Comment Israël fait chanter des Palestiniens pour les pousser à la trahison

Israël exploite sans vergogne et sans exception les moindres situations de ce genre afin de recruter des collabos palestiniens.

L’exécution sommaire d’un traître présumé montre bien comment Israël utilise son contrôle quasi total des existences des Palestiniens pour en faire chanter certains et en faire des collabos. (Photo : Oren Ziv / ActiveStills)

L’exécution sommaire d’un traître présumé montre bien comment Israël utilise son contrôle quasi total des existences des Palestiniens pour en faire chanter certains et en faire des collabos. (Photo : Oren Ziv / ActiveStills)

 

Ali Abunimah, 12 avril 2023

Samedi, le Lions’ Den, une organisation de la résistance armée palestinienne, a annoncé qu’il avait exécuté un homme qu’il accusait d’avoir collaboré avec Israël.

C’est un exemple horrible et embarrassant de la très longue pratique israélienne consistant à faire chanter des Palestiniens placés dans des circonstances désespérées afin qu’ils trahissent leur propre peuple, ainsi que des terribles conséquences que cela entraîne.

Dans un bref communiqué sur l’application de messagerie Telegram, l’organisation de guérilla cantonnée à Naplouse s’est adressée aux « masses palestiniennes en lutte ».

Le Lions’ Den a fourni peu de détails, pas même le nom de la personne exécutée, mais a affirmé qu’il

« expliquerait publiquement et au moment adéquat tout ce qui était nécessaire, avec preuves précises et complètes, suite à son application de certaines mesures de sécurité ».

« Et maintenant nous nous adressons à chaque traître qui vend sa religion, sa conscience, son honneur et sa nation »,

a ajouté l’organisation.

« Vos activités et vos nuisances ont été dénoncées et nous vous suivons où que vous alliez. Personne ne peut vous protéger où que vous vous cachiez. »

Séparément a été diffusée sur les réseaux sociaux une vidéo censée montrer le collabo avouant sa coopération avec les forces d’occupation israéliennes juste avant son exécution.

L’homme, qui s’identifie sous le nom de Zuhair Ghalith, explique qu’on l’a fait chanter en recourant à une vidéo qui le montrait au moment où il avait des relations sexuelles avec un autre Palestinien, dont Ghalith dit qu’il était un agent d’Israël – ce qui implique que le coup était préparé.

Sous menace de dénonciation, Ghalith dit qu’il a accepté d’espionner les combattants de la résistance au profit de l’armée israélienne.

Comme l’a résumé le journal israélien Haaretz, Ghalith explique que la première fois qu’il a coopéré avec Israël, il avait d’abord rencontré un officier israélien dans la ville de Huwwara, en Cisjordanie occupée. L’homme lui avait ordonné de suivre Adham Mabrouka, un agent des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, l’aile militaire du Fatah, ainsi que ses camarades.

Mabrouka, dont on dit qu’il est un des fondateurs du Lions’ Den, a été exécuté extrajudiciairement par un escadron de la mort israélien à Naplouse, en février 2022, en même temps que deux autres combattants de la résistance, Ashraf Mbaslat et Muhammad Dakheel.

Ghalith prétend également que les informations qu’il a fournies à Israël ont aidé les forces d’occupation à tuer au moins deux autres combattants de la résistance fin juillet.

Dans cet exemple, il affirme avoir été emmené par l’armée dans une base militaire près de Huwwara, où on l’a habillé d’un uniforme de l’armée et enjoint d’identifier les hommes avant qu’un escadron de la mort israélien n’aille les assassiner.

Ghalith dit que les Israéliens l’ont récompensé avec des paquets de cigarettes et de l’argent liquide – quelque 140 dollars.


Condamnation

Les organisations palestiniennes des droits humains ont été rapides pour condamner à la fois la trahison supposée de Ghalith et son exécution.

Le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) a déclaré que ses investigations avaient confirmé que le jeune homme de 23 ans avait bien été exécuté dans la Vieille Ville de Naplouse par cinq hommes qui lui avaient tiré dessus à plusieurs reprises à bout portant.

Le CPDH a affirmé que « la collaboration avec l’occupation israélienne constitue un crime » et que les collabos sont les partenaires d’Israël « dans les crimes de guerre commis en territoire palestinien occupé (TPO), puisqu’ils trahissent leur pays, leur peuple et leurs familles ».

Mais le CPDH a également rejeté l’exécution de Ghalith en disant qu’elle violait « le droit à la vie et le droit à un jugement équitable, et qu’elle constituait une grave atteinte au pouvoir de la loi ».

Le CPDH déclare que « la façon adéquate » de poursuivre des personnes soupçonnées de collaboration « passe par des procédures juridiques et un procès équitable », suivis par « le châtiment approprié après condamnation devant un tribunal, en conformité avec la loi ».

De même, la Commission indépendante pour les droits humains, une organisation palestinienne quasi officielle, déclare que « la trahison est un crime inadmissible et odieux, dont l’auteur doit être soumis à un châtiment exemplaire en conformité avec la loi ».

Elle a rejeté l’exécution extrajudiciaire de Ghalith et a appelé les institutions et agences sécuritaires de l’Autorité palestinienne à accomplir leur devoir et à amener devant la justice ceux qui commettent l’acte de trahison ».


Le dilemme de la résistance

Il est malaisé d’être en désaccord avec ces positions mais, selon la perspective des combattants de la résistance dont les vies sont dans le collimateur d’un occupant ennemi impitoyable, elles ne sont guère susceptibles d’être prises en compte.

Pour commencer, l’Autorité palestinienne collabore régulièrement avec Israël contre la résistance et ce, sous la bannière de la « coordination sécuritaire ».

Une institution qui a été mise sur pied pour collaborer avec l’occupant contre la résistance ne va tout simplement pas traîner d’autres collabos devant la justice.

Qui plus est, le système judiciaire de l’AP est hautement politisé.

Par exemple, le procès de 14 agents subalternes accusés d’avoir torturé à mort Nizar Banat, qui critiquait ouvertement l’AP, en juin 2021, a traîné en longueur en raison d’interminables obstructions et reports et les plus hauts gradés de l’AP ont échappé à toute forme de responsabilisation.

Les combattants de la résistance, aux prises avec une occupation impitoyable, entendent dissuader la trahison de la façon la plus visible, immédiate et viscérale qui soit. En cela, les organisations palestiniennes constituent la norme et non l’exception.

Les combattants de la résistance française, par exemple, ont exécuté sommairement quelque 9 000 personnes soupçonnées de collaboration au cours de leur campagne en vue de libérer leur pays de l’occupation allemande.

Dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, les organisations de résistance recouraient à la tactique cruelle du « collier » – consistant à placer un pneu empli d’essence autour du cou de la personne soupçonnée de collaboration et à y mettre le feu – afin de châtier et de dissuader la coopération avec le régime suprémaciste blanc.

Même si certains ont considéré que ces tactiques horribles – qui, sans aucun doute, ont abouti à l’exécution de personnes accusées à tort – étaient nécessaires, elles ont souvent suscité une profonde ambivalence parmi les opprimés.

On peut trouver un exemple frappant d’une telle ambivalence dans un article hautement sympathique du Los Angeles Time, publié en juillet 2022, sur les efforts de l’Ukraine en vue de traiter des personnes soupçonnées de collaboration avec la Russie – souvent via des exécutions sommaires et des assassinats.

« Car, depuis aussi longtemps que les humains font la guerre, ils craignent l’ennemi de l’intérieur »,

explique The Los Angeles Times.

« La collaboration et la trahison sillonnent comme des fils noirs la trame d’à peu près tous les récits de guerre, aussi triomphaux qu’ils aient été : dans la Grèce ancienne, en Amérique à l’époque de sa Révolution, en France lors de l’occupation nazie. »

L’article conclut par des mots prétendument empruntés au président ukrainien : « La responsabilisation de la collaboration est inévitable », aurait dit Volodymyr Zelensky. « Que cela ait lieu demain ou après-demain est une autre question. »

Les exécutions et les châtiments sévères ne sont pas les seules façons dont les organisations de résistance traitent les collabos.

L’organisation de la résistance palestinienne du Hamas – qui a exécuté des gens accusés de trahison – a également accordé l’amnistie à certaines personnes qui avaient reconnu avoir travaillé avec l’ennemi et prétend même les avoir réhabilitées.

Néanmoins, le châtiment sommaire des collaborateurs présumés semble faire partie de façon constante et inséparable de la guerre et des luttes de libération.

Au moins, en Palestine, toutefois, les exécutions de collabos semblent nettement moins habituelles que la collaboration et elles servent avant tout à envoyer un signal dissuasif.

Quant à savoir si c’est vraiment le cas, il est impossible de le savoir.

 

La responsabilité de l’oppresseur

Au cours des luttes de libération, ceux qui soutiennent l’envahisseur ou l’occupant font souvent remarquer que de telles pratiques sont les preuves du caractère barbare et de l’illégalité de la résistance, ce qui justifie donc la poursuite de l’oppression ou de l’occupation.

En Afrique du Sud, la Commission Vérité et Réconciliation d’après l’apartheid n’a guère hésité à incriminer des organisations de résistance, dont le Congrès national africain (ANC), pour avoir recouru au châtiment du « collier » dont on estime qu’il a été appliqué à entre 400 et 700 personnes.

Mais elle a mis le doigt sur une autre vérité importante qui reçoit rarement autant d’attention.

Dans son rapport final, la Commission Vérité et Réconciliation a estimé que

« le rôle joué par l’État en compromettant de nombreux activistes et en les forçant à devenir des informateurs et des askaris [collabos] a résulté dans les assassinats de nombreux activistes et membres de la communauté ».

Cela s’applique certainement à la Palestine, où Israël exploite régulièrement la vulnérabilité des Palestiniens dans son effort en vue de susciter la collaboration.

Un habitant de Naplouse a expliqué à Haaretz – en reprenant les termes du journal – que Ghalith venait d’une famille à bas revenu et

« qu’on l’avait fait chanter en utilisant une vidéo à caractère sexuel prise par son partenaire ».

« C’est une pratique bien connue ; les forces sécuritaires [israéliennes] tirent avantage des familles pauvres et des homosexuels et de leur besoin d’un permis de travail pour entrer et travailler en Israël »,

a déclaré le résident de Naplouse resté anonyme.

C’est particulièrement grotesque étant donné la façon dont la propagande de blanchiment d’Israël fait passer le pays pour « favorable aux homosexuels » et en fait même un havre pour les Palestiniens qui sont présumés devoir affronter toutes sortes de répressions et de persécutions s’ils s’engagent dans des relations homosexuelles.

En fait, aucune loi en Palestine n’interdit les relations homosexuelles.

Mais, comme dans bien des endroits, dont Israël, il existe de puissants tabous sociaux à propos du fait de s’engager ouvertement et en public dans de telles relations, de même qu’il existe des tabous tout aussi forts, voire plus forts encore, à propos des hommes et des femmes qui s’engagent dans des relations sexuelles préconjugales ou extraconjugales.

 

Faire chanter les malades

Israël exploite sans vergogne et sans exception les moindres situations de ce genre afin de recruter des collabos palestiniens.

En 2014, des lanceurs d’alerte de la tristement célèbre division de la guerre cybernétique de l’Unité 8200 de l’armée israélienne ont révélé comment ils espionnaient les communications personnelles des Palestiniens dans un effort en vue de dénicher des vulnérabilités exploitables au profit de l’occupation.

« Toute information qui pourrait faciliter quelque extorsion chez un individu est considérée comme une information pertinente »,

a déclaré un espion israélien dans les colonnes du quotidien The Guardian.

« Que ledit individu soit d’une certaine orientation sexuelle, qu’il trompe sa femme ou qu’il ait besoin d’un traitement en Israël ou en Cisjordanie – il est une cible de chantage. »

Tout cela est indiciblement barbare et cruel, mais peut-être rien ne ressemble plus à cela que les efforts d’Israël en vue de faire chanter les Palestiniens de Gaza qui ont besoin de quitter l’enclave assiégée pour recevoir des traitements médicaux qui leur sauveront la vie.

Physicians for Human Rights-Israel (Médecins pour les droits humains – Israël) a estimé que cette pratique particulière convient à la définition de la torture,

« puisqu’elle implique de rendre l’octroi d’un traitement médical dépendant de la collaboration et de priver de traitement médical – ou de menacer de le faire – des personnes qui refusent de collaborer.

Quelles que puissent être les spécificités, les circonstances horribles dans lesquelles l’exécution de Ghalith s’est déroulée sont toutes une création d’Israël.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 8 avril 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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