Violente agression policière contre un ado palestino-américain à Chicago

Le 28 juillet, la communauté arabe de Chicagoland (la ville de Chicago proprement dite, plus ses faubourgs) a été sensibilisée par une vidéo largement diffusée montrant un jeune Arabe se faisant vilainement tabasser par trois agents de la police d’Oak Lawn. (Oak Lawn est un faubourg du sud-ouest de Chicago qui héberge une importante population palestinienne.)

 

Le 28 juillet 2022, des manifestants de la communauté arabe scandent des slogans en soutien du Palestino-Américain Hadi Abuatelah à l’extérieur du Département de police d’Oak Lawn (OLPD), dans les faubourgs du sud-ouest de Chicago. (Photo : Reema Rustom)


Reema Ruston
et Muhammad Sankari, 18 août 2022

La vidéo, filmée la veille par une femme noire depuis sa voiture, montre deux agents positionnés au-dessus de l’adolescent et qui le frappent à plusieurs reprises à la tête et au corps. Un troisième agent accourt sur place et on le voit brièvement placer un genou sur la tête ou le cou de l’enfant avant que les trois hommes ne finissent par menotter leur cible.

Le garçon de la vidéo, Hadi Abuatelah, est un Palestino-Américain de 17 ans et un futur étudiant de dernière année de l’enseignement moyen supérieur originaire de Bridgeview, Illinois, un autre faubourg du sud-ouest de Chicago où vit également une importante population palestinienne.

Suite à l’agression, Hadi avait subi de multiples blessures, dont des fractures au pelvis et au visage et une hémorragie cérébrale. Il avait été transféré dans un état critique vers un hôpital local et il avait fallu près de six journées entières pour que sa santé se stabilise suffisamment avant d’être libéré de l’hôpital et de la garde à vue policière.

Les faubourgs du sud-ouest de Chicago accueillent l’une des plus importantes communautés palestiniennes des États-Unis, selon des recherches indépendantes effectuées par la sociologue et professeure de l’Université Marquette, Louise Cainkar, ainsi que par Zogby International et l’Institut arabo-américain.

La plupart des résidents des faubourgs sont originaires de villes de Cisjordanie ; ils ont émigré après l’occupation israélienne de Jérusalem, de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, mais certains étaient déjà à Chicagoland avant la Nakba, autrement dit l’expulsion par la force des Palestiniens de leur patrie.

L’OLPD prétend que Hadi portait une arme à feu sur lui et que c’est la raison pour laquelle les agents ont recouru à une telle brutalité. La vidéo montre qu’une arme de poing a été trouvée après le tabassage, mais son origine n’est absolument pas claire.

Néanmoins, l’arme de poing n’a rien à voir avec l’acte criminel perpétré par les trois policiers. Finalement, il s’agissait d’un acte enraciné dans le racisme d’une communauté qui n’est en aucun cas étrangère au racisme systémique, structurel et institutionnel et au ciblage par le biais de l’application de la loi, de celui d’autres institutions gouvernementales et de groupes d’extrême droite et nationalistes blancs.

Bien qu’horrible, la vidéo n’a pas été une surprise pour les Arabes des faubourgs sud-ouest ; presque tout le monde a sa propre histoire à raconter à propos de la répression ou du harcèlement via l’application de la loi.

Les réponses du chef de la police d’Oak Lawn et du Conseil d’administration du faubourg ont été embarrassantes. Lors d’une conférence de presse qui a suivi l’apparition virale de la vidéo, le chef Daniel Vittorio a insisté sur le fait que les agents avaient agi selon les normes de la procédure opératoire standard, allant même jusqu’à dire que leurs actes auraient été justifiés même s’ils avaient recouru à une violence létale.

Dès que la vidéo est devenue virale, l’Arab American Action Network (AAAN – Réseau d’action arabo-américain) et nombre d’organisations partenaires ont lancé un appel à la mobilisation communautaire.

Plus de 300 Arabes et sympathisants, en un déploiement d’unité multiraciale, sont descendus sur l’OLPD en scandant des slogans contre le racisme policier et réclamant #Justice4Hadi (justice pour Hadi). La police d’Oak Lawn a répondu aux protestations en encerclant les manifestants à l’aide d’agents supplémentaires équipés d’armes de qualité militaire et d’équipements SWAT (Special Weapons and Tactics) complets.

Nullement découragées par cette tentative d’intimidation, la famille d’Hadi et la communauté des sympathisants se sont mobilisées quatre jours plus tard, le 1er août, après que Hadi eut été libéré de l’hôpital pour être placé en garde à vue au siège de la police d’Oak Lawn. L’AAAN a invité la communauté à converger de nouveau vers l’OLPD et à inonder le département d’appels afin de faire relâcher Hadi et de le restituer à la garde de ses parents.

Au lieu de cela, la police d’Oak Lawn a puni Hadi davantage encore en le transférant au centre de détention juvénile du comté de Cook, le forçant à passer la nuit enfermé et sous contrôle médical jusqu’au moment de se voir accorder une audience devant un juge le lendemain.

Dès que l’AAAN a su que Hadi avait été transféré, il a appelé à organiser une veille et, dès le lendemain matin, à rallier le centre de détention. Le 2 août, alors que les membres de la communauté étaient rassemblés et s’adressaient à la presse à l’extérieur du centre de détention, des centaines d’activistes additionnels inondaient les lignes téléphoniques de l’attorney de l’État pour le comté de Cook, Kim Foxx, une deuxième journée d’affilée, exigeant que les charges contre Hadi soient abandonnées et qu’elle (Me Kim Foxx) remplisse immédiatement des actes d’accusation contre les trois policiers impliqués dans cette sauvage agression.

Hadi a comparu devant un juge peu après 13 heures, au moment où un nombre sans cesse croissant de membres de la communauté se rassemblaient à l’extérieur. Le juge a accepté de relâcher Hadi pour le confier à la garde de ses parents, et le Ministère public a demandé un ajournement de trois semaines afin de déterminer la procédure à suivre dans cette affaire. Quelques minutes plus tard, Hadi est sorti du centre de détention en compagnie de sa famille et de ses avocats et il était salué par les vivats massifs de ses sympathisants.

C’était la première victoire d’une mobilisation dans la campagne #Justice4Hadi, du fait que la pression politique placée sur l’attorney de l’État avait aidé l’équipe juridique de Hadi à assurer sa libération.

Le 5 août, l’AAAN, l’Alliance de Chicago (dirigée par des noirs) contre la répression raciste et politique, la Coalition Rainbow/PUSH du révérend Jesse Jackson, les Communautés organisées contre les déportations (dirigées par des Latinos), les Southsiders for Peace (Gens de Sud pour la paix) et d’autres redoublaient d’intensité pour exiger que les agents qui avaient agressé Hadi soient poursuivis par le bureau de l’attorney de l’État et licenciés par l’OLPD, et c’est alors que plus de 100 autres membres de la communauté sont venus protester au siège de la police.

Une fois de plus, le chef a positionné des hommes en armes sur les toits et, cette fois, a fermé les rues entourant le siège de la police afin d’intimider les protestataires et d’obstruer l’accès au rassemblement.

La campagne #Justice4Hadi a touché un point sensible de la communauté arabe de Chicagoland parce qu’elle s’adresse à une réalité que connaissent tant de gens aujourd’hui – une réalité constituée de ciblage, de harcèlement et de profilage par les départements de police des faubourgs sud-ouest.

En juillet 2022, l’AAAN a publié un rapport dénonçant une surveillance et un programme de collecte de données utilisés par les institutions d’application de la loi en Illinois. Le programme, baptisé Suspicious Activity Reports (SARs – Rapports sur les activités suspectes), collecte des quantités massives de données sur les communautés arabes, musulmanes et autres de couleur, les attirant ainsi dans le noyau central du contreterrorisme américain.

Le rapport a estimé que les départements de police, comme celui d’Oak Lawn, participent au programme des SARs en ciblant et criminalisant les Arabes et les musulmans pour des activités quotidiennes et en nous stéréotypant comme la face locale de l’« ennemi » à l’étranger.

La comparution de Hadi au tribunal doit avoir lieu le 25 août et, pourtant, l’AAAN attend toujours une réponse du bureau de l’attorney de l’État à la question de savoir si les trois agents seront accusés ou pas.

Garantir les accusations, les poursuites et le licenciement des agents qui ont tabassé Hadi est d’une importance primordiale pour nos communautés. Si la police peut s’en tirer dans une agression contre un enfant, dans ce cas, aucune des communautés de Chicagoland n’est encore en sécurité.

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Reema Rustom vit à Chicago. C’est une ancienne dirigeante de Students for Justice in Palestine à l’Université DePaul et elle travaille actuellement comme jeune animatrice à l’Arab American Action Network (AAAN).

Muhammad Sankari vit à Chicago et il accompagne l’Arab American Action Network (AAAN) depuis 2010. Il en est le principal animateur et l’un des plus importants auteurs du rapport pionnier du réseau : « Suspicious Activity Reports and the Surveillance State : The Suppression of Dissent and the Criminalization of Arabs and Muslims in Illinois. » (Les Rapports sur les activités suspectes et l’État de surveillance : La répression des dissensions et la criminalisation des Arabes et des musulmans en Illinois)

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Publié le 18 août 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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