Le martyre de Khader Adnan
Mardi matin, le gréviste de la faim et activiste politique palestinien Sheikh Khader Adnan est décédé à la clinique de la prison de Ramleh.
Mariam Barghouti, 2 mai 2023
Depuis le 5 février dernier, Adnan, 44 ans, était en grève de la faim pour protester contre son emprisonnement par Israël qui, tout au long de la décennie écoulée, n’a cessé de cibler et de harceler cette personnalité politique palestinienne et ce grand défenseur de la résistance. Adnan était le vétéran de deux précédentes grèves de la faim, avant celle-ci, et, au cours de la dernière décennie, il avait été emprisonné illégalement à plusieurs reprises, sans accusation ni procès, par les autorités israéliennes. (*)
La dernière arrestation d’Adnan était due à son affiliation à l’organisation militante de résistance palestinienne, le Djihad islamique palestinien (DIP), dont l’aile armée, Saraya al-Quds, fait partie de la faction coordinatrice de la Brigade de Jénine – l’organisation de résistance armée qui opère en dehors du camp de réfugiés de Jénine. Mais, au-delà des raisons immédiates de son emprisonnement, les autorités israéliennes ont constamment harcelé Adnan au fil des années parce qu’il n’a jamais cessé d’être un partisan bien connu de la résistance au cours d’une période d’atrophie politique et qu’il a persisté à plaider pour le mouvement des prisonniers, pour les familles des martyrs, et à prôner l’opposition au collaborationnisme et à la coordination sécuritaire de l’Autorité palestinienne à une époque où les grandes figures de la lutte politique étaient rares. De plus, après la première victoire d’Adnan sur les Services carcéraux israéliens (IPS), en 2012, lors de sa première grève de la faim à l’issue de laquelle il avait obtenu sa liberté, il était devenu une icône du défi palestinien face à l’injustice.
Dans sa troisième grève de la faim de longue haleine, Adnan est le premier gréviste de la faim palestinien à mourir depuis les années 1970, quand plusieurs grévistes de la faim palestiniens avaient été tués du fait que les autorités carcérales israéliennes les avaient alimentés de force. Adnan est également le 237e Palestinien à être tué à l’intérieur des geôles israéliennes depuis 1967.
Adnan est originaire d’Arrabeh, à Jénine, et il laisse derrière lui son épouse, Randa Moussa, 41 ans, et leurs neufs enfants. Mondoweiss avait interviewé Moussa une semaine plus tôt, lorsqu’elle avait prévenu que la vie d’Adnan était en danger en raison du tribut cumulatif que son actuelle grève de la faim et les précédentes avaient prélevé sur son corps, et en raison aussi de l’intransigeance et de la négligence médicale des Services carcéraux israéliens (IPS).
Une négligence médicale délibérée
Selon les IPS, Adnan « a été retrouvé inconscient dans sa cellule », le jour même de sa mort. Les IPS ont également insisté sur le fait qu’Adnan avait refusé un traitement médical. Son avocat a toutefois rejeté cette déclaration en disant que la mort d’Adnan était une conséquence directe de la négligence médicale délibérée de la part d’Israël.
Dans une interview accordée à Mondoweiss il y a moins de deux semaines, Randa, la femme d’Adnan, avait fait remarquer que la clinique de la prison israélienne était insuffisante pour produire les soins nécessaires à un gréviste de la faim et que son mari était gardé intentionnellement dans la clinique dans le but de l’emporter sur les lois internationales concernant les droits des prisonniers, ce qui permettrait au personnel médical de la prison de nourrir de force Adnan s’il devait jamais tomber dans le coma.
Malgré la détérioration de la santé d’Adnan, sa comparution suivante au tribunal était prévue pour le 10 mai, c’est-à-dire plus d’une semaine après le jour de son décès.
Dimanche 30 avril après-midi, le tribunal militaire d’Ofer a rejeté l’appel introduit par l’équipe juridique d’Adnan en vue de faire appliquer un précédent ordre de la cour de relaxer son client. En raison de la détérioration de sa santé, Adnan a assisté à ses séances de tribunal par vidéo. Mardi, en fin de matinée, le jour de son décès, les autorités israéliennes ont transféré le corps du gréviste de la faim vers le site médical d’Abu Kabir, près de Jérusalem.
Mardi après-midi, quelques heures après son décès, les autorités israéliennes ont décidé de faire effectuer une autopsie du corps du gréviste de la faim, allant ainsi à l’encontre des dernières volontés d’Adnan qui demandait qu’on n’ouvre pas son corps au cas où il viendrait à mourir.
Selon des déclarations faites devant la presse par l’équipe juridique d’Adnan, un appel a été soumis aux tribunaux israéliens afin qu’ils interdisent l’autopsie. Pendant ce temps, la famille Adnan attend la décision des autorités israéliennes quant à savoir si la famille pourra récupérer le corps du défunt et l’enterrer près de la tombe de son père, conformément à ses dernières volontés.
Grève générale et dernières volontés de Khader Adnan
Au vu du martyre de Khader Adnan, les villes et villages palestiniens se sont mis en grève générale, en Cisjordanie, alors que des protestations se répandaient déjà sporadiquement, principalement à Jénine, la ville natale d’Adnan.
Dans une déclaration à la presse, Randa Moussa a fait savoir « qu’il n’y aurait pas de veillée funèbre pour le Sheikh, mais nous recevrons les personnes qui voudront nous saluer afin de célébrer son martyre », se faisant ainsi l’écho de l’habituel respect des Palestiniens envers les martyrs – non seulement en vertu de la signification religieuse du martyre mais aussi parce que la chose est perçue comme un sacrifice nécessaire dans le combat contre le colonialisme et ses injustices.
Les protestations et les veilles palestiniennes ont mis l’accent sur la nature intentionnelle de la mort d’Adnan, la présentant comme une exécution de sang-froid, surtout par rapport à ses précédentes grèves de la faim de 2012 et 2018, qui avaient déjà infligé des lésions permanentes à son corps et l’avaient exposé à un risque accru de décès.
En début d’après-midi, les jeunes Palestiniens ont rallié les protestations à proximité des check-points militaires et des colonies illégales en Cisjordanie, protestant contre l’assassinat d’Adnan et les violences infligées aux prisonniers palestiniens.
Selon des experts juridiques palestiniens, l’assassinat de Khader Asnan fait également partie du ciblage constant par Israël des prisonniers politiques palestiniens. De plus, la politique la plus récente prônée à la Knesset israélienne a requis que soit appliquée la peine de mort aux détenus palestiniens condamnés pour « terrorisme ».
Le Comité palestinien d’extrême urgence en faveur des détenus palestiniens a diffusé une déclaration à l’occasion du décès d’Adnan, demandant à toutes les factions politiques palestiniennes de se rassembler contre le crime qui a résulté dans le lent assassinat d’Adnan. La déclaration affirmait que la mort d’Adnan était un rappel de l’obligation morale envers les prisonniers politiques palestiniens.
Adnan laisse derrière lui des dernières volontés qu’il avait rédigées en avril, dans l’anticipation de son décès.
Voici ce qu’il écrivait :
« Puisque mon âme est proche du martyre, il est de mon devoir de rédiger mes dernières volontés (…)
Dieu soit loué pour m’avoir permis d’entreprendre une grève de la faim pour la liberté (…)
Ces derniers mots, je vous les écris depuis notre ville palestinienne bien-aimée d’al-Ramleh, au moment où ma chair s’est dissoute et où mes os ont dépéri et où ma force m’a abandonné. Telles sont les dernières volontés que j’adresse à ma famille, à mes enfants et à mon épouse, et à mon peuple.
À ma femme, je vous implore, toi et mes enfants, de craindre Dieu (…) et de dire la vérité à tout moment et en tout lieu (…) et de savoir que les plus grands foyers palestiniens sont les foyers des martyrs et des blessés et des gens vertueux.J’implore mes oncles, mes proches, mes voisins (…) de ne laisser à personne le moindre droit moral ou matériel sur moi car, moi qui vous aime, je suis en grand besoin de la miséricorde de Dieu (…) Si je meurs en martyr, ne laissez pas l’occupant découper mon corps et enterrez-moi près de mon père et écrivez sur ma tombe : ‘Ci-gît le pauvre serviteur de Dieu, Khader Adnan’ (…) Donnez-moi une tombe simple et demandez à Dieu de me pardonner (…)
À [mon épouse] Um Abdulrahman, et à mes enfants Maali, Bisan, Abdulrahman, Muhammad, Ali, Hamza, Mariam, Omar et Zaynab, s’il vous plaît, pardonnez-moi (…)
À mon peuple, j’adresse ces dernières volontés avec amour et respect, avec ma confiance absolue en la miséricorde de Dieu (…) Ceci est la terre de Dieu et c’est la nôtre et elle contient une promesse, la promesse d’une vie après la mort. Ne désespère pas, car quoi que puissent faire les occupants, qu’importe à quel point ils pourront abuser de nous avec leur occupation et leur injustice (…) La victoire de Dieu est proche (…)
Mes salutations aux familles des martyrs et des prisonniers, mes salutations à eux tous et à tous les révolutionnaires et peuples libres.À Um Addulrahman, je suis ton mari qui t’aime,
À mes enfants, je suis votre père qui vous aime,
À mes frères et sœurs, je suis votre frère qui vous aime,
À mon peuple, je suis ton fils qui t’aime,
Priez pour moi afin qu’Il m’accepte comme son martyr dévot.
Avec amour,
Khader Adnan
Clinique d’Al-Ramleh
2 avril 2023 »
Telles étaient les dernières volontés de Khader Adnan.
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(*) Dans son article « Martyre du cheikh Khader Adnan, après 86 jours de grève de la faim : dernière cible de la politique d’assassinat sioniste », Samidoun, le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, précise :
« Leader du mouvement du Jihad islamique palestinien, il est devenu l’un des symboles les plus importants du mouvement des prisonniers palestiniens et de la résistance en cours après avoir obtenu sa libération de la détention administrative à quatre reprises grâce à des grèves de la faim en 2012, 2015, 2018 et 2021. »
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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine.
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Publié le 2 mai 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine