La famille du grand-père palestino-américain tué par Israël réclame une enquête des EU

La famille d’un grand-père palestino-américain mortellement agressé par des soldats israéliens en janvier demande à l’administration Biden qu’elle ouvre une enquête.

Une photo de famille de 2019 montre le grand-père palestino-américain Omar Assad, à gauche, et sa femme Nazmieh partageant un repas dans le patio de leur maison à Jiljilya, en Cisjordanie occupée. (Photo : avec l’aimable autorisation de la famille)

Une photo de famille de 2019 montre Omar Assad, à gauche, et sa femme Nazmieh partageant un repas dans le patio de leur maison à Jiljilya, en Cisjordanie occupée. (Photo : avec l’aimable autorisation de la famille)

Ali Abunimah, 16 mai 2022

« Un citoyen américain réclame justice depuis sa tombe », a écrit Stanley Cohen, l’avocat de la famille d’Omar Assas, à l’adresse du ministre américain de la Justice, Merrick Garland, le mois dernier.

The Electronic Intifada a pu obtenir une copie du document de onze pages, qui fournit des détails émouvants sur la vie d’Omar Assad et sur sa mort poignante dans les toutes premières heures du 12 janvier dernier, dans une rue de Jiljilya, le village calme de la Cisjordanie, au nord de Ramallah, où il était né.

Le document explique l’impact dévastateur du crime sur Nazmieh, l’épouse d’Omar Assad, sur leurs sept enfants nés aux États-Unis, leurs dix-sept petits-enfants, leurs trois arrière-petits-enfants et leurs communautés, tant en Palestine qu’aux États-Unis.

Il y a une dizaine d’années, Assad et sa femme décidaient de construire une nouvelle maison à Jiljilya. C’était leur récompense après quatre décennies de dur labeur aux États-Unis, pendant lesquelles ils avaient élevé une famille et tenu plusieurs petites épiceries à Milwaukee et environs, dans le Wisconsin.

Ç’allait être la façon idéale pour eux de profiter de leurs vieux jours à proximité de leur famille et de leur communauté dans leur patrie d’origine.

Mais, au lieu de la paisible retraite qu’ils avaient espérée, leur périple s’est terminé dans l’horreur.

« Nos existences sont assombries, désormais », dit Hala, l’une des cinq filles du couple, elle-même mère de deux enfants. « Mon père m’appelait plus souvent que ma mère, simplement pour bavarder et parler de la vie, et voir si je n’avais besoin de rien », peut-on lire dans la lettre qui cite ses propos.

« Entendre sa voix, ses plaisanteries ou ses opinions ou tout ce qu’il avait à dire ou pas, c’était épanouissant. Je n’ai plus ça, désormais. »

« Ma vie a beaucoup changé ; chaque jour, je m’éveille en pensant que je ne reverrai plus mon père », dit Hani, le fils du couple qui vit en Virginie. « Je n’aurais jamais pensé que mon père serait tué par toute une bande de soldats israéliens. »

Un soir de sortie typique

En cette soirée tragique, Omar Assad s’était rendu à la maison d’un cousin, pour jouir d’une rencontre typique avec sa famille élargie, manger, boire du café, regarder la TV, jouer aux cartes et bavarder.

Il avait quitté la maison de son cousin après minuit pour parcourir en voiture la courte distance qui le séparait de sa maison. En cours de route, il avait été bloqué par des soldats israéliens. Nazmieh croit que son mari n’avait sur lui que son permis de conduire américain et qu’il avait laissé son passeport américain à leur domicile.

Même après une décennie en Cisjordanie, le couple n’avait toujours pas de cartes d’identités, lesquelles doivent être approuvées par les autorités d’occupation israéliennes.

Ce qui se passa ensuite fut reconstitué bribe par bribe à partir de témoignages oculaires et de preuves physiques. On ne sait pas tout mais « plusieurs choses sont certaines », peut-on lire dans la lettre de Stanley Cohen.

« Omar a été extrait de la voiture par les FDI [l’armée israélienne] avec une telle force que l’une de ses chaussures a été arrachée de son pied et est restée dans la voiture »,

écrit Cohen.

« Il a été menotté à l’aide de liens colsons, les mains derrière le dos, la bouche couverte d’adhésif et les yeux occultés ou couverts d’un sac. »

« De par la position de son corps, on sait qu’il a été traîné depuis sa voiture sur un grand nombre de mètres et forcé de marcher ou d’avancer, les mains liées et la bouche couverte, ce qui a rendu sa respiration malaisée »,

déclare l’avocat.

En s’appuyant sur des témoignages oculaires, The Washington Post a rapporté qu’Assad avait été amené dans un site en construction où d’autres Palestiniens avaient également été enfermés.

Ils ont vu un soldat israélien aller contrôler Omar Assad qui « gisait immobile sur le carrelage d’une maison inachevée » et, ensuite, selon le Post, les soldats sont partis « presque immédiatement ».

« Quand les soldats des FDI ont compris qu’Omar Assad était mort sous leur garde », écrit Cohen, ils « se sont éclipsés en toute hâte dans la nuit ».

L’un des autres villageois arrêtés et retenus sur le site est allé près d’Omar Assad et

« a retiré une veste dont on avait recouvert sa tête ainsi qu’une écharpe rouge nouée sur ses yeux et il avait vérifié son rythme cardiaque dans son cou »,

a encore rapporté le Post.

Mais il n’avait senti aucune réaction. Les efforts d’un médecin local en vue de ranimer Omar Assad ont été vains eux aussi.

« Ils l’ont torturé »

Omar Assad, qui avait 78 ans, avait une surcharge pondérale et ne bénéficiait pas d’une santé parfaire, explique sa famille. En 2014, il avait dû subir un quadruple pontage cardiaque, mais cela ne l’avait pas empêché de retourner à la vie sociale active qu’il affectionnait.

Comme l’a dit The Washington Post, une autopsie a découvert qu’Omar Assad était mort à la suite d’une

« attaque cardiaque émanant d’un stress probablement provoqué par le fait d’avoir été entravé et bâillonné et détenu dans la froidure d’un site en construction ».

L’examen a également

« trouvé des preuves qu’Omar Assas était été entravé de façon très serrée en même temps qu’on lui avait bandé les yeux ; il présentait des traces de frottement excessif aux poignets et de petites hémorragies à l’intérieur des globes oculaires ».

Désormais, la famille effondrée d’Omar Assad doit essayer de vivre avec ces séquelles.

« Il est très difficile de réfléchir à ce qui lui est arrivé dans ses derniers moments », dit Noha, la plus jeune fille d’Omar Assad.

« Ils l’ont torturé ; ce qu’ils lui ont fait me hante en permanence quand je suis éveillée et quand je dors. »

« Je lutte pour penser à ses derniers instants, il était tout seul »,

ajoute-t-elle.

Pas d’échappatoire à l’apartheid

L’intention originale de Nazmieh et d’Omar Assad n’était pas de s’installer en permanence à Jiljilya.

Ils avaient espéré alterner leurs séjours entre la Palestine, où ils auraient évité les rudes hivers du Midwest, et Milwaukee, où ils auraient pu consacrer du temps à leurs enfants et à leurs petits-enfants.

Mais, du fait qu’ils étaient palestiniens, le système d’apartheid israélien ne leur a pas accordé le droit de vivre librement dans leur patrie.

Au contraire des juifs de partout dans le monde qui peuvent tout simplement s’installer en Israël ou en Cisjordanie occupée, les Palestiniens doivent attendre que les autorités d’occupation israéliennes leur octroient une carte d’identité, même pour pouvoir vivre dans leur village natal.

Et ce privilège n’est disponible que pour ceux qui, comme les Assad, ont un passeport américain ou autre. Des millions de réfugiés palestiniens apatrides ne peuvent rêver ne serait-ce que de visiter leur propre patrie.

Le couple était libre de quitter la Cisjordanie à tout moment, mais sans les cartes d’identité fournies par Israël, il n’y avait jamais de garantie qu’Israël allait leur permettre de rentrer de nouveau. Et c’est ainsi qu’ils avaient fini par vendre leur maison et deux épiceries dans le Wisconsin et de s’installer pour de bon à Jiljilya.

Au fil des années, les visites de leurs enfants ont été peu nombreuses et à grands intervalles. La lettre de Stanley Cohen détaille les tracasseries que les membres de la famille ont subies quand ils visitaient la Cisjordanie – le type de mauvais traitement raciste auquel Israël soumet habituellement les Palestino-Américains.

Rien de tout cela n’a changé après le décès d’Omar Assad.

« Nazmieh ne peut même pas quitter ce lieu de tristesse et de tourment et retourner dans sa ville tant aimée de Milwaukee »,

écrit Cohen.

L’absence de carte d’identité signifie que si Nazmieh retourne aux EU pour être plus proche de ses enfants,

« elle pourrait ne plus jamais voir la maison qu’elle a bâtie avec Omar, le dernier foyer qu’ils ont partagé ensemble en tant que mari et femme. »

Un simulacre d’enquête

Israël a commencé par mentir, à propos des circonstances de la mort d’Omar Assad : L’armée a prétendu qu’

« un Palestinien avait été appréhendé après avoir résisté à un contrôle et qu’il avait été libérée un peu plus tard cette nuit-là ».

Ensuite, il a ouvert une enquête « interne » d’une semaine qui s’est rapidement soldée par une décision de sanctionner trois hommes.

Le commandant du bataillon a reçu une réprimande et le commandant de la section et celui de la compagnie ont été démis de leurs fonctions et se sont vu interdire des rôles de commandement pendant deux ans.

Dans un même temps, la police militaire israélienne a lancé une enquête séparée, dont « les conclusions seront adressées au tribunal militaire pour examen et en vue d’une possible action future », a rapporté The Washington Post.

En théorie, il pourrait en résulter des accusations criminelles, mais c’est improbable.

Le système d’auto-enquête de l’armée israélienne a longtemps fonctionné comme un « mécanisme de blanchiment », estime B’Tselem.

En 2016, la célèbre organisation israélienne en faveur des droits humains a annoncé qu’elle cesserait de coopérer avec le système.

B’Tselem a déclaré que 25 années d’introduction vaine de plaintes au nom des Palestiniens

« nous a amenés à comprendre qu’il ne valait plus la peine de rechercher la justice et de défendre les droits humains avec un système dont la fonction réelle est mesurée à l’aune de sa capacité à continuer de couvrir avec succès des actes illégaux et de protéger les perpétrateurs de ces actes ».

Dans ces affaires de haut profil, de plus en plus rares, où un soldat est accusé d’avoir tué ou blessé un Palestinien et est ensuite condamné, les sanctions sont honteusement légères.

B’Tselem a déclaré que le système israélien de simulacre d’enquête est destiné tout au plus à rejeter le blâme sur des individus de grades inférieurs – et même cela, le système s’arrange pour l’éviter dans la majorité des cas.

Du fait que les enquêteurs militaires n’ont aucun mandat pour enquêter sur les ordres donnés aux soldats, les supérieurs qui sortent ces ordres ou qui sont responsables des mesures,

« les hauts responsables de l’armée et du gouvernement, y compris l’avocat général militaire (AGM), sont délivrés d’avance de toute responsabilité ».

Et rejeter le blâme sur des agents de grades inférieurs est exactement ce qu’Israël a fait dans ce cas également.

« La façon dont cette personne a été laissée sur le terrain était grave et immorale », a déclaré le chef de l’armée israélienne, Aviv Kohavi, quand les mesures disciplinaires ont été annoncées.

« J’attends de chaque soldat et officier qu’il sache comment combattre tout en préservant également la dignité humaine et l’éthique des FDI. »

Kohavi « a accepté les conclusions » de l’enquête interne, rapporte une déclaration officielle, « et a déterminé que l’incident avait révélé une défaillance manifeste dans le jugement moral ».

Washington veut une « enquête pénale »

Ces commentaires et les « sanctions » visaient manifestement à éloigner toute pression possible de la part de Washington.

Comme l’a expliqué B’Tselem en 2016,

« l’apparence d’un système judiciaire qui fonctionne permet aux responsables israéliens de réfuter des allégations exprimées tant en Israël qu’à l’étranger selon lesquelles Israël n’applique pas ses lois aux soldats qui molestent les Palestiniens ».

N’empêche qu’il est remarquable, dans ce cas, que la ruse n’a pas suffi pour réduire tout à fait au silence le gouvernement américain.

Après la déclaration de Kohavi, le département d’État a dit que l’administration restait « profondément inquiète à propos des circonstances du décès » d’Omar Assad.

« Les États-Unis attendent une enquête pénale fouillée et une responsabilisation totale, dans cette affaire », a ajouté Ned Price, le porte-parole du département d’État. « Nous continuerons de discuter de cet incident troublant avec le gouvernement israélien. »

Mais, dans une tribune publiée dans The Washington Post en février, Hala, la fille d’Omar Assad a rappelé au gouvernement américain qu’on ne pouvait tout simplement pas se fier à Israël pour mener lui-même une enquête.

« Quand l’activiste américaine Rachel Corrie a été écrasée par un soldat aux commandes d’un bulldozer de l’armée, à Gaza, en 2003, le gouvernement israélien avait promis « une enquête fouillée, crédible et transparente » et avait ensuite innocenté l’armée et les militaires impliqués dans l’affaire »,

avait écrit Hala.

Et elle avait fait remarquer qu’après que les commandos israéliens avaient tué le Turco-Américain Furkan Dogan, 18 ans, à bord du Mavi Marmara en 2010, les États-Unis n’avaient pas mené la moindre enquête et, une fois encore, « Israël avait innocenté ses soldats ».

Au-delà des spécificités de ces cas, Hala posait la question fondamentale de savoir pourquoi les États-Unis continuent « de soutenir un régime qui garde des Palestiniens tout un réseau de murailles et de check-points » et « les brutalise et les tue » dans le cadre d’un système dont on reconnaît de plus en plus qu’il est un système d’apartheid.

La semaine dernière, le département d’État a demandé avec insistance une enquête « immédiate et fouillée » sur l’assassinat choquant de la journaliste d’Al-Jazzera, Shireen Abu Akleh, une citoyenne américaine.

Mais il y a peu de raison de croire que ceci aussi soit plus qu’une demande pour la forme – même si les preuves indiquent de façon écrasante qu’Israël est responsable de cet assassinat.

Aucune excuse de ne pas agir

La lettre de l’avocat Stanley Cohen reconnaît que l’homicide d’Omar Assad « pourrait en fin de compte soulever des questions de jurisprudence », mais il affirme que cela ne devrait pas empêcher le département de la Justice d’entreprendre des démarches « pour déterminer ce qui s’est passé et pourquoi avec ce digne et paisible citoyen des États-Unis ».

L’avocat fait également remarquer que le ministre de la Justice Merrick Garland déploie des « équipes d’enquêteurs et d’experts médicolégaux » pour collecter des preuves sur des crimes de guerre supposés en Ukraine contre des gens qui ne sont même pas des citoyens des États-Unis.

L’avocat Cohen fait remarquer, en outre, que les EU,

« que ce soit par extradition ou par interprétation, ont été rapides pour poursuivre des terroristes qui avaient agressé ou assassiné ou conspiré pour nuire à des Américains à l’étranger ».

Les soldats qui ont agressé Omar Assad et l’ont laissé mort sur le terrain appartenaient au bataillon Netzah Yehuda, une unité spéciale constituée de juifs ultra-orthodoxes bien connue, même Israël, pour sa violence à l’encontre des Palestiniens.

B’Tselem a mis en garde contre le fait que faire un bouc émissaire de cette unité en particulier pouvait servir à blanchir la brutalité systématique de l’occupation israélienne tout entière. Il existe néanmoins des outils dans la loi américaine qui pourraient être utilisés en vue de prendre des mesures de responsabilisation.

L’administration Biden pourrait par exemple invoquer les fameuses Lois Leahy, qui interdisent à toute assistance sécuritaire américaine d’aller à la moindre unité des forces d’un pays étranger qui a commis des « violations grossières des droits humains ».

Il s’avère que c’est ce qu’exigent deux membres de la délégation du Wisconsin au Congrès.

En janvier, la sénatrice Tammy Baldwin et la représentante Gwen Moore ont écrit au secrétaire d’État Antony Blinken en lui demandant de lancer une enquête afin de savoir si les soldats impliqués dans l’homicide d’Omar Assad avaient utilisé des équipements livrés à l’aide d’un financement américain.

En dehors de tout financement par le gouvernement américain, le bataillon Netzah Yehuda « reçoit un soutien financier important » des Friends of (Amis de) Nahal Haredi, une organisation caritative exemptée de taxes et installée aux EU, selon The Forward.

« En tant que Palestino-Américain, M. Assad mérite les protections totales accordées aux citoyens américains et sa famille mérite des réponses »,

ont écrit les deux femmes politiques.

Dans sa tribune du Washington Post, Hala, la fille d’Omar Assad, a encensé l’afflux de soutien émanant de notre communauté au Wisconsin », dont celui des deux représentantes.

Toutefois, elle a accusé « la réponse du département d’État d’avoir donc été grossièrement inappropriée ».

« Les expressions de ses condoléances sonnent creux et ses requêtes afin qu’Israël enquête lui-même sont futiles », a-t-elle ajouté,

« comme l’ont prouvé les petites tapes sur les doigts données aux trois soldats et le long passé d’Israël dans le refus de mener des enquêtes sérieuses et de punir les crimes que ses soldats commettent contre des Palestiniens ».

La famille espère clairement de maintenir la pression en demandant au ministre de la Justice des États-Unis d’ordonner une enquête sur la mort d’Omar Assad.

Comme l’écrit leur avocat Stanley Cohen,

« sa famille, des générations de citoyens respectueux des lois et durs à la tâche de ce pays, de fiers Palestino-Américains, ne demandent rien d’autre que la justice au département de la Justice ».

Le département de la Justice n’a pas répondu à une demande de commentaire.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impa

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Publié le 16 mai 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : Israël refuse d’enquêter sur les militaires qui ont tué Shireen Abu Akleh

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