Ce que représente pour la Palestine la puissance croissante de la Chine
Que représente pour la Palestine et sa région au sens large la puissance croissante de la Chine et le glissement vers un monde multipolaire ?
Ali Abunimah, 28 avril 2023
C’était l’un des thèmes principaux d’une discussion en direct à laquelle j’ai participé en compagnie de l’artiste de hip-hop Lowkey, d’un auteur de Mint Press et d’un journaliste qui écrit entre autres dans The Electronic Intifada.
Nous étions accueillis par le journaliste Danny Haiphong dans son émission sur YouTube. La vidéo est visible ci-dessous.
Notre discussion animée concernait des questions que j’avais soulevées dans un article récent : « Pourquoi les Saoudiens ont-ils décommandé leur mariage avec Israël ? »
Ce qui importe, si l’on veut se pencher sur le rôle de la Chine, c’est d’examiner l’effilochage rapide du pouvoir mondial américain, surtout lorsqu’on voit, sur le continent européen, les EU se lancer toutes voiles dehors dans une guerre par procuration contre la Russie, une guerre dont l’Ukraine, en outre, n’a pas la moindre chance de sortir victorieuse.
Dans bien des régions, la Chine s’installe dans le vide laissé par les EU, se faisant ainsi des amis et des alliés, non pas à l’aide de menaces militaires, mais en construisant des infrastructures parmi lesquelles des routes, des ports, des écoles et des hôpitaux, et ce, dans des douzaines de pays du monde entier.
Par exemple, en Irak, un pays qui a été détruit par les États-Unis, la Chine est occupée à construire 8 000 écoles.
Une victoire majeure de la diplomatie chinoise réside dans sa mise sur pied d’une réconciliation historique entre l’Arabie saoudite et l’Iran, un rapprochement qui a le potentiel d’apporter le progrès sur d’autres fronts, entre autres, de mettre enfin un terme aux guerres livrées pour le compte des Américains en Syrie et au Yémen.
« Ce que la Chine a été à même de faire, c’est de dire à l’Arabie saoudite : ‘Si vous voulez que nous commercions avec vous en devises autres que le dollar, si vous désirez le bénéfice d’une bonne relation avec nous, il vous faut dans ce cas laisser tomber l’agenda sectaire dans la région et être désireux de vous engager avec l’Iran en acteur de bonne foi’ »,
explique Lowkey.
L’Arabie saoudite, qui a longtemps été dépendante des EU, est occupée aujourd’hui à diversifier ses relations avec d’autres puissances majeures. Ce faisant, elle voit qu’il est moins nécessaire de normaliser ses liens avec Israël, une démarche dont l’objectif principal aurait été de plaire à ses patrons à Washington.
Selon Lowkey, ce réalignement confère également aux factions de la résistance en Palestine et au Liban « une confiance nouvellement retrouvée » quand il s’agit d’affronter Israël en un front uni.
« Ils comprennent que, une fois l’Iran sorti de son isolement, les factions de la résistance le sont aussi »,
ajoute Lowkey.
« Cela a pour effet direct d’affaiblir la capacité d’Israël à affirmer son pouvoir sur les Palestiniens. »
La fin pour Israël des « conflits limités »
J’ai fait remarquer qu’Israël comprend très bien cette réalité émergente, comme le reflètent les récents commentaires de son ministre de la Défense.
« C’est la fin de l’ère des conflits limités », a expliqué Yoav Galant à des journalistes un peu plus tôt ce mois-ci.
« Nous sommes confrontés à une nouvelle ère sécuritaire au cours de laquelle il pourrait y avoir une menace réelle dans toutes les arènes à la fois. »
« Pendant des années, nous avons opéré en présumant que l’on pourrait gérer des conflits limités, mais c’est un phénomène en voie de disparition »,
a ajouté Galant.
« Aujourd’hui, on assiste au phénomène remarquable de la convergence des arènes. »
En d’autres termes, Israël ne peut plus se fier, en cas d’offensive contre Gaza, à ce que le conflit se limitera à Gaza ou que, en cas d’attaque contre la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, les événements resteront confinés à Jérusalem.
Il ne peut non plus être sûr que, lors d’une importante escalade contre les Palestiniens, la puissante résistance du Hezbollah au Liban s’abstiendra de prendre part aux combats.
Bien qu’Israël possède toujours une énorme puissance militaire, sa capacité à dicter ses conditions s’érode progressivement à mesure que les EU se retirent lentement de la région après leurs échecs militaires et politiques en Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen et en Afghanistan.
J’ai remarqué que, récemment, la Chine s’est proposée comme médiatrice entre les Palestiniens et les Israéliens et, alors que je ne pense pas que ce soit susceptible d’aboutir dans un futur très rapproché, il est tout de même significatif que Beijing se sente désireux et à même d’entrer dans un rôle qui a toujours été monopolisé par les États-Unis – chaque fois au profit d’Israël et au détriment des Palestiniens et du reste de la région.
Plus important peut-être à brève échéance, comme nous l’avons discuté, c’est que la Chine intensifie sa diplomatie pour mettre un terme à la guerre en Ukraine, comme l’indique le récent coup de fil entre le président chinois Xi Jinping et le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Les provocations de Taiwan
Mécontents d’entrer dans un bourbier sanglant en Ukraine, quelques mois à peine après leur défaite en Afghanistan et leur retrait chaotique de ce pays, les États-Unis et leurs vassaux européens essaient également de chercher noise à la Chine à propos de Taiwan.
Ce mois-ci, le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell a invité instamment les États membres à envoyer leurs navires de guerre dans le détroit de Taiwan, une mesure que j’ai assimilée à de la folie.
J’ai fait remarquer que les États-Unis et l’Union européenne – en fait, le monde entier excepté une infime poignée de pays comme le Guatemala – sont d’accord pour dire que la République populaire de Chine est le seul gouvernement légal de la Chine, dont Taiwan constitue une partie intégrante.
J’ai prétendu que la Chine n’avait jamais montré le moindre intérêt pour la réintégration forcée de Taiwan et qu’en lieu et place, elle s’était toujours concentrée sur la facilitation de liens économiques en devenir entre l’île et le continent.
Le seul facteur qui provoque l’équation militaire, ce sont l’ingérence et les provocations des États-Unis et, désormais, de l’UE.
Mais si l’UE – qui agit en tant que mandataire pour les EU – instigue avec succès une guerre autour du détroit de Taiwan, nous pouvons être sûrs que les armées et les navires européens ne vont pas voler au secours de Taiwan. Tout ce qui se produirait, ce serait la destruction d’un autre pays encore, avec un coût énorme en vies humaines.
On ne peut qu’imaginer la réaction si la Chine envoyait son tout nouveau porte-avions, le Fujian, dans la Manche anglaise ou dans la mer du Nord ou dans le golfe du Mexique, ou qu’elle le ferait stationner en face du port de New York.
N’empêche que les EU et l’UE estiment que c’est pour eux la chose la plus naturelle du monde que d’aller intervenir à l’autre bout du monde – alors que personne ne leur a demandé de le faire – et où ils ne pourraient rien faire de bon, et où il n’y a pas de problèmes sauf ceux qu’ils créent eux-mêmes.
Cette folie dangereuse a tout des affres de la mort d’un empire moribond.
Vidéo : L’Ukraine et la Palestine en feu
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
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Publié le 28 avril 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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