Grande Bretagne – l’enquête sur le prétendu antisémisme du Labour Party
Le chien de garde officiel de l’égalité au Royaume-Uni n’est pas parvenu à déclarer le Labour Party coupable d’« antisémitisme institutionnel » et ce, après 17 mois d’enquête.
Mais la Commision sur l’Égalité et les Droits de l’Homme (EHRC) a adressé un coup voilé à l’ancien secrétaire du parti, Jeremy Corbyn, dans un nouveau rapport très attendu et qui est sorti ce jeudi.
Asa Winstanley, 29 octobre 2020
Il accuse le parti d’un « échec dans sa direction » lors du mandat de Corbyn et d’« ingérence politique » de son bureau à propos de plaintes pour antisémitisme.
Il accuse deux personnalités travaillistes – dont l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone – de « harcèlement illégal » de personnes juives dotn l’identité n’a toutefois pas été précisée.
« Notre enquête a identifié de graves manquements dans la direction et une procédure inadéquate du Labour Party dans le traitement des plaintes pour antisémitisme »,
peut-on lire dans le rapport.
Mais il ne fait aucune recommandation d’action disciplinaire à l’encontre d’individus. L’actuel secrétaire du Labour, Keir Starmer, avait déclaré il y a plusieurs mois qu’il appliquerait toutes ses recommandations.
La Campagne contre l’antisémitisme – l’un des deux groupes de pression pro-israéliens à avoir dénoncé le Labour auprès de l’EHRC en tout premier lieu – a exigé mercredi que des têtes tombent.
« Les responsables restent dans le parti et il convient de leur demander des comptes »,
a déclaré leur chef exécutif au Guardian.
L’impartialité de l’EHRC a été largement remise en question.
Les gens qui la critiquent – dont Corbyn – affirment qu’elle est trop proche des conservateurs au pouvoir et elles pointent du doigt des personnalités importantes de cette même EHRC qui présentent des liens étroits avec le gouvernement et font également état du refus de l’institution d’agir quand il s’agit de racisme à l’égard des noirs.
L’ancien député du Labour, Chris Williamson, a expliqué à The Electronic Intifada que le rapport était « une importante marche arrière » et que lui-même, Williamson, avait obtenu gain de cause.
Dans sa référence au Labour adressée à l’EHRC, l’an dernier, l’organisation pro-israélienne du Jewish Labour Movement (Mouvement travailliste juif) avait insisté sur le fait que l’institution avait pour devoir
« de forcer le Labour Party de reconnaître que, institutionnellement, il était devenu antisémite ».
Mais il est à remarquer que le rapport final publié aujourd’hui ne fait nullement mention de cette allégation clé – une calomnie très courante exprimée par les groupes de presse pro-israéliens durant les années qui ont suivi la désignation de Corbyn au poste de secrétaire du Labour, en 2015.
« Le coup monté ne tient pas la route », a déclaré Williamson.
« Les graves accusations dont j’ai fait l’objet n’ont pu être étayées et l’EHRC a dû faire marche arrière. J’ai obtenu gain de cause en ma qualité de militant antiraciste de longue date. »
Williamson avait été suspendu du parti en 2019 suite à de fausses allégations d’antisémitisme et, un peu plus tard, il avait démissionné en guise de protestation.
The Electronic Intifada comprend par-là qu’une mouture précédente du rapport comportait des conclusions défavorables à Williamson.
Mais après des interventions des avocats de ce dernier, l’EHRC avait répondu par écrit qu’elle allait supprimer ces conclusions du rapport avant de le publier.
My prediction – The EHRC report will be a disappointment for Zionists etc but they will attempt not show it too much – and make the most of it. Starmer will do exactly that and use it to attempt to change Party rules, which will cover flag waving…
— Jackie Walker – HRH, MP, MBE, ABC (@Jackiew80333500) October 27, 2020
Second prediction for EHRC – those who have been duped will stay duped. Those who were complicit will use what they can. The rest? – it will make more angry. As for most minorities…. they will get the message loud and clear. The hierarchy is official policy, sod the rest.
— Jackie Walker – HRH, MP, MBE, ABC (@Jackiew80333500) October 27, 2020
Le rapport affirme que
« le Labour Party s’est livré à du harcèlement illégal via les actions de son agent, Ken Livingstone »
(à l’époque membre du Comité exécutif national en place), parce que, en avril 2016, il avait fait allusion à une
« campagne de diffamation du ‘lobby israélien’ cherchant à stigmatiser comme antisémites des personnes critiques envers Israël et destinée en même temps à vicier et supprimer le mandat de Jeremy Corbyn à la tête du Labour. »
Livingstone l’a fait, dit le rapport, en défendant le député du Labour Naz Shah, qui avait posté sur Facebook une image « suggérant qu’Israël pourrait être réinstallé aux États-Unis », et un autre message disant « qu’elle assimilait en fait la politique d’Israël à celle d’Hitler ».
Livingstone a toujours nié avoir dit quoi que ce soit d’antisémite. Il a expliqué à The Electronic Intifada que le texte du rapport de l’EHRC ne lui avait pas été adressé avant publication.
Dans une déclaration plus complète qui a suivi la publication du rapport ce jeudi, il a défendu ses actions passées en disant :
« En tant qu’antiraciste tout au long de mon existence, je suis profondément blessé par les accusations qui circulent une fois de plus dans certaines sections des médias, accusations que je rejette intégralement. »
La défense de Shah par Livingstone avait donné suite à une interview sur BBC-radio dans laquelle il faisait remarquer avec à-propos que, au début des années 1930, quand il avait accédé pour la première fois au pouvoir, le dirigeant nazi Hitler « soutenait le sionisme ».
Mais le rapport ne mentionne pas la longue controverse concernant ce commentaire, qui avait valu à Livingstone d’être suspendu à deux reprises par le parti et, pour finir, d’être forcé de démissionner.
Au lieu de cela, il affirme que les messages de Shah étaient « des messages antisémites dans les médias sociaux » et qu’en se contentant de nier qu’ils fussent antisémites, Livingstone se rendait coupable d’« une attitude indésirable à l’égard de l’ethnicité juive », laquelle attitude « avait pour effet de harceler les membres du Labour Party ».
Des conséquences ?
En vertu des lois britanniques, l’EHRC a le pouvoir de forcer une institution comme le Labour Party à proposer un « plan d’action » afin de traiter ses décisions.
Le rapport recommande que le Labour commandite un « processus indépendant afin de traiter et de déterminer les plaintes pour antisémitisme » durant une période non spécifiée « jusqu’à ce que la confiance dans le processus soit rétablie ».
Après une longue demande de la part du Mouvement travailliste juif, Starmer s’est déjà engagé à établir une procédure indépendante en vue de traiter les plaintes pour antisémitisme.
L’EHRC n’a aucun pouvoir de sanctionner des individus.
Mais James Libson, un avocat opérant pour le compte du Mouvement travailliste juif, a déclaré au cours d’un meeting zoom en public de ce dernier, tenu en juin, qu’une décision de l’EHRC citant nommément des individus pouvait ouvrir la voie vers une action juridique contre ces mêmes individus.
« Il peut y avoir des moyens qui permettraient à des personnes à titre individuel de lancer elles-mêmes des procédures [juridiques] contre des personnalités du Labour »,
a déclaré Libson,
« si l’EHRC dit que les personnes en question ont subi un harcèlement, des actes illégaux ou des histoires de ce genre. »
Après avoir déjà joué un rôle majeur en l’évinçant comme dirigeant, la campagne de la « crise d’antisémitisme » montée de toutes pièces dans le but d’éloigner Corbyn du Labour, pourrait bien en même temps concrétiser son principal objectif.
Publié le 29 octobre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
Asa Winstanley est un journaliste freelance installé à Londres et qui a vécu en Palestine occupée, où il a réalisé des reportages. Son premier ouvrage : Corporate Complicity in Israel’s Occupation (La complicité des sociétés dans l’occupation israélienne) a été publié chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine is Still the Issue (La Palestine constitue toujours la question) est publiée chaque mois. Son site Internet est le suivant : www.winstanleys.org
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