« Vaccination ultrarapide » : Israël oublie la variante palestinienne de l’apartheid

Sur une page entière, [le journal flamand] De Standaard du 28 janvier a publié un article dans lequel l’auteur ne tarit pas d’éloges sur la vaccination utltrarapide qui a lieu en Israël, tout en exprimant son étonnement de ce que, malgré tout cela, une troisième vague se prépare. « En Israël, on redoute d’autres variants encore, tel le variant sud-africain. »

La Palestine doit combattre la pandémie sous une occupation militaire. (Photo : aa.com.tr)

Lode Vanoost, 28 janvier 2021

 « Aucun pays ne se hâte davantage de vacciner sa population qu’Israël. » « Sa population ». Ça fait bien. Voilà au moins un gouvernement qui prend ses responsabilités. Mais il y a une c… dans le potage : « Et, pourtant, la situation en Israël est loin d’être idyllique », après quoi l’auteur jette un œil sur un certain nombre de problèmes dans les soins de santé.

Malgré la vaccination rapide, les experts médicaux s’attendent à une troisième vague. Un hôpital de Tel-Aviv déplore une suroccupation de 116 pour 100. « Les couloirs eux aussi sont bondés. »

Israël, le bon exemple ?

Malgré cela, Israël est un exemple à suivre :

« Aujourd’hui, tout le monde observe Israël de près. En effet, d’autres pays peuvent apprendre de ce précurseur quel est le salut qu’ils sont en droit d’attendre d’un taux de vaccination des plus positifs. Devons-nous conclure des bruits alarmants émanant des hôpitaux israéliens que nous ferions mieux de revoir cet espoir à la baisse ? »

Vient ensuite un survol de la situation. Selon l’article, ce ne peut être imputable aux vaccins, qui sont en effet très fiables.

Le professeur Cyrille Cohen, chef du laboratoire d’immunothérapie à l’Université de Bar-Ilan, voit toutefois un problème dans le comportement de deux « minorités ».

« Le problème, c’est que certaines minorités suivent insuffisamment les règles (du lock-down), là précisément où il y a un niveau de contamination très élevé, lequel alors déborde sur le reste. »

« Il s’agit de deux minorités : un, les Juifs très orthodoxes qui s’obstinent à garder les écoles ouvertes et, deux, la population arabe en Israël. C’est précisément parmi ces groupes que le taux de vaccination est faible, même si, ces dernières semaines, il y a eu un mouvement de rattrapage. »

En Israël, règne l’habitude tenace de ne jamais désigner la minorité arabe par ce qu’elle est véritablement, les Arabes palestiniens, histoire de ne pas mettre trop en évidence le lien qui existe avec les autres Palestiniens.

De Standaard s’étonne en compagnie des autorités israéliennes de ce que, malgré une vaccination ultrarapide, une troisième vague se prépare. L’impact du variant britannique du Covid-19 n’est pas encore connu, mais il reste une incertitude. On craint toutefois encore plus le variant sud-africain qui serait encore plus virulent. Ici, les vaccins existants seront-ils vraiment efficaces ?

Pas d’autre explication possible ?

Consacrer une page entière à Israël sans sortir un seul mot sur l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens requiert une sacrée dose de dissonance cognitive ! Il serait toutefois trop facile d’imputer la chose à un seul membre de la rédaction qui, par hasard, s’est vu confier cette tâche. Le vrai problème est systémique. De Standaard n’est pas le seul des médias flamands (et francophones – ndlr) à filtrer systématiquement toute information sur Israël en un sens flatteur pour le gouvernement de ce pays.

Un nombre d’explications très plausibles de la troisième vague sont totalement passées sous silence, dans cet article. La liste est pourtant assez longue :

-Les Palestiniens avec la citoyenneté israélienne (la minorité « arabe ») sont surreprésentés dans les secteurs professionnels qui restent entièrement au travail même en plein lock-down : balayeurs de rue, conducteurs de bus, gens de maison, éboueurs – ce que nous appelons aujourd’hui les « emplois essentiels ». Ils exécutent des tâches dans lesquelles le contact et le taux de contamination sont bien plus élevés.

-Les Palestiniens israéliens qui bénéficient toutefois d’une formation supérieure sont eux aussi surreprésentés dans le secteur médical, un secteur dont l’activité ne ralentit certainement pas non plus durant le lock-down. Ils soignent surtout leurs concitoyens juifs qui, toutefois, ont bel et bien les moyens de payer leurs soins de santé. Ce personnel lui aussi est donc plus exposé que la moyenne à la contamination.

-Les prisonniers palestiniens des territoires occupés détenus dans les prisons israéliennes ne sont testés que lorsqu’ils sont gravement malades, ils ne reçoivent même pas toujours des soins médicaux appropriés et, en raison de la surpopulation carcérale, ils ne peuvent pas respecter la distanciation physique. Parfois, des prisonniers contaminés sont transférés vers des prisons des territoires occupés. Cette situation dans les prisons israéliennes sévit depuis des dizaines d’années déjà et ce qui se passe actuellement n’a donc rien de neuf. Leurs gardiens, toutefois, sont des propagateurs inévitables de la contamination au sein de la communauté élargie en Israël.

-La même chose vaut pour les soldats de l’armée d’occupation dans les territoires palestiniens. En raison de la nature de leur tâche répressive, ces hommes sont en contact physique fréquent avec des Palestiniens non vaccinés, non testés, dont l’état de santé en général est déjà de toute façon moins bon.

-Quotidiennement, des milliers de Palestiniens non testés font la navette entre la Cisjordanie occupée (mais pas de la bande de Gaza, complètement bloquée) et leur travail, entre autres dans le secteur de la construction où, chaque jour, inévitablement, ils sont en contact direct avec leurs patrons israéliens.

-Les soins de santé palestiniens étaient déjà lamentables, avant la pandémie. Il y a un grave problème de manque de fonds – notamment, parce qu’ils sont bloqués par l’occupant (voir plus loin) – du fait qu’Israël bloque, ralentit ou interdit constamment les importations, et de manque de produits élémentaires essentiels tels les produits désinfectants, les pansements, le matériel opératoire (à Gaza, la situation est encore bien plus dramatique qu’en Cisjordanie).

Depuis les accords d’Oslo, prétend Israël, les soins de santé tomberaient sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne (AP, le gouvernement palestinien qui, selon les conditions de ces accords d’Oslo, ne peut être qualifié de « gouvernement »). Rien n’est moins vrai et ce, pour deux raisons, une raison concrète et une raison juridique.

La situation concrète impute la totalité de la responsabilité à Israël

Dans la pratique, l’AP est totalement dépendante de la bonne volonté de l’occupant israélien pour l’importation d’appareillage médical, tels respirateurs, matériel chirurgical, aiguilles à injection et médicaments. Les médecins et les étudiants ne peuvent suivre de cours à l’étranger, parce qu’ils ne reçoivent pas de visas (ou qu’ils les reçoivent trop tard).

L’exportation de produits palestiniens doit se faire en grande partie via Israël. L’exportation via la Jordanie est bloquée par les douaniers israéliens avec la régularité d’une horloge, ce qui constitue une perte de temps précieux, surtout pour les produits agricoles. C’est Israël, et non l’AP, qui perçoit en outre les rentrées fiscales des exportations en provenance des territoires palestiniens et qui reverse très irrégulièrement ces fonds pourtant d’une nécessité absolument vitale. Souvent il arrive même que ces fonds soient bloqués pendant des années.

L’AP alloue un minimum vital aux familles des prisonniers palestiniens et des Palestiniens qui ont été tués. Israël retient le montant que l’AP y consacre lors du versement des rentrées fiscales palestiniennes, estimant qu’il s’agit d’une « aide au terrorisme ».

Tout cela fait que l’AP n’est pas en mesure d’organiser des soins de santé convenables. Israël ne manque pas non plus d’insister sur la corruption qui sévit dans les rangs de la (petite) classe supérieure palestinienne des territoires occupés. Ce qu’Israël oublie d’ajouter, c’est que cette corruption a lieu avant tout en concertation avec des hommes d’affaires israéliens corrompus (il n’y a pas d’autre voie) et que la corruption en Israël est en plus incomparablement plus étendue (un procès est d’ailleurs en cours contre le Premier ministre Netanyahou en personne, et que ce dernier tente de reporter sine die en restant chef du gouvernement).

Responsabilité juridique

Les Conventions de Genève portant sur les obligations d’une puissance occupante sont on ne peut plus claires. C’est l’occupant qui est responsable des soins de santé de la population vivant dans les territoires occupés. L’occupant peut déléguer cette responsabilité, mais il est et reste le seule responsable de la garantie des conditions dans lesquelles ces soins de santé peuvent fonctionner.

En d’autres termes, les accords d’Oslo ne déchargent pas Israël de son devoir de garantir la santé publique – y compris la vaccination contre la pandémie.

Un apartheid médical

Plusieurs porte-parole politiques en Israël ont confirmé la chose publiquement. Il n’est pas question que la population palestinienne des territoires occupés soit reprise dans l’actuel programme de vaccination. Cet apartheid médical est d’ailleurs aussi vieux que l’occupation même.

Et qu’il s’agit d’apartheid est irréfutable, comme l’a confirmé l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem dans un récent rapport d’enquête. Cet apartheid ne peut être mieux illustré que par le fait que tous les colons israéliens vivant [illégalement, NdT] dans les territoires occupés seront bel et bien vaccinés.

Une vaccination… électorale

Cet apartheid risque désormais de revenir comme un douloureux boomerang dans la face des détenteurs israéliens du pouvoir.

Le 23 mars 2021, tous les citoyens de l’État d’Israël vont se retrouver aux urnes pour la quatrième fois en deux ans à peine. La crise politique tourne entre autres autour des chances de survie de Benjamin Netanyahou, au cou duquel, comme nous l’avons déjà dit, pend un procès pour corruption qui peut signifier à tout le moins la fin de sa carrière politique.

Cette lutte n’est toutefois que l’un des symptômes d’une crise bien plus profonde. Après plusieurs années de réformes néolibérales, Israël connaît une situation historique d’inégalité sociale sans précédent et, en outre, une solution à l’occupation des territoires palestiniens est plus éloignée que jamais.

Bien sûr, Netanyahou se rend compte aussi que l’actuelle vaccination sous apartheid risque d’être une mesure pour rien. Il escompte que les premiers effets favorables prendront encore le dessus le 23 mars, jour des élections. Dans ce cas, les conséquences inévitables sont un souci qu’il conviendra d’aborder plus tard.

L’Autorité palestinienne ne peut se permettre le prix très élevé qu’Israël a payé pour ses vaccins. Dans quelques semaines, une vaccination des Palestiniens pourrait débuter avec, entre autres, des vaccins achetés en Russie.

On peut toutefois se demander si Israël laissera se dérouler sans entrave l’importation de ces vaccins et si l’occupant permettra que l’opération se fasse en toute fluidité pour tous les Palestiniens.

Aux centaines de blocages routiers, les troupes d’occupation israéliennes ont à plusieurs reprises fait attendre pendant des heures des personnes qui devaient subir des opérations d’urgence, de même que des femmes enceintes, avec parfois des consésuences fatales. Cette pratique fait partie de l’amalgame de l’occupation. On peut émettre de sérieuses réserves quant à l’assouplissement de ce régime au cours d’une campagne de vaccination palestinienne.

Quoi qu’il en soit, même si cette vaccination palestinienne pouvait finalement être lancée et se dérouler normalement, l’actuelle différence de temps avec la vaccination en Israël (et dans les implantations coloniales) rend inévitable l’arrivée d’une troisième vague.

La transparence journalistique

L’article du Standaard présente manifestement toutes les caractéristiques extérieures d’une information objective et neutre. Les sources sont indiquées, les porte-parole sont cités, on donne des chiffres. Avec l’emploi sélectif d’un matériel factuel, avec l’abandon d’un certain contexte ou avec le passage à un autre contexte – à partir d’une prise de position établie à l’avance – le journal en arrive toutefois à un résultat qui n’est ni objectif ni neutre.

Un lecteur critique peut et doit constater que le traitement de l’information par DeWereldMorgen.be part d’un positionnement.

Ce site, en effet, ne cache pas que, pour son analyse et ses commentaires sur cette question, il ne se profile de façon « neutre », mais que, au contraire, il se range entièrement du côté du droit international et, plus précisément, des résolutions de l’ONU et de la charte des Nations unies, qu’il reconnaît le droit des peuples à l’autodétermination, le droit à la résistance des peuples contre un occupant colonial et qu’il rejette spécifiquement l’occupation et la colonisation des territoires occupés.

Le journal peut renvoyer à d’autres contributions qui rejettent néanmoins cette situation. Ce sont toutefois des articles d’opinion alors que, dans le cas présent, il s’agit d’un article rédactionnel. De Standaard et d’autres grands médiascar ce journal est loin d’être le seul – ont tout à fait le droit d’avoir leur propre opinion sur cette question. Il est toutefois incorrect de ne pas se présenter comme tel dans les informations mêmes que l’on propose et de se faire passer pour « neutre » aux yeux de ses lecteurs, ce qui n’est aucunement le cas.

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Update 28 janvier. La chaîne publique VRT passe en revue l’article du Standaard, voir Geen land vaccineert zo snel als Israël, en tóch derde coronagolf: hoe komt dat, en wat kunnen wij daaruit leren?  (Aucun pays ne vaccine aussi vite qu’Israël, et pourtant la troisième vague de corona est là. Comment cela se fait-il et que pouvons-nous en tirer comme enseignement ?). Eh bien, nous pouvons apprendre ici, entre autres, qu’exclure six millions de personnes de la vaccination n’est pas une bonne idée. 


Publié le 27 janvier 2021 sur De Wereld Morgen
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : Le vaccin COVID-19 : un autre visage hideux de l’apartheid israélien

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