Pourquoi les courbettes de l’Irlande face à Israël constituent-elles une trahison ?

Le gouvernement irlandais ne tolérera pas la vérité sur la façon dont il se met à plat ventre devant Israël. Telle est la conclusion inévitable qui ressort des efforts consentis par le ministère des Affaires étrangères de l’Irlande en vue de museler l’avocate des droits de l’homme, Susan Power.

Rassemblement devant l'ambassade israélienne à Dublin le 15 mai 2021, une des nombreuses protestations contre les crimes israéliens qui ont été organisé dans le pays. (Photo : Sam Boal)

Rassemblement devant l’ambassade israélienne à Dublin le 15 mai 2021, une des nombreuses protestations contre les crimes israéliens qui ont été organisé dans le pays. (Photo : Sam Boal)

David Cronin, 24 septembre 2021

C’est à juste titre que Power s’était mise en colère après la lecture d’un immonde article publié en juin dans The Jerusalem Post.

Rédigé par Kyle O’Sullivan, l’ambassadeur d’Irlande à Tel-Aviv, l’article reniait en effet les nombres importants de ses compatriotes qui avaient protesté contre l’offensive israélienne de 11 jours contre Gaza le mois précédent.  

Certains Irlandais, prétendait O’Sullivan,

« ont une vision émotive et simpliste du conflit israélo-palestinien ».

Pourtant, le gouvernement de Dublin, écrivait-il,

« a toujours soutenu le droit à l’existence d’Israël, y compris son caractère juif ».

Tweetant sa réponse, Power avait invité « les sionistes irlandais » à Tel-Aviv à retirer leur article, le qualifiant de « trahison ». Elle avait exigé que des excuses officielles soient publiées à l’adresse des Irlandais et des Palestiniens une fois que l’article aurait été retiré.

Des documents que j’ai obtenus par le biais d’une requête au nom de la liberté d’information montrent que les tweets de Power ont été discutés en très haut lieu au ministère irlandais des Affaires étrangères.

Un message écrit en provenance de Sonja Hyland, directrice politique du ministère, prétendait qu’il était possible d’établir une « distinction » entre « une critique robuste de la politique gouvernementale » et les remarques soulevées par Power.

Hyland déclarait qu’il y avait de « sérieuses inquiétudes » au sujet des tweets,

« particulièrement à propos de l’accusation de trahison et de l’allusion aux ‘sionistes irlandais’ ».

 

Intimidation

Le mot  « inquiétude » est on ne peut plus abondamment utilisé par les diplomates de l’Irlande et d’autres États européens quand il s’agit de répondre aux toutes dernières violations par Israël des lois internationales. On peut présumer que c’est devenu une façon codée de dire que les diplomates désapprouvent de telles violations mais qu’ils n’ont nullement l’intention d’entreprendre la moindre action contre elles.

La différence, dans le cas présent, c’est que le ministère des Affaires étrangères se plaignait d’une avocate des droits de l’homme plutôt que d’un État voyou possédant des armes nucléaires comme Israël. Non seulement le ministère a gâché un temps considérable à discuter de ses « sérieuses inquiétudes », mais il a implicitement exigé que Power soit punie.

Don Sexton, l’envoyé irlandais dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie occupée, s’est plaint des tweets de Power auprès de l’employeur de cette dernière, l’organisation palestinienne pour les droits de l’homme, Al-Haq.

Pendant ce temps, les collègues de Sexton à Dublin entraient en contact avec Sadaka, une organisation irlandaise qui mène des campagnes sur la question de la Palestine. On a exercé tellement de pressions sur Sadaka, affirme Power, qu’elle a démissionné de son poste de membre du conseil d’administration.

De façon significative, les documents qu’on m’a fournis indiquent que Simon Coveney, le ministre irlandais des Affaires étrangères, a approuvé la façon dont les organisations en relation avec Power – et par extension Power elle-même – ont subi des intimidations.

Un autre message textuel émanant de Sonja Hyland affirme qu’elle avait tenu Coveney très régulièrement au courant de la façon dont le problème était traité et elle ajoute : « Il est très content de cette approche. »

Power m’a raconté que les responsables du ministère des Affaires étrangères avaient dit au début qu’ils voyaient un problème « avec le ton » de ses tweets et qu’ils « insistaient en disant que cela n’avait rien à voir avec leur contenu ».

« Puis, quand j’ai effacé les tweets et que je les ai récrits pour les poster à nouveau, ils ont continué par des menaces, exigeant de la part des organisations pour lesquelles je travaillais qu’elles s’excusent d’avoir utilisé le terme ‘sionistes’ et d’avoir qualifié l’article [rédigé par Kyle O’Sullivan] de ‘sionisme perfide’, et ils ont en outre menacé d’entreprendre des actions »,

m’a encore dit Power.

Les pressions étaient « incroyablement stressantes et se sont poursuivies pendant des semaines », a-t-elle ajouté.

Bien que Power ait détruit certains des tweets auxquels le ministre des Affaires étrangères faisait objection, elle a affirmé que c’était toujours ce qu’elle pensait pleinement, faisant remarquer qu’ils avaient été rédigés en son nom personnel.

Power a prétendu que les

« actions du ministère des Affaires étrangères étaient un empiètement très grave sur le droit garanti à la liberté d’expression sans interférence du gouvernement, ainsi qu’aux principes fondamentaux des droits humains tels que l’Irlande les apprécie ».

Elle a décrit le comportement du ministère comme « complètement disproportionné, agressivement punitif et extraordinaire », ajoutant que cela a eu « un effet dissuasif sur mon travail depuis lors ».  

Elle a évidemment touché un nerf à vif du côté du ministère des Affaires étrangères et ce, tout simplement, en disant la vérité.  

En écrivant que l’Irlande « a toujours soutenu le droit d’Israël à l’existence, y compris son caractère juif », Kyle O’Sullivan s’avouait partisan de l’idéologie d’État d’Israël. Puisque cette idéologie a pour nom le sionisme, il est logique de qualifier  O’Sullivan de sioniste.

J’ai adressé des courriels à Don Sexton et à Sonja Hyland, en leur demandant pourquoi ils estimaient que Power avait tort de se servir du terme de « sionistes ».

Tous deux m’ont répondu en me disant de prendre contact avec le bureau de presse du ministère, lequel a refusé de répondre à ma question.

 

« Un pays criminel »

Israël est un « pays criminel », d’après les mots récemment publiés de Yaakov Sharett. Il sait de quoi il parle – son père, Moshe Sharett, faisait partie ders hommes politiques qui avaient signé la « Déclaration d’indépendance » d’Israël.

Le pire crime commis par le mouvement sioniste fut l’expulsion de masse des Palestiniens au cours des années 1940.

Le crime fut perpétré par la façon dont Israël avait affirmé son « caractère juif » au détriment des Palestiniens. La Loi de l’État-nation approuvée par la Knesset – le Parlement israélien – en 2018 était une affirmation effrontée de la façon dont les Palestiniens sont traités comme des êtres inférieurs aux juifs.

Soutenir le « caractère juif » d’Israël – comme l’a fait Kyle O’Sullivan – revient à soutenir un système d’apartheid.

L’accusation de trahison formulée contre O’Sullivan était méritée de même. Soutenir l’apartheid israélien constitue une trahison de la solidarité dont les Irlandais ordinaires ont fait preuve à l’égard des Palestiniens.

Il s’avère qu’O’Sullivan a également trahi la position de l’Oireachtas – le Parlement irlandais – et du gouvernement de Dublin, qui ne passe guère pour célébrer le « caractère juif » d’Israël.

Lorsqu’on lui a demandé un commentaire, Marie Crawley, qui préside l’organisation Sadaka susmentionnée, a décrit l’article d’O’Sullivan comme

« mal évalué et trompeur en ce qui concerne les conceptions politiques de l’Oireachtas et, évidemment, celles du gouvernement telles que nous les avons comprises ».

O’Sullivan n’a toutefois pas le monopole de la trahison.

Ses flagorneries à l’adresse d’Israël ont été applaudies au plus haut niveau du ministère des Affaires étrangères à Dublin. Simon Coveney, le ministre, a également encensé l’article d’O’Sullivan dans The Jerusalem Post en le qualifiant d’« équilibré ».

Coveney a un passé de trahison.

Il a trahi la démocratie en bloquant une interdiction à l’encontre les marchandises en provenance des colonies d’Israël. L’interdiction a été approuvée à plusieurs reprises par la majorité des deux chambres de l’Oireachtas.

Il a également trahi la vérité.

Alors que l’Irlande est devenue récemment le premier pays de l’UE à reconnaître officiellement qu’Israël a illégalement procédé à une annexion de facto de ses colonies en Cisjordanie, il conviendrait de ne pas oublier la façon dont cette démarche a toutefois été flanquée d’une mise en garde. Coveney a insisté en disant que la démarche ne serait entreprise que si le Dáil – la chambre basse de Oireachtas – acceptait son amendement à une motion proposée par le Sinn Féin, le principal parti de l’opposition.

En adoptant cet amendement, l’Irlande déclarait que l’agression israélienne contre Gaza en mai était une « riposte » aux tirs de roquettes du Hamas.

La réalité, c’est que les activités du Hamas constituent une riposte à des décennies d’occupation et d’agression par Israël. La réalité, c’est aussi que les Palestiniens ont le droit de résister à l’incessante colonisation de leur patrie.

Conscient de ce que leur propre pays a été colonisé, les citoyens irlandais ordinaires ressentent une grande affinité avec les Palestiniens. Il est triste que cette affinité ne soit pas exprimée par le ministère irlandais des Affaires étrangères.


Publié le 24 septembre 2021 sur The Electronic Intifada

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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