Israël – Exportateur de mort et de répression en Afrique

Alors que l’Union africaine se débat avec elle-même pour avoir octroyé récemment le statut d’observateur à Israël, il incombe au continent de chercher plus loin que des discussions politiques immédiates. Les critiques insistent, et à juste titre, en disant qu’il est contraire à la charte de l’UA d’admettre une nation coloniale dont l’existence est vouée au nettoyage historique et ethnique permanent des Palestiniens autochtones. Mais on ne dit pas grand-chose du rôle actuel et historique d’Israël dans toute l’Afrique.

 

Susan Abulhawa, 22 novembre 2021

Commençons par un fait peu connu : Israël est le plus important exportateur – par habitant – d’armes, de systèmes de surveillance et de tactiques de répression dans le monde. En fait, l’ampleur de ces exportations est sans précédent dans l’histoire de l’humanité. De plus, les chiffres cités sont des sous-estimations, puisqu’ils s’appuient uniquement sur des ventes connues, qui sont rapportées en tant que telles par les pays récipiendaires ou par le biais des semeurs d’alerte, puisqu’il est bien connu qu’Israël n’est vraiment pas bavard du tout à propos de ses exportations d’armes.

Une grande partie de ces transactions commerciales ont eu lieu avec l’Afrique et l’Asie, où Israël a été le plus sérieux fournisseur d’armes en soutenant des guerres civiles, en encourageant des régimes coloniaux racistes, en appuyant des coups d’État d’extrême droite et des dictateurs répressifs, en facilitant le pillage des richesses par des sociétés multinationales et même en alimentant des génocides.

Au Rwanda, où l’on estime qu’un million d’hommes, de femmes et d’enfants ont été massacrés en l’espace d’une centaine de jours en 1994, c’est Israël qui a fourni les fusils, les munitions et les grenades qui ont rendu ce carnage possible. Littéralement, un transfert d’armes avait été effectué vers ce pays quinze jours à peine avant le bain de sang. Après avoir fait la tournée des théâtres des massacres, un marchand d’armes israélien avait exprimé sa fierté pour le travail qu’il venait d’accomplir, en prétendant « je suis en fait un docteur » parce que, avait-il ajouté, les armes qu’il avait fournies avaient aidé les victimes à mourir rapidement. La Cour suprême israélienne a rejeté les demandes de déclassification de la totalité des documents concernant l’implication d’Israël dans cette boucherie, conférant ainsi, comme elle le fait habituellement, une couverture de légitimité aux crimes de guerre israéliens.

Au cours de la guerre civile au Sud-Soudan, qui a tué un demi-million de personnes et en a déplacé 4 millions en quelques années à peine, Israël a continué à fournir des armes au régime soudanais du Sud et ce, même après qu’un embargo mondial des armes avait été mis en place par l’ONU. Un général israélien retraité avait créé sur place une ONG agricole bidon qui fut utilisée pour acheminer là-bas plus de 150 millions de dollars d’armes, même après que les Nations unies avaient rapporté d’énormes et graves violations des droits humains, y compris la formation et l’entraînement d’enfants soldats, la destruction de villages entiers par le feu, les viols systématiques, les massacres sans discrimination aucune, le pillage et la destruction des infrastructures, etc. Comme à son habitude, la Cour suprême israélienne rejeta les requêtes d’activistes en vue de déclassifier les documents illustrant l’importance réelle du rôle d’Israël dans la perpétration de ces atrocités.

De façon similaire, Israël alimenta la guerre civile en Angola pendant quatre décennies, fournissant des armes aux milices de droite soutenues par le gouvernement de l’apartheid sud-africain, et extrayant souvent des diamants du sang en guise de paiement. En d’autres endroits, Israël recourut à la tactique coloniale du diviser pour régner afin d’alimenter et d’armer des guerres permettant l’extraction facile des richesses naturelles africaines.

Israël continua de fournir des armes à la Rhodésie (le Zimbabwe actuel) au cours de sa domination coloniale blanche très répressive, même après que l’ONU eut imposé des sanctions en 1967, dans le même temps que la minorité blanche était engagée dans une répression brutale des aspirations indigènes à la libération. Israël arma et soutint le Portugal contre les mouvements de libération nationale de ses anciennes colonies (Mozambique, Angola et Guinée-Bissau). De même, Israël finança et entraîna la répression militaire des soulèvements anticoloniaux et/ou de la dictature en Côte-d’Ivoire, en République centrafricaine, au Bénin, au Cameroun, au Sénégal, au Togo, en Ouganda, au Nigéria et en Somalie.

En République démocratique du Congo (RDC), des généraux israéliens ont armé et entraîné Mobutu Sese Seko, responsable de l’assassinat du nationaliste panafricaniste Patrice Lumumba, l’un des assassinats les plus bouleversants du 20e siècle. Ils continuèrent d’armer et d’entraîner l’armée de Mobutu, facilitant ainsi son pouvoir militaire brutal. Israël soutint ensuite un coup d’État fomenté contre Mobutu par les Kabila (père et fils).

Israël fait la même chose dans le pays riche en pétrole qu’est la Guinée équatoriale, en collusion avec Exxon Mobil pour réprimer la dissension politique et faciliter le siphonnage des ressources de cette nation pendant que son peuple est embourbé dans une pauvreté effroyable. De la même façon, ce sont des armes, des formations d’entraînement et des forces israéliennes qui ont facilité le pillage par l’entreprise Chevron des ressources du Nigeria et de l’Angola.

Le cas peut-être le plus honteux du soutien israélien aux régimes coloniaux racistes eut pour théâtre l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce n’est qu’après la chute de ce régime peu glorieux que se révélèrent l’ampleur et la profondeur des connexions entre les deux nations. Israël fut l’allié le plus proche de l’Afrique du Sud, son principal fournisseur d’armes et, en fin de compte, son seul ami dans le monde. Les armes qui avaient abattu les enfants des écoles à Soweto avaient été fournies par Israël. Même après que les images de ce massacre eurent choqué le monde entier, Israël continua d’armer et d’entraîner l’Afrique du Sud, de partager avec elle ses renseignements et de se faire l’avocat de son racisme. Un article du New York Times, publié six ans après que la fameuse photo du corps sans vie d’Hector Pieterson avait été prise à Soweto, citait des responsables israéliens essayant de convaincre le monde d’envoyer des armes à l’Afrique du Sud, en déplorant que l’embargo imposé par l’ONU avait provoqué une pénurie de pièces de rechange chez leurs amis. Il ne faut pas oublier le fait qu’Israël partageait également sa technologie nucléaire avec le gouvernement de l’apartheid, ce qui aboutit à la possession par ce dernier d’un arsenal nucléaire, peut-être dans l’intention de placer plus tard toute l’Afrique sous son pouce.

En même temps que l’exportation de technologies de mort, de répression et de surveillance, il y a eu l’extraction des ressources naturelles, principalement des diamants bruts, qui ont constitué la plus importante exportation d’Israël depuis sa création en 1948 par les puissances coloniales, afin de remplacer la Palestine historique. En fait, l’extraction des diamants africains représentait près de la moitié de l’économie d’Israël, au lendemain de sa création. Aujourd’hui, les diamants polis comptent pour au moins un cinquième de toutes les exportations israéliennes. Avant le Processus de Kimberley, censé écarter du marché ce qu’on appelait les diamants de la guerre, l’extraction meurtrière des diamants africains constituait le moteur de l’économie d’Israël. L’extraction et la vente de diamants étaient liée à l’armement et le financement de guerres civiles, de conflits fratricides, de trafic d’êtres humains, de travail des enfants, de formation d’enfants soldats et de mutilations systématiques – le tout était inextricablement lié aux industries israéliennes du diamant et des armes.

Suite à l’instauration du Processus de Kimberley, Israël sauta sur l’occasion de reprendre à son compte des zones qui devinrent « hors limites ». Un réseau d’Israéliens s’établirent donc dans des régions en conflit telles que la Sierra Leone, l’Angola et la RDC et gagnèrent des milliards à échanger des diamants du sang contre des armes, des entraînements militaires et de l’argent. Deux pôles principaux de ce réseau furent Dan Gertler en RDC et Lev Leviev en Angola. Les diamants du sang échangés allaient être sortis de ces pays par d’anciens pilotes des forces aériennes israéliennes. Dans ce réseau, on trouve d’anciens généraux israéliens et des agents du Mossad qui gèrent l’armement, l’entraînement et la collecte de renseignements pour les milices et les dictateurs.

Ainsi donc, dans le même temps qu’un pilier de la richesse israéliennes était construit sur les corps et le sang des Palestiniens, l’autre pilier était construit, lui, sur les corps et le sang des Africains.

À ce jour, il y a très, très peu, voire pas du tout, de transparence quand il s’agit des exportations d’armes israéliennes, et l’industrie du diamant fonctionne plus ou moins comme un État dans l’État, après très peu de contrôle, voire pas du tout, de contrôle de la part du gouvernement. Il est certain qu’on ne demandera jamais des comptes à ce propos, même pas du côté de la Cour suprême.

Et nous ne disons encore rien de la destruction et de la torture systématiques des Palestiniens, c’est-à-dire de la société autochtone du pays. Le nettoyage ethnique systématique, la démolition des maisons, le vol des terres pour les réserver à l’usage exclusif des juifs, que l’on attire dans le monde entier à l’aide de stimulus financiers massifs afin qu’ils s’établissent sur des terres palestiniennes. Et nous ne disons rien non plus des violences infligées aux enfants, du ciblage des écoles, des lieux de culte et de la destruction des cimetières musulmans et chrétiens et de l’effaçage des preuves et vestiges archéologiques non juifs.

Il est hallucinant que des nations africaines invitent chez elles une telle force raciste et colonialiste. Et dans quelle optique ? Hormis sa camelote militaire et ses gadgets de surveillance, qu’est-ce qu’Israël peut offrir à l’Afrique que l’ingéniosité propre à celle-ci ne pourrait créer ? En investissant un tant soit peu dans l’éducation de leurs jeunes, il n’y a rien que les Africains ne pourraient faire pour eux-mêmes et, naturellement, pour le monde entier. Comprendre cela – en l’assimilant vraiment – voilà en fin de compte ce que signifie décoloniser. Et se dresser en solidarité avec ceux qui gémissent toujours sous les bottes des colonisateurs étrangers est l’expression minimale de ce que signifie être le souverain moral de sa propre histoire et de sa propre destinée.

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Susan Abulhawa est née en 1967 en Palestine, de parents réfugiés de la guerre des Six-Jours. Élevée en partie au Koweït, en Jordanie et dans la partie occupée de Jérusalem-Est, elle vit maintenant aux États-Unis.

Susan Abulhawa est l’auteur de « Les Matins de Jénine » (édité en français chez Buchet-Chastel en 2008), qui a remporté le Best Book Award 2007 dans la catégorie Fiction historique.
Elle est commentatrice politique, activiste pour les droits humains et fondatrice d’une organisation internationale pour la défense des enfants.
Son premier recueil de poésie « My voice sought the wind » est publié en 2013 chez Just World Books.
Sa deuxième publication en français, « Le Bleu entre le ciel et la mer » (« The Blue between Sky and Water »), est édité chez Denoël, en 2016.
Son dernier roman s’appelle Against the Loveless World. Bloomsbury et est édité chez Bloomsburry, Londres, en 2020.

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Publié le 22 novembre 2021 sur MRN Media Review Network
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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