La réalité des médecins palestiniens dans les hôpitaux israéliens

En mai, lors de la guerre menée par Israël contre Gaza, j’ai été submergé de messages de confrères médecins palestiniens travaillant dans des hôpitaux israéliens. Ils étaient confrontés à un grave dilemme. 

Une vue de l’entrée du centre de médecine urgentiste de l’hôpital universitaire israélien Hadassa d’Ein Kerem, à Jérusalem. (Photo : AFP)

Osama Tanous, 12 août 2021

D’une part, ils voulaient participer à la grève nationale, déclarée le 18 mai par le Haut Comité arabe de suivi afin de dénoncer la guerre d’Israël contre Gaza, les attaques contre la mosquée al-Aqsa et le nettoyage ethnique de Jérusalem-Est, accompagné de la dépossession de familles palestiniennes.

D’autre part, ils n’étaient que trop conscients des regards vigilants de leurs confrères et employeurs juifs israéliens, qui les ont conditionnés à devenir des sujets apolitiques, des employés prudents et bien domestiqués. Ces inquiétudes se sont avérées justifiées, puisque certains directeurs d’hôpitaux ont sorti une déclaration disant que tout employé qui participerait à la grève subirait une sanction. 

Par conséquent, non seulement les médecins palestiniens se présentent toujours au travail dans les hôpitaux israéliens, mais ils doivent également occuper le devant de la scène dans le cérémonial mis en place chaque fois qu’Israël déclare la guerre à Gaza. Les membres palestiniens et juifs du personnel brandissent des écriteaux avec des slogans disant : « Paix », « Nous choisissons la vie » ou « Arabes et juifs refusent d’être ennemis ». Ces hôpitaux et institutions en viennent à être célébrés comme des phares de la coexistence, des îles flottantes de bon sens. 

Des positions politiques qui rabaissent

Bien qu’apparemment naïfs et optimistes, ces slogans sont particulièrement trompeurs. Ils suggèrent que les Palestiniens qui résistent au nettoyage ethnique préfèrent la guerre à la coexistence. Plus encore, que les colons israéliens et les forces armées qui les protègent ont également choisi la guerre, au contraire des médecins israéliens dont il s’avère qu’ils ont choisi la paix. Cela présente les Palestiniens de Lod et de Haïfa qui protègent leurs rues et leurs maisons, ainsi que les foules suprémacistes juives en colère qui scandent « Mort aux Arabes », comme deux camps extrémistes. Cela implique aussi que le statu quo d’avant les récents événements était juste et harmonieux.

Ces cérémonies de la coexistence et les effluves qu’ils laissent dans les médias israéliens et internationaux font passer l’hôpital comme un espace neutre et apolitique, plutôt que comme un espace qui a adopté pleinement l’éthos et les rituels du sionisme. Il convient de mentionner le fait qu’alors que ces actions apaisent la conscience des médecins israéliens juifs en tant qu’actes qui transcendent la politique, elles sont hautement politiques tout en rabaissant en même temps le personnel palestinien.  

Les citoyens palestiniens d’Israël représentent un important pourcentage de la main-d’œuvre des soins de santé. C’est l’un des rares secteurs qui proposent la sécurité de l’emploi aux Palestiniens en Israël. Alors que je grandissais dans ma petite ville natale de Galilée, il était clair que si je ne pouvais pas trouver un emploi stable dans le domaine des soins de santé, je serais confronté à d’énormes difficultés, dans un marché de l’emploi raciste. Actuellement, près de 21 pour 100 des médecins et 23 pour 100 des infirmiers dans les hôpitaux israéliens sont des citoyens palestiniens d’Israël. Mais cela n’immunise pas ces lieux de travail contre le racisme structurel et institutionnel de l’État et de la société d’Israël. 

Pour un Palestinien, apprendre à accepter des structures racistes fait partie de l’étude de la médecine et de sa présence au travail dans un hôpital israélien. Cela va du fait d’étudier à une université bâtie sur des terres volées sans que la chose ait été admise, à celui d’être censé se lever, lors de la remise du diplôme, pour entendre un hymne national qui vous exclut par définition, et se lever également, une fois par an, pour un moment de recueillement à la mémoire des soldats israéliens tombés en 1948, des soldats qui, en réalité, combattaient pour déporter votre peuple.

Une adaptation en vue de survivre

Ce ne sont que quelques expériences parmi d’autres. Toutefois, à l’instar des Afro-Américains, des Sud-Africains noirs et autres peuples opprimés, les individus apprennent à s’adapter et à manœuvrer afin de monter plus haut sur l’échelle. Cela ne devrait en aucun cas être perçu comme un signe de progrès, mais il s’agit d’une composante importante de l’adaptation de l’homme en vue de sa survie.  

Nous ne pouvons continuer à célébrer sans critique les hôpitaux israéliens comme des « îles de bon sens », tout simplement parce que Palestiniens et Israéliens y travaillent ensemble. Les Palestiniens et les Israéliens travaillent également ensemble dans les usines des colonies de la Cisjordanie et ils étudient ensemble à l’Université Ariel dans la colonie illégale d’Ariel, et ils collaborent même au sein de l’armée israélienne. Leur partage des mêmes espaces de travail ne fait pas de ces endroits des balises d’espoir.

D’autres modèles d’existence pour les communautés autochtones et marginalisées existent, comme j’ai pu l’apprendre du temps où j’étais boursier en santé publique aux États-Unis.

Des universitaires, des activistes et des médecins courageux ont forcé des universités à reconnaître le vol des terres sur lesquelles elles avaient été construites et œuvrent à la décolonisation de leurs programmes de cours. Des médecins et des universitaires ont déplacé la discussion afin de cibler clairement le racisme structurel en tant que danger de la santé publique et ils œuvrent actuellement en vue de le supprimer. Ils ont cerné la brutalité policière comme un problème de santé publique et des initiatives telles que White Coats for Black Lives (Des blouses blanches pour des vies noires) connaissent un grand succès et nous aident à redéfinir la pratique de la médecine.

Tels sont les types de cérémoniaux de coexistence que nous devrions encourager et acclamer ; ceux qui s’engagent dans un combat commun contre l’oppression plutôt que de proposer des symboles d’espoir vides de sens qui peuvent peut-être nous aider à nous sentir mieux mais qui ne font en tout cas rien pour modifier un statu quo dangereux et douloureux.


Publié le 12 août 2021 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Osama Tanous est un pédiatre palestinien qui vit normalement à Haïfa. Il est membre du Conseil d’administration de Médecins pour les droits humains – Israël. Actuellement, il est boursier de l’association Hubert H. Humphrey en santé publique et politique de la santé à l’Université Emory d’Atlanta.

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