Gaza : Une volontaire paramédicale dans chaque foyer
Des jeunes femmes ont lancé une initiative baptisée « Une volontaire paramédicale dans chaque foyer », qui a débuté qui a débuté dans les zones situées le long de la frontière s’étendant de Rafah à Beit Hanoun. Ces zones sont d’ordinaire difficiles à atteindre en raison de leur classification sécuritaire, ainsi que pour d’autres raisons logistiques. Depuis, l’initiative a réuni 500 volontaires, dont 70 pour 100 de femmes, la plupart étant des ménagères vivant dans des lieux marginalisés. Elle est ouverte à tout le monde, aux hommes comme aux femmes.
Les femmes de Gaza défient les crises de diverses façons, en inventant des méthodes créatives afin de rester résilientes, de trouver des espaces de solidarité et de force sociale. Au vu de la menace de violence coloniale, les femmes palestiniennes de Gaza, à l’instar du reste de la population, deviennent des victimes des raids aériens meurtriers, de l’état de siège, des démolitions de maisons et des destructions de propriétés, et deviennent également les cibles de violations des droits humains fondamentaux, comme la privation d’éducation, de logement, de travail et de liberté de mouvement. Tout cela vient s’ajouter aux fardeaux sociaux, économiques et mentaux qu’il leur faut supporter.
Les femmes de Gaza luttent contre l’exclusion dès leur plus jeune âge. Par exemple, quand c’est le moment de s’inscrire dans l’enseignement supérieur, les femmes sont repoussées vers les branches qui « conviennent » à leur rôle social prédéterminé, tels les domaines relatifs à la « prestation de soins », ou qui sont « socialement acceptables ». Malgré cela, et à la lumière de ce contrôle sociétal, Hanan Abou Qassem et un groupe de femmes ont cherché à pénétrer ces espaces – et même à aller au-delà – par le biais de leur initiative, « Une volontaire paramédicale dans chaque foyer ».
Hanan est née en Arabie saoudite et elle est retournée à Gaza à l’âge de 16 ans, où elle a d’abord étudié l’anglais et travaillé dans la traduction et l’enseignement, qui sont des secteurs de l’emploi fréquentés par plus de 70 pour 100 des femmes de Cisjordanie et de Gaza. Toutefois, plus tard, Hanan s’inscrivait à l’Applied Future Polytechnic College de Gaza et obtenait un diplôme d’assistante paramédicale licenciée, spécialisée en premiers soins et en urgence médicale. Elle est l’une des fondatrices des services médicaux féminins d’urgence du Croissant-Rouge palestinien.
Des volontaires paramédicales dans les stades
Pour Hanan et sa collègue Manal Msalla, le principal défi consistait à pénétrer au sein du contrôle sociétal des lieux de travail des femmes, ce qui correspondait entre autres à briser le monopole des hommes dans les stades en tant qu’espaces socialement attribués aux hommes. Les deux jeunes femmes, qui avaient travaillé comme volontaires paramédicales au cours des trois guerres précédentes dans la bande de Gaza, furent à même de travailler en tant qu’équipe urgentiste attachée à un stade. Rien ne les empêchait d’accomplir cette tâche, puisqu’aucune loi n’interdit aux femmes de travailler dans les stades ou d’y pénétrer.
« Les femmes sont totalement absentes des stades et, même dans les stands des supporters, il n’y a pas de femmes. Dans notre travail d’aide urgente dans les stades, certains nous acceptaient, alors que bien d’autres nous répondaient avec dédain et critique, malgré notre engagement à porter des tenues islamiques. »
L’hégémonie du pouvoir et le texte religieux
Les deux jeunes femmes ont également été confrontées à l’opposition du gouvernement de Gaza, qui les a incitées à consulter l’histoire et l’héritage de l’Islam autour des récits du Prophète (Sirah) et de ses compagnons afin de défendre leur droit humain via les textes historico-religieux soutenant leur position.
« Nous avons cité plusieurs histoires de compagnonnes qui dressaient les tentes sur les champs de bataille, comme Khawla bint al-Azwar… Par conséquent, nous étions en mesure d’éviter les heurts avec les autorités. Avec le temps, nos cercles sociaux ont fini par accepter notre présence sur les terrains de sport et les stades en tant que volontaires paramédicales et notre équipe s’est étoffée pour passer à cinq femmes bénévoles. »
Les zones marginalisées comme point de départ
Les jeunes femmes ont mis en exergue le projet « Une volontaire paramédicale dans chaque foyer », qui a débuté à partir des zones situées le long de la frontière s’étendant de Rafah à Beit Hanoun. Ce sont des zones habituellement difficiles à atteindre en raison de leur classification sécuritaire ainsi que pour d’autres raisons d’ordre logistique. Les « Marches du Retour » ont constitué une motivation majeure en vue de lancer l’« initiative » aux frontières.
« L’initiative a commencé à fonctionner dans les zones en bordure des territoires palestiniens occupés puisqu’il est difficile pour les ambulances d’accéder à ces zones, surtout en temps de guerre. Le temps généralement requis pour appeler une ambulance et assurer la coordination nécessaire (avec les institutions gouvernementales à Gaza) afin de sauver la vie du patient est trop long et les personnes qui ont besoin de soins médicaux voient souvent disparaître leurs chances de survie. »
La solidarité sociale
L’« initiative » a adressé un appel ouvert à tous les groupes de ces zones, rendant ainsi public ce modèle de volontariat de masse. Cela a servi à encourager la solidarité sociale, ce qui a créé un sentiment de sécurité, même s’il n’était que relatif.
« Nous nous sommes mises à former des personnes de divers groupes sociaux à la zone frontière. Là, nous avons désigné des maisons spécifiques que nous avons choisies, mais nous n’avons pas fait que former les gens qui vivaient dans ces maisons, nous avons également formé les gens de la zone en général. Nous avons placé une marque phosphorescente brillante sur les maisons afin d’identifier celles qui disposaient d’un kit de secours d’urgence à l’intérieur. Le but de la formation était que chaque personne comprenne qu’elle était capable d’apporter les premiers soins avec des objets ménagers, comme des nappes propres, de la gaze et de l’eau, et de neutraliser les blessures ou de ligaturer une blessure qui saigne jusqu’à l’arrivée d’une ambulance. »
Cette « initiative » essaie de découvrir d’autres façons permettant de fournir un traitement allant au-delà de celui des blessures provoquées par les agressions de l’occupation, comme prendre soin de l’alimentation quotidienne des gens ou s’occuper des cas d’asphyxie infantile ou de certaines brûlures et blessures typiques. Cette approche révèle une perspective humanitaire qui transcende la guerre et les priorités politiques qui imposent certaines limites aux gens et à leurs pratiques, faisant une distinction entre ce qui est considéré comme une blessure « urgente » et une blessure « non urgente ».
Il y a du pouvoir, dans cet acte, qui est confronté à la fragilité humaine et qui s’occupe de la douleur humaine régulière, établissant ainsi une pratique politique libre, juste et légitime :
« Il nous fallait enclencher cette initiative et la poursuivre, parce qu’il y a une autre vie à Gaza, outre les blessures qui saignent qui constituent la plupart des cas à l’intérieur de l’enclave, naturellement, en raison des guerres successives. Nous avons étendu la portée de notre travail jusqu’au secteur central de Deir al-Balah, où nous avons choisi les maisons qui sont situées à l’écart des rues que les ambulances peuvent habituellement atteindre, comme celles qui se trouvent au beau milieu d’un quartier aux ruelles très étroites. Nous avons alors invité les femmes à assister à la session de formation. Nous suivons la stratégie suivante : Nous ne parlons pas aux femmes du kit d’urgence. Nous les formons plutôt à utiliser les objets usuels dont elles disposent chez elles. Puis, à la fin de la formation, après que les femmes ont maîtrisé ces outils, nous plaçons le kit dans une maison spécifique et tout le monde est informé qu’en cas d’extrême nécessité, on peut avoir accès au kit. »
L’initiative a rassemblé 500 volontaires, dont 70 pour 100 sont des femmes, la plupart étant des ménagères d’endroits marginalisés. Elle est ouverte à tout le monde :
« Quand nous avons invité les femmes à organiser les ateliers, nous avons été surprises de voir que des hommes les accompagnaient. Eux aussi voulaient découvrir et apprendre ces pratiques. Plusieurs hommes sont venus avec leurs femmes et les ont encouragées à apprendre. »
Le refus du financement inféodé
Confrontée à la question du financement, l’initiative a cherché à rejeter tous les fonds inféodés, dénonçant ainsi la dépendance vis-à-vis d’un donateur occidental qui aspire à « autonomiser » les femmes sur le plan économique et social, tout en ignorant leur « autonomisation » sur le plan politique ; c’est-à-dire en ne leur permettant pas d’assumer des rôles actifs dans la résistance à l’occupation. « Une volontaire paramédicale dans chaque foyer » est, en fait, un projet qui crée un espace pour la résistance publique et qui ouvre un espace actif permettant aux femmes de combler le fossé entre les rôles politiques et sociaux.
Notre principal défi était de fournir les kits de premiers soins aux maisons, surtout à celles situées dans les zones frontalières Nous avons appris l’existence du ‘Fonds Rawa’ et du soutien qu’il apporte, et nous lui avons adressé une demande, entre autres initiatives. Par chance, nous avons bénéficié du financement et nous avons donc été en mesure de fournir les kits nécessaires. »
Des femmes marginalisées
« Une volontaire paramédicale dans chaque foyer » a été en mesure d’atteindre les groupes sociaux confrontés quotidiennement à des obstacles économiques et sociaux qui entravaient leur existence et les empêchaient de s’impliquer dans le moindre rôle public et social. Les bénévoles féminines dans le projet jouent un rôle actif en se chargeant du fardeau de l’effondrement du système de santé, en le redéfinissant donc, ce qui est un acte « politique », et en décrivant effectivement ce que signifie être politiquement impliqué en relation avec les besoin des gens, en particulier avec les femmes marginalisées, quand le pouvoir de la solidarité et le soutien collectif se cristallisent en une force qui leur permet de se protéger elles-mêmes et de soutenir leur communauté.
« Le but était de contacter les femmes dans les zones marginalisées, celles que l’on n’atteint pas facilement et qui n’ont pas suffisamment d’argent pour circuler dans les transports publics afin de rallier les ateliers tenus dans des endroits éloignés de leur zone de résidence. Nous voulions aller à l’intérieur de leurs maisons, être proches des femmes dans leur environnement habituel et dans leur style de vie, et les mettre en mesure d’utiliser les outils déjà à leur portée, pas uniquement pour les premiers secours, mais aussi pour apprendre à éteindre un feu ou empêcher une fuite de gaz, par exemple. Nous parlons de rompre des barrières et d’encourager les femmes à prendre l’initiative, et ceci en soi constitue une révolution… Nous sommes toujours très bienvenues parmi les communautés, ce qui nous confère à toutes un fort sentiment d’autonomisation. »
Les données et le taux de chômage parmi les femmes de Gaza, qui dépasse 68 pour 100, ne reflètent pas le rôle joué par les femmes bénévoles dans l’« initiative ». Les femmes consentent d’énormes efforts non payés et elles accomplissent des « devoirs » volontaires pour aller au-devant des besoins du secteur de la santé :
« Nous avons été surprises que les femmes qui nous recevaient invitaient toujours toutes les femmes qu’elles connaissaient et qui étaient toutes remplies du désir d’apprendre. Par exemple, quand nous attendions 10 femmes dans une session de formation, il y en avait chaque fois 40 ou 50 qui venaient… »
Le projet visait à briser les stéréotypes à propos de « la faiblesse et l’impuissance » des femmes. Par conséquent, il ne leur suffisait pas d’enseigner les matières d’apprentissage fournies par les ateliers dans tout Gaza. L’« initiative » invite plutôt la communauté à se libérer des « traditions » communes, y compris la ségrégation de genre :
« Pendant la formation, nous avons fourni de l’aide aux hommes et aux femmes dans les mêmes proportions, et la communauté a commencé à s’y habituer. »
Le voyage qu’est la guérison d’un traumatisme
Ce projet promeut l’espoir, il renverse les barrières de la crainte, se dresse contre l’intimidation sociale des femmes en leur donnant du pouvoir en lieu et place et en reconstruisant que ce brise la guerre dans le cœur des gens. Les femmes s’engagent dans un travail politique et humanitaire qui ouvre les portes de la guérison progressive, puis complète, d’un traumatisme, les aidant à mesure qu’elles s’extirpent de la détresse et de l’impuissance :
« Cette initiative couvre la longueur et la largeur de la bande de Gaza. L’une des rencontres les plus difficiles pendant nos sessions a eu lieu durant la formation de 2019. C’était l’histoire d’une femme qui avait perdu toute sa famille pendant la guerre, elle était la seule survivante. Quand elle rallia l’atelier, le fait de raconter son histoire et d’acquérir les outils nécessaires pour sauver d’autres personnes l’avait aidée dans le processus de guérison de son traumatisme. »
Par ailleurs,
« il y a des femmes et des filles extraordinaires qui défient en permanence le patriarcat de la société, quand ce dernier montre parfois le bout du nez lors de nos sessions de formation, essayant ainsi de propager sa toxicité. Les femmes ont été plus que capables d’y faire face, et ce, au moyen d’un argument aussi simple que celui-ci : Nous apprenons à sauver des vies et, aux moments où cela sera nécessaire, vous nous trouverez à vos côtés afin de vous aider. »
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Publié le 23 janvier 2022 sur Assafir Al-Arabi
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine