La Suède en route vers la criminalisation du soutien à la Palestine
En 2016, la Suède s’est distinguée des États européens en affirmant que la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) dirigée par les Palestiniens constituait un mouvement politique légitime devant être protégé de toute répression.
Mais, aujourd’hui, le gouvernement du Premier ministre Stefan Löfven fait route vers la criminalisation des critiques à l’encontre d’Israël et de son idéologie étatique raciste qu’est le sionisme, sous le prétexte de combattre le sectarisme antijuif.
Ali Abunimah, 13 octobre 2021
Cette semaine, la Suède accueille le Forum international de Malmö sur le souvenir de l’Holocauste et le combat contre l’antisémitisme.
Y assisteront les lobbyistes en faveur d’Israël et les responsables de l’UE engagés dans le musellement des critiques à l’encontre des violations par Israël des droits palestiniens.
Parmi les orateurs de haut niveau figureront le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ainsi que le nouveau président israélien, Isaac Herzog, qui a longtemps déshumanisé les Palestiniens et les musulmans et promu la violence contre eux.
Herzog a également été impliqué dans l’actuelle campagne de diffamation destinée à faire passer Jeremy Corbyn et ses partisans au sein du Parti travailliste du Royaume-Uni pour des antisémites en raison de leur soutien aux droits palestiniens.
L’un des principaux buts du rassemblement de Malmö est d’enraciner plus encore la fameuse définition de l’antisémitisme de l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste), un document qui bénéficie d’une intense promotion de la part d’Israël et de son lobby.
Cette définition est bien connue pour confondre les critiques à l’égard d’Israël et du sionisme, d’une part, et le sectarisme antijuif, d’autre part. (Voyer le nouveau mini-documentaire de The Electronic Intifada sur la façon dont cette définition de l’IHRA est utilisée pour diffamer et réduire au silence les partisans des droits palestiniens.)
@EmmanuelMacron was right on target in his historic speech stating clearly that #antisemitism is hiding behind anti-Zionism. His firm reaction to hate crimes in France & his promise to adopt the internatl definition of antisemitism are urgent steps every European leader must take https://t.co/m7Ml97qkw9
— יצחק הרצוג Isaac Herzog (@Isaac_Herzog) February 21, 2019
« Un avertissement sévère »
En tant que pays d’accueil, la Suède a promis d’introduire son propre « programme d’action » contre l’antisémitisme, l’islamophobie et d’autres formes de sectarisme.
Cela comprendra « des efforts encouragés par la police pour contrer le racisme et les crimes de haine » ainsi que la désignation d’une « agence de recherche » travaillant sous le ministère suédois de la Défense « afin de surveiller en permanence l’antisémitisme et d’autres formes de racisme ».
« Le racisme organisé et le soutien au racisme organisé seront criminalisés », affirme le gouvernement suédois.
Ce qui devrait susciter une inquiétude particulière à propos de ces promesses, c’est que l’approche de l’antisémitisme par la Suède reposera sur la définition de l’IHRA – ouvrant ainsi la voie à la criminalisation du soutien aux droits palestiniens en le définissant faussement comme de la « haine ».
Alors que cela peut paraître extrême, des douzaines de spécialistes internationaux de l’antisémitisme, dont de nombreux juifs ou Israéliens, ont émis ce qu’ils ont qualifié d’« avertissement sévère contre l’instrumentalisation politique du combat contre l’antisémitisme ».
Ils invitent les dirigeants qui assisteront à la rencontre de Malmö à « rejeter et contrer cette instrumentalisation ».
« Nous remarquons une coordination avec les organisations de lobbying qui protègent le gouvernement israélien ainsi qu’une prise d’appui sur ces mêmes organisations »,
déclarent les spécialistes de l’antisémitisme.
Leur déclaration a été publiée dans les médias suédois et dans d’autres médias européens.
Ils disent encore que la définition de l’IHRA est
« transformée en arme contre les organisations des droits de l’homme et les activistes de la solidarité qui dénoncent l’occupation et les violations des droits de l’homme par Israël »
et qu’elle est utilisée pour « légitimer des accusations trompeuses d’antisémitisme ».
Au nombre des signataires figurent Amos Goldberg, président des études sur l’Holocauste à l’Université hébraïque de Jérusalem, Alon Confino, directeur de l’Institut pour l’Holocauste, le génocide et les études sur la mémoire à l’Université du Massachusetts, à Amherst, Michael Rothberg, professeur de littérature comparée et des études sur l’Holocauste à l’UCLA, Lila Corwin Berman, professeure en histoire juive américaine à l’Université du Temple et Leora Auslander, professeure d’histoire à l’Université de Chicago.
Les spécialistes sont particulièrement critiques à propos des démarches récentes entreprises par l’Union européenne, y compris son « manuel » qu’elle vient de sortir en vue d’appliquer la définition de l’IHRA et sa nouvelle « stratégie » au combat contre l’antisémitisme.
Comme l’a rapporté The Electronic Intifada, le manuel contient des mensonges éhontés sur le mouvement de boycott, alors que la stratégie contre l’antisémitisme constitue un plan à peine déguisé en vue de museler les partisans des droits palestiniens.
Les deux initiatives ont été dirigées par Katharina von Schnurbein, la responsable de l’Union européenne contre l’antisémitisme, qui sera elle aussi présente à Malmö.
Von Schnurbein a soutenu publiquement les attaques d’Israël contre Gaza et contre la mosquée al-Aqsa, à Jérusalem, voici quelques mois.
On my way to the #Malmö International Forum where States will make fresh commitments for #Holocaust remembrance and combating #antisemitism. The @EU_Commission will pledge its newly adopted Strategy with many concrete actions @vonderleyen @MargSchinas #ReAct pic.twitter.com/EXAF17BBP1
— 🎗️(((Katharina von Schnurbein))) (@kschnurbein) October 12, 2021
« Des mesures répressives »
Les spécialistes déclarent que le manuel de l’UE promeut l’attribution d’un « effet juridique » à la définition de l’IHRA ainsi que son utilisation comme base de refus de financement des organisations de la société civile. « Nous craignons que ce ne soit un prélude à des mesures discriminatoires et répressives », expliquent-ils.
Les mises en garde de ses spécialistes n’ont rien de neuf – des organisations palestiniennes et juives, entre autres, critiquent la définition de l’IHRA depuis des années.
Mais les spécialistes font remarquer que la nouvelle stratégie de l’UE
« ignore les inquiétudes croissantes concernant les lacunes et l’instrumentalisation de la définition de l’IHRA ».
Thank you @SwedishPM 🇸🇪 and @Anna_Ekstrom for the warm welcome and 🇮🇱 minister @DrNachmanShai for the fruitful meeting.
Our strategy on combating antisemitism and fostering Jewish life our pledge to step up action on all fronts: prevention, protection, education and remembrance pic.twitter.com/MnJqSXhJIA
— Margaritis Schinas (@MargSchinas) October 13, 2021
Ils interpellent également « l’atmosphère toxique et intimidante » créée par de telles mesures, particulièrement en Allemagne où quasiment toutes les personnes qui critiquent le soutien de Berlin aux crimes israéliens contre les Palestiniens sont susceptibles d’être confrontées à une répression et une diffamation sévères.
En guise d’approche alternative, les spécialistes soutiennent la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme.
Les activistes des campagnes pour la Palestine ont accueilli cette nouvelle définition avec prudence, disant qu’elle
« peut s’avérer instrumentale dans le combat contre le maccarthisme antipalestinien et la répression que les partisans de la définition de l’IHRA »
ont intentionnellement promus.
Mais les Palestiniens mettent également en garde contre le fait que la Déclaration de Jérusalem présente des lacunes elles aussi, particulièrement sur le plan de son exclusion des perspectives palestiniennes.
Réchauffement en direction d’Israël
La Suède resserre ouvertement ses liens avec Tel-Aviv – juste au moment où, enfin, d’importantes organisations des droits de l’homme reconnaissent qu’Israël commet le crime d’apartheid contre les Palestiniens.
I spoke with @AnnLinde , the Minister of Foreign Affairs of Sweden. This phone conversation, the first in 7 years between the Foreign Ministers of our countries, symbolizes the relaunching of relations at this level. pic.twitter.com/TmHRFm8wNn
— יאיר לפיד – Yair Lapid (@yairlapid) September 20, 2021
L’apparente capitulation de Stockholm sous la pression des lobbys pro-israéliens, à propos d’un antisémitisme supposé, vient aussi au moment où le gouvernement suédois reconnaît tranquillement que cette forme de sectarisme – de quelque façon qu’elle soit définie – est en train de diminuer.
En août, le gouvernement a annoncé les résultats d’un sondage effectué un peu plus tôt, en juin.
L’étude du gouvernement a découvert que
« le soutien parmi la population tant au sentiment antisémite traditionnel et relatif à l’Holocauste, qu’à celui relatif à Israël, a diminué »
depuis 2005.
Néanmoins, le gouvernement affirme
« qu’il existe un risque de voir augmenter les crimes de haine en dépit d’une amélioration générale dans les attitudes ».
De telles affirmations constituent sans aucun doute une justification d’un accroissement de la criminalisation et de la répression de ceux qui s’opposent au régime d’occupation, à l’apartheid et au colonialisme de peuplement d’Israël.
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Publié le 13 octobre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country: A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impass