. Des footballeurs gazouis montrent l’œuvre des snipers israéliens. (Photo : Mohammed Asad)

Gaza, décembre 2018. Des footballeurs gazouis montrent l’œuvre des snipers israéliens. (Photo : Mohammed Asad)

Un argument qui revient sans cesse, ces derniers jours, à propos de l’annexion, dit que « rien ne s’est passé » lorsque les Etats-Unis ont transféré leur ambassade à Jérusalem en 2018. Dans ce cas, pourquoi s’inquiéter de l’annexion de la Cisjordanie ? Les Palestiniens ont beau se lamenter sans arrêt, ils ne se révolteront pas. De quoi s’inquiéter, alors ?

Cet argument escamote l’humanité des Palestiniens parce que, en réalité, les Palestiniens se sont bel et bien insurgés à propos du transfert de l’ambassade.

La Grande Marche du Retour à Gaza avait été initiée pour une bonne part en réponse à la décision de Trump, en 2017, et ces manifestations ont prélevé un horrible tribut en morts et mutilés palestiniens.

Mais, tout d’abord, écoutons certaines déclarations de ces personnes dures d’oreille. Dennis Ross, s’adressant au WINEP (Washington Institute for Near East Policy), le 18 juin :

« [Netanyahou] ne croit nullement aux risques [de l’annexion] (…) “On nous avait prévenus qu’il y aurait des violences si Trump transférait son ambassade à Jérusalem. Rien ne s’est passé.” (…) Ainsi donc, il considère la chose et dit que rien ne n’est passé à ce moment. Tous ces avertissements du style Cassandre étaient exagérés. »

Michael Koplow, de l’Israel Policy Forum, le 4 juin :

« Bien des gens (dont moi-même, d’ailleurs) avaient erronément prédit qu’une des conséquences [du transfert de l’ambassade] serait une violence à grande échelle qui allait créer un véritable compromis entre le redressement d’un tort historique et un inutile gaspillage en vies humaines. Quand la violence prédite n’eut pas lieu, la réaction immédiate fut de pointer du doigt ceux qui avaient mis en garde à propos des inconvénients et de rejeter leurs inquiétudes et leurs analyses comme un stupide enfilage de perles (…) Les prédictions de violence à court terme étaient incorrectes. »

Robert Satloff, du WINEP, en juin :  

« Deux décisions de l’administration Trump (…) ont modifié des décennies de politique américaine mais n’ont pratiquement déclenché aucune vague de turbulence dans le Moyen-Orient – l’annonce en décembre 2017 de l’intention de Washington de transférer l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem et la reconnaissance en mars 2019 des revendications d’Israël concernant la souveraineté sur les hauteurs du Golan, auxquelles Israël avait officiellement étendu sa juridiction en 1981, quatorze ans après avoir ravi le territoire à la Syrie. Les voix partisanes prétendent que, semblablement, une annexion de la Cisjordanie se fera sans grandes réactions. »

Une nouvelle fois, les protestations à Gaza débutèrent en mars 2018 et l’un de leurs buts était de protester contre le transfert de l’ambassade des Etats-Unis.

« Une fois que Trump eut proclamé Jérusalem capitale d’Israël l’an dernier, Ahmed [Abou Artema] déclara que c’était un changement de donne, pour lui et ses amis »,

rapporta Allison Deger à propos de l’un des dirigeants des marches. « Trump », ajouta Ahmed, « était la raison pour laquelle les Palestiniens se sentaient poussés à bout. »

Le jour où les Etats-Unis transférèrent leur ambassade, Israël tua 59 manifestants à Gaza et en blessa 2200 autres.

Des milliers de Gazaouis se rendirent à la clôture à la frontière israélienne, chaque vendredi, en 2018 et 2019, et, au total, les forces israéliennes abattirent et tuèrent 214 manifestants, dont 41 au moins étaient des enfants.

Le bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires en Palestine occupée déclara qu’Israël avait blessé plus de 36 000 Palestiniens, au cours des protestations – 8 000 par des snipers et 17 000 autres par des balles enrobées de caoutchouc et des gaz lacrymogènes.

Un grand nombre de ces personnes blessées souffrent toujours aujourd’hui.

Plus de 7 000 des blessures occasionnées à balles réelles (soit 88 pour 100) étaient des blessures aux membres, suivies par des blessures à l’abdomen et au pelvis. Cent cinquante-six (156) des blessures aux membres ont débouché sur des amputations (126 membres inférieurs et 30 membres supérieurs). Parmi ceux-ci, au moins 94 cas ont impliqué des amputations secondaires, dues à des infections osseuses apparues par la suite.

Les récits que nous avons présentés sur les amputations et les parties de football entre unijambistes ne sont pour ainsi dire pas des aberrations : elles sont typiques de l’expérience de Gaza sur le plan de l’occupation violente.  

Les gens qui prétendent que le transfert de l’ambassade des Etats-Unis n’a provoqué aucune agitation ferment tout simplement les yeux sur ce torrent de souffrance.

Bien sûr, ils ont été aidés par le New York Times, qui avait publié quatre éditoriaux justifiant les tirs sur les manifestants.


Publié le 24 juin 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

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