12 minutes et 46 secondes
12 minutes et 46 secondes : le temps qu’il faut à des soldats israéliens pour se muer en cambrioleurs nocturnes.
Des soldats de l’armée israélienne en pleine razzia au QG de DCI-P.
Amira Hass, 3 août 2021
Le lendemain de la mort de Mohammed al-Alami (*), 12 ans, du village cisjordanien de Beit Ummar, rapportait mercredi dernier la branche palestinienne de l’ONG Defense for Children International (DCI-P), des soldats israéliens ont effectué un raid au QG de son antenne à El Bireh et ont volé six ordinateurs, deux portables, un disque dur extérieur et plusieurs classeurs contenant des détails personnels sur des enfants représentés par l’organisation.
BREAKING: Israeli forces raided our main office in Al-Bireh today around 5 a.m., confiscating computers, laptops, and files concerning our Palestinian child detainee clients in the Israeli military courts. We were not informed of the reason for the raid. pic.twitter.com/IE9i4ZDvfP
— Defense for Children (@DCIPalestine) July 29, 2021
Aujourd’hui, le rapport sur le meurtre du garçon par les soldats alors qu’il se trouvait dans la voiture familiale en compagnie de son père et d’un frère et d’une sœur plus jeunes, ainsi que le rapport sur le raid nocturne partagent une page sur le site internet de DCI-P : une photo d’un garçonnet souriant un jour où il neige et, au-dessus, un encadré provenant d’une caméra de surveillance et montrant plus d’une douzaine de personnages en uniforme massés dans l’entrée des bureaux de DCI-P.
Chaque maison palestinienne, institution gouvernementale et ONG est susceptible de faire l’objet de telles actions à tout moment. C’est une prérogative qu’un régime étranger et hostile d’occupation militaire qui a duré 54 ans s’est lui-même octroyée. Sous l’ombre du droit du seigneur, ce régime entraîne et forme ses jeunes soldats à enfoncer des portes fermées à clef, à voler et à jeter au rebut les biens d’autrui – de la même façon exactement qu’il les entraîne à abattre des femmes, des enfants et des personnes âgées, à blesser et à tuer, à détruire des maisons, à transformer d’innombrables familles en sans-logis, dont de nombreux enfants et à protéger ceux qui volent des terres ainsi que des sources naturelles.
Dans n’importe quel contexte normal, tout cela serait considéré comme des actes criminels et terroristes dont les coupables doivent être traînés en justice. Mais, en Israël – où le pouvoir militaire sur d’autres personnes est aussi naturel que le régime esclavagiste ne l’était récemment encore pour ceux qui en tiraient profit, directement et indirectement – le cambriolage, le vol et le meurtre sont la norme, c’est un désir du cœur chez les fiers pères et mères juifs. Les rues d’Israël sont encombrées d’une majorité d’hommes qui ont passé les meilleures années de leur vie à commettre des crimes qui, considère-t-on, constituent la norme.
Pendant 12 minutes et 46 secondes, la caméra de surveillance a enregistré les actions des soldats qui participaient au raid, jusqu’au moment où l’un d’eux l’a déconnectée. La vidéo montre quelque dix policiers des frontières, deux ou trois soldats sans uniforme qui servent dans l’Administration civile et un dernier soldat en uniforme, mais sans galons et insignes particuliers. En tout cas, le cambriolage et le vol ont été commis sous les ordres et la supervision du service de sécurité du Shin Bet.
Les cambrioleurs n’ont pas laissé de document indiquant qui avait sorti l’ordre de procéder au raid. Ils n’ont pas laissé de reçu pour les biens volés, ils n’ont ni arrêté ni convoqué à l’avance, pour l’interroger, l’un ou l’autre des directeurs ou avocats de DCI-P, des gens bien connus des militaires parce qu’ils représentent de jeunes Palestiniens qui ont été arrêtés et jugés dans le cadre de la routine de protection des colonies.
L’Unité du porte-parole de l’armée n’a pas répondu aux questions de Haaretz à propos de cette affaire. Elle s’est contentée de dire que « les forces de sécurité avaient agi (…) dans le cadre de la campagne contre le financement du terrorisme ».
Ceci aussi constitue le droit du seigneur des régimes oppresseurs de tous genres : agiter le mot « terrorisme », alors qu’ils sont en sécurité et bien protégés de tout contrôle et de toute critique. Dans le futur, les documents prouvant que tout n’était que tromperie seront découverts et de nouvelles histoires à ce propos constitueront les principaux gros titres pendant quelques minutes.
Mais nous sommes au présent et nous savons ceci : Le cambriolage, la confiscation et l’intimidation en utilisant le mot « terrorisme » sont censés saboter les activités de cette organisation, de ternir son nom et de saper sa crédibilité ainsi que celle de ses rapports aux yeux de la communauté internationale.
C’est une vieille tactique, dans laquelle les gens qui ont été conquis et soumis sont dépeints comme des criminels, dans le même temps que le conquérant et oppresseur se présente lui-même comme une victime censée se protéger. Maintenant, la question est de savoir si les diplomates et les institutions internationales tomberont dans le piège de cette tactique passablement rouée.
Publié le 3 août 2021 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
(*) Il s’agit de Muhammad Abou Sara, 11 ans
Lisez ici à ce sujet : Une vidéo montre le tir israélien qui a tué Muhammad Abou Sara, un garçon de 11 ans