Corbyn, battu pour avoir refusé de se défendre contre le lobby pro-israélien

Asa Winstanley, 11 avril 2020

Jérémy Corbyn

Photo : Splashnews (via Electronic Intifada)

Ainsi, nous y voilà. Jeremy Corbyn s’en est allé. Pas avec fracas, mais sur un murmure.

Avec l’attention des médias à juste titre concentrée sur la pandémie du coronavirus, le couverture du départ de Corbyn en tant que dirigeant du Labour le week-end dernier, a été occultée.

En vérité, le sort en était déjà jeté au moment où Corbyn avait annoncé, après le résultat de l’élection de décembre, qu’il allait s’en aller.

Malgré toutes ses imperfections, Corbyn – ainsi que le mouvement populaire derrière lui – représentait la seule et meilleure possibilité d’un changement radical dans ce pays depuis une génération. Aujourd’hui, tout cela s’en est allé et c’est un moment de grande tristesse.

Il marque la fin d’une époque de la politique britannique – et, bien sûr, de la politique mondiale.

Corbyn représentait un défi sérieux à quarante années de consensus néolibéral parmi les dirigeants politiques de l’Occident. À cet égard, même dans la défaite, il avait eu un certain succès. La discours national avait changé irrévocablement – l’austérité avait été sévèrement défaite.

Il est absolument inimaginable, désormais, qu’un homme politique britannique vienne parler de coupes sombres dans les services publics et, plus particulièrement, dans le National Health Service (NHS – Service national de la santé).

Corbyn a joué un rôle central dans l’apport d’un changement dans la façon de parler politique dans ce pays.

Mais ne tournons pas autour du pot, Corbyn a bel et pied perdu l’élection de décembre. On ne peut aller à l’encontre de ce fait, et ç’a été en outre une grave défaite pour la gauche.

Quelle a été la cause de cette défaite ?

Dans la flopée d’analyses rétrospectives déjà parues sur la carrière politique de Corbyn, bon nombre ont examiné la question. Mais très peu ont reconnu une facette majeure, sinon la plus importante, de la défaite de Corbyn : le refus de Corbyn de combattre le lobby pro-israélien.

Au cours des cinq dernières années, ce lobby pro-israélien, allié à l’aile droite même du Labour, a sans relâche dénigré et calomnié Corbyn et son mouvement comme étant antisémites.

C’est une stratégie utilisée depuis des dizaines d’années par Israël et ses lobbyistes, et, s’ils continuent à l’utiliser, c’est tout simplement parce qu’elle continue à fonctionner.

Malheureusement, Corbyn n’avait pas de stratégie pour contrer la chose. En lieu et place, trahi même par certains membres de la gauche travailliste à propos de cette question, il s’est finalement mis à céder.

À contrecœur, il a cédé aux calomnies, présentant à diverses reprises ses excuses pour l’antisémitisme au sein du Labour, alors qu’en fait, cet antisémitisme était pour ainsi dire inexistant – comme toutes les données des sondages l’ont montré tant et plus au fil du temps.

Ces excuses ne servaient à rien. Le lobby pro-israélien en veut toujours davantage. Il voulait que Corbyn s’en aille et il a donc poursuivi sa campagne de diffamation jusqu’au bout.

Un dirigeant de l’un de ces groupes pro-israéliens s’est vanté, dans un coup de gueule étrange figurant sur une vidéo sortie vers les congés de Noël de l’an dernier, qu’ils avaient « massacré » Corbyn.

« Nous l’avons vaincu », avait annoncé fièrement Joe Glasman, de la prétendue Campagne contre l’antisémitisme. « Ils ont essayé de nous tuer », s’était-il excité, mais « nous avons gagné ».

La Campagne contre l’antisémitisme est ainsi nommée de façon très trompeuse. Un appellation plus adéquate serait «Campagne contre les Palestiniens ».

En dépit de ses mensonges au sujet de l’antisémitisme du Labour, Glasman avait raison sur un point : c’est bien le lobby pro-israélien qui a vaincu Corbyn.

Le succès de la campagne de diffamation contre la « crise d’antisémitisme au sein du Labour » va devoir être affronté par la gauche britannique, si elle veut parvenir un jour à changer le pays.

Il n’est pas vrai que le lobby pro-israélien est tout-puissant, en termes objectifs – il ne l’est pas et c’est bien là le côté tragique de la situation. Si Corbyn les avait vraiment combattus, ce sont eux qui se seraient écroulés.

En lieu et place, il a attendu, alors que de bons socialistes et antiracistes comme Ken Livingstone, Marc Wadsworth, Jackie Walker et Chris Williamson se faisaient exclure du parti.

Il n’a même pas empêché le Labour d’adopter la redéfinition dégoûtante de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste – qui confond délibérément campagne de solidarité avec la Palestine et racisme antijuif.

Le sondage effectué par lord Ashcroft après l’élection générale indiquait que la campagne de calomnie avait porté ses fruits, en effet. C’était l’une des cinq raisons pour lesquelles les votants avaient tourné le dos à Corbyn, après ses avancées importantes lors de l’élection de 2017.

Ce sondage montrait également que près de trois quarts des membres du Labour pensaient que la crise de l’antisémitisme avait été « inventée ou largement exagérée ». Cette opinion était même partagée à 92 pour 100, parmi les membres du Momentum (un mouvement de soutien à Corbyn au sein même du Labour, NdT).

Si seulement Corbyn et son équipe avaient prêté l’oreille à leurs propres membres, au lieu de tenter de se réconcilier avec leurs pires ennemis au sein du parti !

Et, ici, nous pensons particulièrement à certains éléments pro-israéliens du Labour, comme les gens du Jewish Labour Movement (JLM – Mouvement travailliste juif) et la députée de droite Margaret Hodge.

Si la gauche britannique espère éviter le sort de Corbyn à l’avenir, elle va devoir tirer des leçons de ce grave revers et ne jamais faire la moindre concession au lobby pro-israélien.

Il n’en aura jamais assez et la gauche britannique serait donc bien mieux servie en rejetant carrément la moindre de ses exigences.


Publié le 11 avril 2020 sur Middle East Monitor
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : Calomnier Ken Loach et Jeremy Corbyn : la nouvelle politique d’intoxication

Asa Winstanley est rédacteur associé à The Electronic Intifada.

asa winstanleyIl est journaliste freelance installé à Londres et  a vécu en Palestine occupée, où il a réalisé des reportages. Son premier ouvrage : Corporate Complicity in Israel’s Occupation (La complicité des sociétés dans l’occupation israélienne) a été publié chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine is Still the Issue (La Palestine constitue toujours la question) est publiée chaque mois. Son site Internet est le suivant : www.winstanleys.org

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