Témoignages du front (Soheir Assad, Lama Shady) (2)
Le journal As-Safir Al-Arabi a publié des témoignages de militant.e.s qui se trouvent essentiellement à Haïfa. Trouvez ici celles de Soheid Assad et de Lama Shady.
Des témoignages qui nous font mieux comprendre la réalité des Palestiniens de 48, qui se sont soulevés, en même temps que celles et ceux de Jérusalem, de Gaza et de la Cisjordanie, dans toute la Palestine historique.
Nous ne les laisserons pas seul.e.s.
Soheir Assad, avocate, membre du « Groupe des avocat.e.s pour la défense des détenu.e.s », 14 mai 2021.
Il y a eu 38 détenu.e.s à Haifa la nuit dernière. Nous sommes depuis 21 h hier, toujours dans l’attente de plusieurs comparutions, et de les rencontrer pour leur apporter une assistance juridique.
La police tergiverse, en nous empêchant de nous entretenir avec les détenu.e.s, qui sont toujours en interrogatoire sans conseil juridique, des mineurs sont sans accompagnement familial, des blessé.e.s sont laissé.e.s sans soin.
Ce à quoi nous avons assisté dans les derniers jours est affreux, en terme de répression, de brutalité sur les corps des jeunes détenu.e.s pour casser leur volonté, pour nous dissuader. Hier en particulier, l’immiscion des policiers israéliens camouflés en arabes dans la rue était claire. Des enfants de 15 ans sont enlevés, battus, leurs yeux sont bandés, ils sont menacés de violences et même de mort.
Mais cette nuit nous avons également vu l’amour immense pour ce pays de la part de jeunes femmes et hommes, qui est simplement et honnêtement épatant.
Les détenu.e.s viennent de tous les quartiers de la ville de Haïfa et de ses alentours, des esprits courageux dont la détermination est énorme malgré la brutalité. La solidarité, le soutien mutuel, et l’attachement à la défense de notre pays et de nos droits nous remplit d’un espoir que nous porterons toute notre vie.
Vous ne nous casserez pas, ce pays a des braves, des courageu.se.s qui le protègent, et nous ne les laisserons pas seul.e.s.
Réponse à cette petite minorité dont la voix est dissonante
Lama Shhady, architecte urbaniste
Aux nôtres de l’intérieur, à cette petite minorité dont la voix est dissonante mais à laquelle nous devons répondre.
D’abord, je me désole de devoir débattre de ce genre de sujets alors que des massacres sont commis à Gaza. Gaza, ô toi notre cœur meurtri. Nous sommes tellement désolés, et nous essayons de toutes nos forces de continuer à mobiliser la rue alors que vous êtes sous les bombes.
Ce que nous vivons est sans précédent. Nous subissons une guerre de la part de la police qui fait entrer les colons par bus, les protègent, tandis qu’elle réprime nos jeunes et s’introduit dans nos maisons. Les blessés et les arrestations se comptent par centaines. Certaines blessures sont graves, d’autres laisseront des séquelles à vie. Un jeune est mort.
Il est de notre devoir de protéger nos maisons et de ne pas laisser la rue vide. Nous ne devons pas nous terrer chez nous parce que nous avons peur. Ceci d’une part.
D’autre part, j’ai deux mots à dire à ceux qui appellent au « calme », qui dénoncent les « actes de vandalisme » et aux voix « raisonnables » qui passent dans les médias pour s’adresser aux jeunes.
A vos leaders :
Nous ne sommes pas des gamins qui se chamaillent à l’école, et vous n’êtes pas nos parents. Nous ne sommes pas des petits voyous. Nous sommes des personnes porteuses d’une cause juste, et nous faisons face à une des plus importantes attaques dirigées contre nous depuis longtemps. Si vous aviez le moindre sentiment de dignité, vous vous occuperiez à inciter les gens à se révolter contre cette situation, à descendre par milliers pour paralyser le fonctionnement de l’État, à défendre les jeunes hommes et les jeunes femmes qui se font tirer dessus, en plein visage, par la police. Faites porter à Israël, à sa police et à son armée la responsabilité de ce qui se passe, au lieu de nous emmerder avec vos appels au calme. Votre job est de faire de la politique, de politiser cette bataille, de vous mobiliser et de mobiliser l’opinion mondiale. De porter haut notre cause et de parler aux gens qui suivent la propagande fasciste et écoutent l’incitation à la haine des médias israéliens.
Votre job est de permettre aux gens de prendre conscience de leur rôle dans cette vie. De comprendre que notre ambition va au-delà du fait de manger, de boire et de dormir. Que les voitures que nous achetons au crédit ne sont pas plus précieuses que nos jeunes. Votre job est de faire en sorte que, lorsqu’un policier tire sur un jeune dans la rue, qu’il n’y ait plus de retour au calme.
Pour les gens ordinaires :
Pour l’amour du ciel, éteignez la télé israélienne. Cherchez les vraies informations. Demandez aux gens ce qui se passe. Ne soyez pas passifs, apathiques, ne cherchez pas à nous faire peur et n’ayez pas peur pour nous. Sortez de votre bulle, le monde existe en dehors de votre petite personne. Ceci n’est pas une guerre entre Arabes et juifs, ceci est une attaque perpétrée par l’État le plus agressif du monde contre des jeunes désarmés. De deux choses l’une : soit vous êtes du côté de la justice, soit vous n’avez aucun sens moral. Ceci est une épreuve. Des gens meurent. Les conteneurs de poubelles sont remplaçables, grandir ne l’est pas. Vous n’êtes pas contents qu’on bloque les rues ? Venez alors manifester de la manière qui vous sied. Mais venez manifester et lâchez-nous un peu, c’est tout ce qu’on vous demande. Oubliez-nous pendant quelques jours et faites ce que vous avez à faire comme vous l’entendez. Mais juste, ne soyez pas contre nous. C’est tout !
A tous les autres :
Je suis vraiment désolée. J’ai vraiment honte de devoir écrire ce genre de choses. Je sais pertinemment que la plupart des gens ne sont pas comme ça, j’ai vu les jeunes dans la rue, je sais à quel point leur moral est au beau fixe et que nous n’avons plus peur. Nous sommes très nombreux, mais il nous faut leur dire leurs quatre vérités aux leaders qui n’étaient pas au rendez-vous. Après quoi, nous pouvons poursuivre, car nous allons poursuivre. C’est un long chemin mais c’est le chemin de la justice et nous irons jusqu’au bout. N’ayez pas peur. Ce pays est le nôtre et cet avenir est celui des gens que nous aimons.
Publié sur As-Safir Al-Arabi le 16 mai 2021
Ces textes ont été sélectionnés depuis les pages facebook de leurs auteurs et autrices. Eden, Sarra, et Kawthar les ont bénévolement traduits vers le français.
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