Boycotter la Russie est obligatoire, alors que le boycott d’Israël est puni

Boycotter un pays accusé d’agression en violation des lois internationales est brusquement devenu justifiable et même une obligation morale – mais, en apparence, seulement quand il s’agit de la Russie.

27 février 2022, Rome, Italie. Pendant l’échauffement qui précède un match, l’entraîneur du club de football italien de la Lazio porte un t-shirt sur lequel est inscrit « Non à la guerre ». (Photo : Giuseppe Fama / Pacific Press / SIPA USA)

Tamara Nassar, 2 mars 2022

Depuis que l’invasion de l’Ukraine monopolise les titres, on assiste à de larges démarches en vue d’exclure la Russie et les Russes des événements sportifs et culturels.

Cela vient s’ajouter aux sanctions massives prises par les EU, le Canada et les pays européens contre le système financier, l’économie et les compagnies aériennes de la Russie.

La rapidité avec laquelle la Russie est devenue un paria dans le monde des sports est un camouflet à la face des Palestiniens qui ont vu des équipes et des fédérations s’inscrire en faux contre leur ligne de boycott, prétendument pour garder la politique en dehors du sport.

Et surtout, contrairement à la Russie, les EU n’ont pas connu de telles exclusions et sanctions après qu’ils avaient envahi illégalement l’Irak en 2003.

Boycotter un pays accusé d’agression en violation des lois internationales est brusquement devenu justifiable et même une obligation morale – mais, en apparence, seulement quand il s’agit de la Russie.

De façon étonnante, un grand nombre des mesures contre la Russie sont appliquées par exactement les mêmes organisations qui, à de multiples reprises, ont ignoré ou rejeté les appels émanant de Palestine à sanctionner Israël, son oppresseur.

Exclusion de la Coupe du Monde

La FIFA, l’institution qui dirige le football mondial et l’UEFA, qui gère le football européen, ont annoncé lundi que les équipes nationales et les clubs russes seraient bannis de toutes les compétitions pour une durée indéterminée.

Dimanche, la FIFA a fait part de sa « condamnation du recours à la force par la Russie » et de « sa solidarité la plus profonde » avec les Ukrainiens.

Elle a également annoncé des mesures « initiales » dont l’interdiction pour la Russie d’accueillir des compétitions ou d’y participer sous son nom de pays.

Mais même ces mesures punitives sévères n’ont pas suffi. La FIFA a été fortement critiquée pour n’avoir pas exclu entièrement la Russie de la Coupe du Monde.

Plusieurs équipes européennes ont déclaré qu’elles refuseraient de jouer contre la Russie lors des matches de qualification de la Coupe du Monde.

La FIFA a cédé aux pressions, imposant une interdiction totale qui empêchera la Russie à participer à la Coupe du Monde cette année.

Les Palestiniens demandent depuis longtemps que la FIFA sanctionne la Fédération d’Israël de football parce qu’elle reprend en son sein des équipes israéliennes établies dans des colonies de Cisjordanie, ainsi qu’en raison des agressions israéliennes contre des athlètes palestiniens.

Toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, dont Jérusalem-Est, et dans les hauteurs syriennes du Golan, sont illégales selon les lois internationales et leur existence est considérée comme un crime de guerre.

En fait, les réglementations mêmes de la FIFA interdisent aux fédérations nationales de jouer sur le territoire d’un autre membre sans sa permission, et c’est précisément ce que fait Israël en Cisjordanie occupée.

Malgré cela, la FIFA n’a jamais écouté ces appels ni forcé Israël à concourir sans son drapeau et son hymne national ou à jouer exclusivement en terrain neutre.

La FIFA se vante de la façon dont elle a expulsé l’Afrique du Sud quand elle se trouvait sous son régime suprémaciste blanc d’apartheid.

Pourtant, aujourd’hui, même si d’importantes organisations mondiales des droits humains ont conclu qu’Israël se rendait bel et bien coupable du crime contre l’humanité qu’est l’apartheid et ont demandé des sanctions, la FIFA refuse toujours d’entreprendre la moindre action.

Le fameux « oligarque » russo-israélien

Pendant ce temps, Roman Abramovich, le propriétaire du Chelsea Football Club, a transféré « la gestion et l’entretien » de son club aux administrateurs de sa fondation de bienfaisance.

Il s’avère que cette démarche vise à éviter les sanctions du gouvernement britannique contre les prétendus « oligarques », ces très riches ressortissants russes accusés d’entretenir des relations avec le président Vladimir Poutine.

Abramovich, qui est russe mais qui a acquis la nationalité israélienne en 2018, ne figurait pas sur la liste initiale des ressortissants russes sanctionnés telle qu’elle avait été établie par le gouvernement britannique.

Le gouvernement britannique promet d’ajouter d’autres noms à cette liste, mais on l’accuse de traîner – et ce retard pourrait potentiellement permettre à certaines cibles de transférer ou de dissimuler des avoirs.

« Je m’inquiète de l’extrême lenteur de cette démarche du gouvernement, au point que sa proie lui échappe », a déclaré mardi David Davis, un ancien ministre.

« Nous devons viser les oligarques qui possèdent des clubs de football dans lesquels nombre de nos concitoyens n’ont même plus les moyens de se rendre », a ajouté Davis, en citant Abramovich en particulier.

Davis a déclaré au Parlement – où il jouit de l’immunité contre tout procès pour diffamation ou calomnie – qu’Abramovich était « l’un des hommes qui gère les affaires commerciales de Poutine ».

Il convient de remarquer que le porte-parole d’Abramowich a déclaré que le milliardaire avait été courtisé par les Ukrainiens « afin de soutenir la concrétisation d’une résolution pacifique ».

On ne voit pas clairement ce qui pourrait en ressortir, toutefois, ou si cette allégation n’est tout simplement qu’une tentative d’Abramovich en vue de conjurer les sanctions.

Il est curieux cependant qu’Abramovich n’ait jamais subi l’opprobre ou les appels aux sanctions pour des choses qu’on sait qu’il a faites : Précédemment, le milliardaire a contribué pour plus de 100 millions de USD à Elad, un groupe de colons israéliens qui s’empare de terres et d’habitations palestiniennes à Jérusalem-Est occupée.

Ceci signifie qu’Abramovich aide directement Israël en lui facilitant l’occupation et la colonisation de la ville, ce que même le gouvernement britannique condamne en tant que violation des lois internationales.

Le club de Chelsea est bien connu pour le racisme et l’antisémitisme rampants de ses supporters.

Les JO boycottent la Russie

Le bannissement des sports russes va bien au-delà du football.

Le Comité international olympique a préparé la voie au boycott la semaine dernière en invitant toutes les fédérations sportives internationales à organiser ailleurs ou à annuler les événements devant se dérouler en Russie et en Biélorussie.

La Biélorusse, un pays voisin de la Russie et qui a accueilli des pourparlers de paix ces derniers jours, est une très proche alliée de Moscou.

Le CIO a également insisté pour qu’« aucun drapeau national russe ou biélorusse ne soit déployé et que l’hymne national russe ou biélorusse ne soit pas joué » lors d’événements sportifs internationaux.

Et les fédérations sportives ont tenu compte de l’appel.

Parmi ces fédérations figurent l’Union internationale de biathlon, qui interdit les drapeaux russes et biélorusses, et la Fédération internationale de tennis, qui a annulé définitivement tous les événements devant se dérouler en Russie.

Les Championnats européens de curling prévus plus tard cette année en Russie seront reportés.

La Fédération internationale de ski a annoncé que tous les événements de cette année en Coupe du monde seraient annulés et que les athlètes russes seraient empêchés d’y participer.

L’hypocrisie règne, en judo

Pendant ce temps, la Fédération internationale de judo a suspendu Poutine en tant que président honoraire « à la lumière du conflit guerrier en cours en Ukraine ».

L’organisation a également reporté une prochaine compétition de judo initialement prévue en mai en Russie.

La Fédération internationale de judo a été un instrument de la normalisation des relations sportives avec Israël et les nations arabes avec lesquelles Tel-Aviv n’avait pas de relations diplomatiques officielles, à l’époque.

En 2018, la ministre israélienne de la Culture de l’époque, Miri Regev, avait rencontré Marius Vizer, le président de la fédération de judo, et l’avait « soumis à d’intenses pressions », rapportait le journal israélien The Jerusalem Post.

C’est l’influence de Regev qui amena l’organisation à annuler deux de ses événements aux Émirats arabes unis (EAU) et en Tunisie suite au refus des deux pays de normaliser la participation israélienne à ces événements.

La Fédération de judo des EAU capitula finalement face à la demande israélienne de déployer son drapeau et de faire jouer son hymne national lors du Grand Slam d’Abou Dhabi en octobre 2018, au cours duquel Regev pleura d’émotion quand l’hymne israélien retentit dans l’émirat.

Ce n’est qu’en août 2020 que les EAU et Israël officialisèrent leurs relations diplomatiques.

Si la FIJ voulait agir comme faiseuse de « paix », même quand Israël continue à occuper militairement la terre des Palestiniens, des Syriens et des Libanais, tout en menant régulièrement des campagnes militaires contre des civils, pourquoi a-t-elle boycotté la Russie au lieu d’insister pour unir Russes et Ukrainiens ?

Il semblerait que seuls certains actes d’agression soient punis.

Et, il y a quelques mois à peine, la Fédération internationale de judo a suspendu deux athlètes pour 10 ans parce qu’ils avaient refusé de concourir contre un Israélien lors des derniers JO d’été de Tokyo – en protestation contre les violations israéliennes au détriment des Palestiniens.

Le judoka algérien Fethi Nourine avait déclaré forfait lors d’un match éliminatoire qui aurait potentiellement pu l’opposer à un compétiteur israélien. Son homologue soudanais dans le match éliminatoire, Mohamed Abdalrasool, refusa lui aussi de concourir contre l’Israélien.

Les deux hommes furent accusés par l’organisation d’avoir des « intentions malveillantes » et de ce que « leur protestation et leur promotion de propagande politique et religieuse » aux Jeux olympiques constituaient « une atteinte manifeste et grave aux statuts de la FIJ ».

Les boycotts culturels

La mesure la plus étonnamment hypocrite de toutes, cependant, a été l’interdiction pour la Russie de participer au prochain Concours Eurovision de la chanson.

La participation de la Russie « allait nuire à la réputation du concours », a déclaré l’Union européenne de radio-télévision (UER), l’organisation qui organise le concours. L’UER a expliqué que la décision « s’appuyait sur les réglementations de l’événement » et les « valeurs » de l’organisation.

Le Concours Eurovision de la chanson 2019 a été organisé à Tel-Aviv malgré des appels répétés et une campagne internationale visant à le boycotter en raison des crimes de guerre commis par Israël contre les Palestiniens.

Durant la période qui précéda le concours, des artistes et des personnalités culturelles d’Europe dénoncèrent le fait que le concours avait lieu en Israël. À Genève, des activistes remirent une pétition de 136 000 signatures au siège de l’UER contre l’organisation du concours à Tel-Aviv.

Ces réclamations, toutefois, furent ignorées.

En fait, afin de célébrer le concours musical, des diplomates européens offrirent une fête au parc Charles Clore à Jaffa, aménagé sur les vestiges d’un village victime d’une épuration ethnique, et cette fête eut lieu le jour même où les Palestiniens commémorèrent ce crime.

Même quand Israël avait bombardé les Palestiniens à Gaza, en mai dernier, tuant des familles entières dans les lieux sacrés qu’étaient leurs maisons, ces organisations n’avaient témoigné aucune solidarité avec les Palestiniens, en dépit des protestations massives à l’échelle mondiale.

Le fait qu’Israël a l’habitude de blesser, handicaper, mutiler ou tuer des athlètes palestiniens et qu’il détruit délibérément les centres culturels et installations sportives des Palestiniens, a à peine obtenu une fraction de ce soutien auprès des institutions sportives et culturelles internationales.

Récompenses et punitions

Ruslan Malinovskyi, un milieu de terrain ukrainien qui joue pour le club de foot italien de l’Atalanta Bergame, a exhibé un t-shirt sur lequel il était inscrit « Pas de guerre en Ukraine » après avoir marqué un but lors d’un match de l’UEFA Europa League, la semaine dernière.

Les usages des médias sociaux et les médias ont célébré son geste.

Au contraire, une sanction avait été infligée à Frédéric Kanouté, alors qu’il jouait à Séville, parce qu’il avait montré le mot « Palestine » sous son maillot, lors de l’agression israélienne contre Gaza, en 2008-2009, qui avait tué 1 400 Palestiniens, dont une majeure partie de civils et plus de 300 enfants.

Alors que quasiment toute expression de solidarité sportive et culturelles ou de boycott en guise de soutien de la Palestine est interdite, ostracisée et même sanctionnée, protester contre la Russie est rapidement en train de devenir obligatoire.

La Fédération internationale des échecs a sanctionné le grand maître russe Sergey Karjakin pour avoir soutenu le président de son pays. Il avait exprimé son soutien total « à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine ».

Dans le même temps, Valery Gergiev a été licencié cette semaine de sa charge de premier chef d’orchestre de l’Orchestre philharmonique de Munich pour « n’avoir pas critiqué » Poutine, rapporte la chaîne de diffusion du gouvernement allemand Deutsche Welle.

 

°°°°°

Publié le 2 mars 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...