Le meurtre de Nizar Banat : Pourquoi les jours de l’AP sont comptés
Le meurtre horrible de l’opposant palestinien Nizar Banat la semaine dernière aux mains des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) n’est rien d’autre que la dernière manifestation de la raison même pour laquelle l’AP a été établie par les Accords d’Oslo de septembre 1993 en tant qu’organe collaborant avec le régime d’apartheid israélien sous le parrainage des États-Unis.
Joseph Massad, 28 juin 2021
Les accords d’Oslo ont été suivis par l’accord du Caire de mai 1994, qui stipulait sous le titre « Sécurité palestinienne » que
« La police palestinienne fonctionnera sous les auspices de l’Autorité palestinienne et sera responsable de la sécurité intérieure et de l’ordre public. Elle comprendra 9.000 policiers, dont 7.000 pourront venir de l’étranger. Les Palestiniens agiront pour prévenir le terrorisme contre les Israéliens dans les zones qu’ils contrôlent. »
C’était l’acte de naissance de la force mercenaire de l’AP, que les Israéliens ont chargée de réprimer et de tuer les Palestiniens qui résistaient.
L’arrangement a été formalisé une nouvelle fois et étendu dans l’accord d’Oslo II, signé à Taba en septembre 1995 et célébré quatre jours plus tard à Washington, sous la supervision du président Bill Clinton et de l’ambassadeur de l’UE, entre autres, au cours de la cérémonie, dans laquelle l’armée d’occupation israélienne a sous-traité la « responsabilité de l’ordre public et de la sécurité intérieure » à « la police palestinienne […] » au-delà de Gaza et de Jéricho, dans la « zone A » de la Cisjordanie .
Les États-Unis et l‘UE (cette dernière au moins depuis 2006) ont entrepris le financement et la formation de la police palestinienne, chargée de réprimer le peuple palestinien et de protéger le régime colonial israélien.
Il semble donc assez remarquable qu’à la suite du meurtre de Nizar Banat par les mercenaires de la police qu’ils ont formés et financés, les États-Unis et l’UE se soient montrés mal à l’aise : le département d’État américain a déclaré que Washington était « troublé » par la mort de Banat :
« Nous sommes très préoccupés par les restrictions imposées par l’Autorité palestinienne à l’exercice de la liberté d’expression par les Palestiniens et par le harcèlement des militants et des organisations de la société civile. »
L’UE, qui a formé et financé les assassins de Nizar Banat, a déclaré être
« choquée et attristée par la mort de l’activiste et ancien candidat aux législatives Nizar Banat suite à son arrestation par les forces de sécurité de l’AP la nuit dernière. Nos pensées vont à sa famille et à ses proches ».
On ne voit pas bien pourquoi les États-Unis et l’UE seraient « perturbés », « choqués » ou « attristés » alors que leurs apprentis ont accompli le travail pour lequel ils ont été créés et pour lequel les États-Unis et l’UE les ont financés et formés depuis le début.
Une réplique de l’apartheid
Les dispositifs de la police de l’AP ont en fait reproduit, et ont peut-être été inspirées, par l’utilisation par l’État d’apartheid sud-africain de la police noire pour réprimer la résistance noire avant 1994, dispositifs qui ont réduit le danger pour la vie des policiers blancs.
La sous-traitance des fonctions répressives de l’occupation militaire israélienne à des mercenaires palestiniens depuis 1993 a été un changement bienvenu pour les Israéliens, qui ont continué à contrôler la terre, les eaux, les frontières, l’économie et les colonies de peuplement juives, bref, tout ce qu’Israël cherchait à contrôler, mais sans avoir besoin de réprimer la résistance palestinienne à elle seule, ce qui avait mis en danger les soldats israéliens et procuré une mauvaise presse à Israël.
Le Premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, a été explicite à ce sujet :
« Je préfère que les Palestiniens se chargent du problème du maintien de l’ordre à Gaza. Les Palestiniens y parviendront mieux que nous, car ils n’autoriseront aucun recours devant la Cour suprême et empêcheront l’Association [israélienne] pour les droits civils de critiquer les conditions de vie sur place en lui refusant l’accès à la zone. Ils y règneront selon leurs propres méthodes, libérant, et c’est le plus important, l’armée israélienne de l’obligation de faire ce qu’ils feront. »
En fait, la fonction répressive de la police de l’AP avait déjà été mise en évidence des mois avant l’arrivée d’Arafat à Gaza en juillet 1994. Trois agents de la circulation autoproclamés des Faucons du Fatah, qui appartenaient à l’aile Arafat de l’OLP, ont ordonné à un automobiliste de Gaza en octobre 1993 de déplacer sa voiture. Devant son refus, ils lui ont tiré dans les deux jambes.
Clyde Haberman, correspondant du New York Times en Israël à l’époque, s’inquiétait de la capacité de la police palestinienne à protéger les colons juifs lorsqu’elle prendrait le pouvoir. Il affirmait que
« lorsque cette force sera mise en place en décembre [1993], elle devra faire ses preuves. Elle devra certainement montrer qu’elle peut faire mieux que les trois agents de la circulation autoproclamés… La police arabe doit également montrer que les Israéliens [juifs] qui vivent et traversent les territoires seront protégés ».
Fort de ce précédent, et alors qu’Arafat et ses collègues qualifiaient d’extrémistes tous les opposants à la capitulation d’Oslo, Hakam Balawi, alors ambassadeur de l’OLP en Tunisie et proche conseiller d’Arafat, promettait à la télévision israélienne de les « écraser ». En novembre 1994, peu après son entrée à Gaza, la police d’Arafat a tué au moins 13 Palestiniens non armés et en a blessé 200 pour avoir osé manifester contre les accords d’Oslo. Lors de sa visite à Gaza au début de 1995, le vice-président américain de l’époque, Al Gore, a fait l’éloge d’Arafat pour avoir mis en place des tribunaux militaires afin de juger les Palestiniens opposés à Oslo.
Le rôle des Etats-Unis
Si la CIA a d’abord formé la police de l’AP en secret, les États-Unis ont ensuite assumé l’entière responsabilité de sa formation. Le lieutenant-général Keith Dayton, qui a été le coordinateur américain de la sécurité de l’AP de décembre 2005 à octobre 2010, a supervisé leur formation et le coup d’État qu’ils ont organisé contre le Hamas démocratiquement élu en 2007.
En 2006, les États-Unis, selon Haaretz, ont commencé à former la garde prétorienne d’Abbas à Jéricho pendant plus d’un mois avec des instructeurs militaires américains, britanniques, égyptiens et jordaniens, et à leur fournir des armes en vue d’une confrontation avec le Hamas pour le démettre de ses fonctions après son élection libre. Le cabinet israélien de l’époque a approuvé le transfert de milliers de fusils d’Égypte et de Jordanie aux forces d’Abbas.
Les Israéliens ont également approuvé une demande américaine visant à ce qu’Israël autorise la brigade Badr – une partie de l’Armée de libération de la Palestine alors stationnée en Jordanie – à se déployer à Gaza. Ces mesures ont été conçues par le général Dayton, qui souhaitait que la brigade Badr serve de « force de réaction rapide à Gaza » à Abbas.
Avant de venir en Cisjordanie , Dayton était occupé à mener la guerre de l’Amérique contre le peuple irakien en 2003. L’Union européenne, quant à elle, finance et forme la police de l’Autorité palestinienne pour les mêmes tâches par l’intermédiaire de son Bureau de coordination de l’UE pour le soutien de la police palestinienne ou EUPOL COPPS depuis 2006.
La fin est proche
Lorsque le président palestinien Mahmoud Abbas a récemment annulé les élections législatives de l’AP prévues pour le 22 mai, Nizar Banat, qui était candidat sur la liste électorale indépendante Liberté et Dignité, a fait appel, avec les membres de sa liste, aux tribunaux de l’UE, notamment à la Cour des droits de l’homme de Strasbourg, afin d’ordonner la cessation immédiate de l’aide financière à l’AP.
Il espérait que son appel forcerait l’UE à cesser de soutenir et de former l’AP pour qu’elle réprime les Palestiniens comme lui. Il est très probable que cela ait été un facteur important dans la décision prise par les mercenaires de l’AP de mettre en pratique une fois de plus ce que les États-Unis et l’UE leur ont si bien appris à faire.
Les États-Unis et l’UE devraient être fiers de leur réussite, tout comme les Israéliens qui continuent à prodiguer des éloges à leurs forces de sécurité de l’AP. En effet, il en est ainsi parce que la police de sécurité de l’AP a été un succès majeur pour les Israéliens et qu’elle est dûment créditée d’avoir continuellement empêché la majorité des opérations de résistance palestinienne contre l’armée d’occupation et ses colons.
Le meurtre de Nizar Banat, cependant, survient à un moment où la légitimité internationale de l’AP est au plus bas après la résistance héroïque du peuple palestinien dans toute la Palestine historique le mois dernier, résistance que l’AP continue de réprimer.
Il se peut très bien que la fin de l’AP collaborationniste soit en vue. Ses créateurs et ses bailleurs de fonds réalisent maintenant qu’elle n’a plus beaucoup d’emprise sur le peuple palestinien. L’AP ne peut plus utiliser, comme elle le faisait auparavant, ses bras administratifs, financiers et médiatiques (désormais épuisés) combinés à ses agences de police répressives pour imposer son autorité en Cisjordanie .
Tout ce qui lui reste aujourd’hui pour imposer son autorité, ce sont ses services policiers, comme en témoigne la répression, la semaine dernière, des manifestants palestiniens en Cisjordanie qui protestaient contre le meurtre de Nizar Banat, qui lui ont tiré dessus et l’ont matraqué, tout comme la police de l’AP l’avait fait à Gaza lors de sa création en 1994.
Mais aucun nombre de meurtres ou de passages à tabac ne peut arrêter la résistance palestinienne, une leçon que les Israéliens, les patrons de l’AP, continuent d’apprendre à leurs dépens.
Publié le 28 juin 2021 sur Middle East Eye
Traduction : MR pour ISM