Pourquoi Israël veut une situation de guerre permanente

Bien qu’il soit une menace nucléaire et le pire agresseur de la région du Moyen-Orient, Israël n’a jamais cessé de se prétendre victime de ses voisins.

11 juin 2021. Des soldats israéliens prennent position pour cibler de jeunes Palestiniens qui protestent contre l’occupation. (Photo : AFP)

 

Joseph Massad, 30 décembre 2021

 

Ces quelques dernières décennies, Israël n’a cessé de menacer l’Iran de guerre. Des interventions quasi théâtrales ont été mises en scène aux Nations unies, comme en 2012, quand l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a présenté un diagramme caricatural de bombe symbolisant la prétendue menace nucléaire iranienne ; ou quand, en 2018, il a brandi un dossier Google du plus pur style amateur, consacré à un site nucléaire iranien supposé.

Cette propagande israélienne a été accompagnée d’une pléthore de cris d’orfraie de la part des responsables militaires et civils du pays, lesquels n’ont plus cessé d’être interchangeables au moins depuis l’accession du général Yigal Allon au poste de Premier ministre intérimaire, en 1969 (bien que, plus tôt, d’autres Premiers ministres israéliens, dont David Ben-Gourion et Levi Eshkol, aient également joué des rôles militaires majeurs).

N’empêche, c’est Israël, et non l’Iran, qui est en possession de bombes nucléaires depuis les années 1960 – et c’est Israël qui avait manifesté l’intention de s’en servir durant la guerre de juin 1967 (la guerre des Six-Jours), ainsi qu’au moment où il avait frôlé la défaite, dans les premiers jours de la guerre d’octobre 1973 (guerre du Kippour).

Israël avait acquis la capacité de fabriquer des armes nucléaires de nul autre pays que la France, qui avait conspiré avec Israël dans l’invasion par ce dernier, en 1956, de Gaza et du Sinaï égyptien, en échange de quoi les Israéliens avaient demandé que la France leur construise un réacteur nucléaire à Dimona.

En 1973, affirme-t-on, Israël avait chargé 13 bombes nucléaires et était prêt à les larguer sur l’Égypte et la Syrie, si les États-Unis n’étaient intervenus avec un pont aérien d’armes qui allait faire basculer la guerre à l’avantage d’Israël.

L’ironie selon laquelle Israël, puissance nucléaire et le pire agresseur de la région du Moyen-Orient, se fait passer pour une victime de ses voisins, ne peut être surestimée. L’une des caractéristiques les plus remarquables de l’établissement en 1948 de cette colonie de peuplement fut son insistance à vouloir créer une situation de guerre permanente afin d’étendre son territoire au profit de la poursuite de la colonisation sioniste et de la sauvegarde de ses colons vis-à-vis de la résistance anticoloniale.

 

La persécution incessante

Bien des pays occidentaux qui avaient soutenu le plan de partition de l’ONU, en 1947, lequel accorda à Israël son certificat de naissance, ont prétendu qu’en soutenant la création d’Israël, ils cherchaient à éviter la guerre et la persécution des colons juifs si la majorité arabe en Palestine concrétisait l’indépendance dans un État unique.

Mais, en soutenant la création d’un État colonial de peuplement, ils infligeaient à l’ensemble du Moyen-Orient une situation de guerre permanente et de persécution incessante, toujours en cours, des Palestiniens et autres Arabes dont les territoires avaient été conquis par Israël.

Pour légitimer la situation de guerre permanente, Israël chercha très vite à faire passer ses citoyens comme des victimes réelles ou potentielles de guerres et de persécutions infligées par la résistance palestinienne et les États arabes, lesquelles, à leur tour, nécessitèrent de la part d’Israël le recours à la guerre permanente et à la persécution en guise de « représailles ».

Ceci fut évident dès 1948 déjà, pour les amis occidentaux d’Israël. L’expulsion par les Israéliens de la population palestinienne, ainsi que le débordement géographique d’Israël au-delà des territoires que lui avaient accordés les Nations unies, devinrent le casus belli pour qu’en mai de cette même année interviennent les armées des voisins arabes, faibles et mal équipées, dans le but de mettre un terme au nettoyage ethnique et à la colonisation en cours. Cette faiblesse des armées arabes, toutefois, était bien connue des Américains et des sionistes.

L’ancien secrétaire d’État américain, George Marshall, évaluait la situation comme suit :

« Toute la structure gouvernementale de l’Irak est mise en danger par des désordres politiques et économiques et le gouvernement irakien ne peut en ce moment se permettre d’envoyer davantage que la poignée de soldats qu’il a déjà dépêchés. L’Égypte a souffert récemment de grèves et de désordres. Son armée est insuffisamment équipée en raison de son refus de l’aide britannique et ce dont elle dispose, elle en a besoin pour ses tâches de police à l’intérieur même de son territoire. »

« La Syrie n’a ni d’armes ni d’armée dignes de ce nom et elle n’a pas été à même d’en organiser une depuis le départ des Français, il y a trois ans. Le Liban n’a pas de véritable armée et l’Arabie saoudite dispose d’une armée minuscule qui lui suffit à peine à assurer l’ordre entre ses tribus. Les jalousies entre les Arabes saoudiens et les Syriens d’une part et les gouvernements hachémites de Transjordanie et d’Irak empêchent même les Arabes de faire le meilleur usage de leurs forces existantes. »

 

« Une menace pour la paix internationale »

Un membre de la délégation américaine aux Nations unies faisait remarquer le 4 mai 1948 – quelques jours à peine avant l’intervention des armées arabes – que le Conseil de sécurité allait bientôt être confronté à la question de savoir

« si les attaques armées juives contre les communautés arabes en Palestine étaient légitimes ou si elles constituaient une menace pour la paix et la sécurité internationales au point de réclamer des mesures coercitives de la part du Conseil de sécurité ».

Le projet de mémorandum faisait également remarquer que, si les armées arabes entraient en Palestine, cela allait amener les forces juives à prétendre

« que leur État faisait l’objet d’une agression armée et (…) qu’il allait recourir à tous les moyens pour masquer le fait que c’était sa propre agression armée contre les Arabes à l’intérieur de la Palestine qui était la cause de la contre-attaque arabe ».

Quand Israël conspira avec la France pour envahir l’Égypte en octobre 1956, cela s’inscrivait dans le cadre du cycle de la guerre permanente qu’il recherchait. Les Israéliens occupèrent Gaza et le Sinaï et refusèrent de se retirer pendant quatre mois, en dépit de la condamnation par les Nations unies et les États-Unis. Finalement, Israël n’eut d’autre choix que de se retirer et de reconduire sa tentative une décennie plus tard.

En 1967, Israël allait prétendre, en déployant les mêmes arguments qu’en 1948, qu’il lui fallait envahir trois pays arabes de façon préemptive avant que ce ne soient eux qui l’attaquent. Israël occupa plus de terres encore et persécuta davantage de Palestiniens, de Syriens et d’Égyptiens. La chose allait être suivie par sa guerre incessante contre le Liban, qui débuta sous la forme de raids périodiques à la fin des années 1960 pour passer à des invasions directes en 1978 et 1982 et à davantage d’occupation et de persécutions des peuples libanais et palestinien.

En 1973, Israël abattit un avion de ligne civil libyen au-dessus du Sinaï, tuant la totalité des 106 personnes qui se trouvaient à bord. En 1981, l’attaque par Israël d’un réacteur nucléaire en Irak, qui était toujours en cours de construction par la France, fut également justifiée par les allégations d’Israël : « Nous avons par conséquent été forcés de nous défendre. »

Au fil des décennies, outre le fait d’avoir tué des dizaines de milliers de civils arabes et d’avoir créé des millions de réfugiés palestiniens, Israël déplaça un million d’Égyptiens durant la guerre d’usure du conflit israélo-arabe de la fin des années 1960 ainsi que des centaines de milliers de Libanais au cours des invasions du Liban à partir de 1978.

 

Une machine à tuer

Ces quelques dernières années, sous le prétexte de se défendre, Israël a périodiquement bombardé la Syrie, le Liban et Gaza. Dans le même temps, sa machine à tuer et ses persécutions, de pair avec ses envahisseurs coloniaux, continuent à cibler les Palestiniens en Cisjordanie et Jérusalem-Est occupées, ainsi que les Syriens dans les hauteurs du Golan.

La police et l’appareil juridique racistes d’Israël visent les citoyens palestiniens d’Israël. Pourtant, les propagandistes israéliens insistent sur le fait qu’Israël ne fait que « se défendre » contre l’agression de ceux qu’il opprime, colonise et envahit.

L’attaque en cours d’Israël contre le quartier palestinien de Sheikh Jarrah, déclenchée par sel vols de résidences palestiniennes, sa persécution raciste permanente des citoyens palestiniens d’Israël et son emprisonnement de deux millions de Palestiniens à Gaza ont déclenché une résistance palestinienne massive, en mai dernier.

Cette année, la capacité palestinienne à apporter une situation de guerre permanente en Israël même a constitué un précédent, transformant la confrontation israélo-palestinienne et l’équation militaire régionale de diverses manières importantes.

Depuis sa création, Israël a envahi la Palestine, la Jordanie, le Liban, l’Égypte et la Syrie ; il a bombardé l’Irak, le Soudan et la Tunisie ; il a adopté une position agressive envers d’Iran, la Libye, le Yémen, le Maroc et l’Algérie ; et il est le seul pays de la région qui possède des armes nucléaires et menace de s’en servir. N’empêche, Israël continue à prétendre sans vergogne que c’est lui la victime.

Il est clair que les prétextes et justifications d’Israël de son agression continue et du fait qu’il impose une situation de guerre permanente à la région s’appuient toujours et invariablement sur les mêmes arguments et cherchent sans cesse à atteindre les mêmes buts qu’il s’était fixés au moment de sa naissance.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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Publié le 30 décembre 2021 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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