Les leçons tirées de l’évasion des prisonniers politiques palestiniens

L’évasion de six prisonniers de la prison de Gilboa, en Israël, a ouvert des voies vers des mondes nouveaux situés bien au-delà des murailles érigées par l’apartheid israélien et sa politique barbare.

La cuiller est plus forte que cette épée. (Image : Carlos Latuff)

La cuiller est plus forte que cette épée. (Image : Carlos Latuff)

Haidar Eid, 24 septembre 2021

Quelles sont les leçons que nous, Palestiniens, avons tirées de l’évasion de prison menée à bien par six prisonniers politiques un peu plus tôt ce mois-ci ?

Cette évasion a mis à genoux le très mythique système de sécurité israélien. Tous les Palestiniens, qu’ils vivent dans les zones occupées en 1967, ou qu’ils soient les citoyens de troisième classe d’Israël, ou encore les réfugiés vivant dans des camps misérables et en exil, ont vécu deux semaines d’une « liberté rêvée » créée par les prisonniers. Ils ont eu l’impression d’être plus pleinement humains et de pouvoir enfin transformer ce monde (injuste).

L’action héroïque en elle-même est parvenue à détruire un mythe et à créer une nouvelle réalité. En premier lieu, un mythe qui prétendait que la sécurité israélienne était inviolable. En deux, il s’est avéré que les Palestiniens ont résolument la volonté d’être libres. Notre Ligue de la justice est parvenue à humilier l’ensemble du projet sioniste et ce qu’il représente et recherche, à savoir, un colonialisme de peuplement et l’apartheid. D’où l’euphorie parmi les Palestiniens et les Arabes, et l’élan de soutien émanant de nations naguère colonisées et autres adorateurs de la liberté. 

Ils nous ont fait vivre dans un État « comme si » qui ouvre des voies vers des mondes nouveaux situés bien au-delà des murailles érigées par l’Israël de l’apartheid et sa politique barbare et inhumaine.

Paulo Freire aurait qualifié la chose de « faisabilité non testée », une philosophie élaborée de l’espoir qui invitait les groupes marginalisés à se déplacer au-delà des « limites de leur situation » – c’est-à-dire au-delà des contraintes imposées à notre humanité par le sionisme – et, fait plus important encore, à chercher la façon de transformer ces conditions hostiles en un espace d’expérimentation créative de la liberté, de l’égalité et de la justice. En somme, de nous émanciper !

Nous savons également grâce à Freire que toute action entreprise dans le monde transforme nécessairement le monde tel que nous le connaissons et que cette transformation du monde affecte la façon dont nous agissons sur lui par la suite. Entrer dans ce processus, voilà comment les individus apprennent à devenir des sujets agissant sur un monde dynamique, ouvert, plutôt que de rester des objets se résignant simplement à subir une action dans des systèmes clos, jamais changeants, tel l’Israël de l’apartheid. Alors que l’Afrique du Sud, et l’Amérique de Jim Crow avant elle, veulent que nous y croyions.

Telle est la perception par les six prisonniers de la façon dont nous, Palestiniens colonisés, pouvons surmonter la soumission à la suprématie juive.

Oubliez Les évadés, Prison Break et La grande évasion… On peut douter que les six héros aient même entendu parler de ces films. Ils n’ont pas la peau blanche ni les cheveux blonds, pas plus qu’ils n’ont un complexe d’infériorité (peau noirs, masques blancs).

Ce sont plutôt des prisonniers palestiniens, des réfugiés auxquels le monde a décidé de tourner le dos et de les forcer à payer le prix d’un pogrom perpétré en Europe voici plus de 75 ans ! Ils sont nés de mères non juives !

Ce que nous avons appris de ces héros, c’est que les idées de libération ne concernent pas des visions statiques du monde, mais surtout une transformation du monde, que l’apartheid et le colonialisme de peuplement peuvent être vaincus même avec le plus petit des outils disponibles : une cuiller ! 

Le choc, et même l’horreur, exprimés dans la quasi-totalité des médias israéliens constituent un reflet du racisme profondément enraciné de l’idéologie sioniste et de son impact sur les esprits des Israéliens ordinaires, puisqu’ils ont été endoctrinés à croire qu’ils ont droit à certains privilèges qui doivent être refusés aux « goyim » (aux non-juifs), totalement déshumanisés et diabolisés.

Un écrivain israélien a exprimé une mise en garde :

« L’évasion a causé une transition [parmi les Palestiniens] allant de la dépression vers l’euphorie — et tout psychologue sait que cela crée une situation instable ! »

En fait, à l’instar du système inhumain d’apartheid qui l’a précédé, l’Israël de l’apartheid est incapable de comprendre la souffrance palestinienne et la nature de son oppression sur les gens qui vivent dans la Palestine historique. Zakaria Zubeidi, l’un des six prisonniers repris, a ceci à leur dire :

« Qu’attendez-vous d’une personne dont vous avez fait mourir le père de faim en l’empêchant d’exercer sa profession d’enseignant, dont vous avez ensuite tué la mère – exécutée par un sniper – sous ses propres yeux ; dont vous avez tué le frère et ses meilleurs amis en même temps que 370 fils et filles d’un camp de réfugiés entassés sur un kilomètre carré ? »

« Qu’attendez-vous d’une personne dont vous avez déporté la famille ainsi que le peuple et à qui vous avez supprimé les droits de la façon la plus sévère qui soit – alors que vous l’avez arrêtée vingt fois et que chaque fois vous avez torturé son corps, pour la rendre physiquement handicapée, bien qu’elle fût toujours dans sa prime jeunesse ? »

Dans les films susmentionnés, les évadés parviennent à obtenir leur liberté parce que le monde en dehors de leurs prisons est un monde accueillant, alors que, dans le cas des Palestiniens, il s’agit du même monde raciste du colonialisme de peuplement.

Et maintenant, vous étonnerez-vous encore de la question que se pose feu le poète palestinien Mahmoud Darwich dans l’un de ses douloureux poèmes :

« Où les oiseaux doivent-ils voler, après le dernier ciel ? »  


Publié le 24 septembre 2021 sur Mondoweiss

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

Haidar Eid

Haidar Eid

 

Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.

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