Biden lance un nouveau plan de censure des critiques à l’égard d’Israël

Jeudi, l’administration Biden lançait ce qu’elle définissait comme « la toute première stratégie nationale américaine » en vue de contrer l’antisémitisme.

 

Le 25 mai, à la Maison-Blanche (Washington, DC), Douglas Emhoff (au centre), mari de la vice-présidente Kamala Harris, lançait la stratégie nationale de l’administration Biden en vue de combattre l’antisémitisme.

Le 25 mai, à la Maison-Blanche (Washington, DC), Douglas Emhoff (au centre), mari de la vice-présidente Kamala Harris, lançait la stratégie nationale de l’administration Biden en vue de combattre l’antisémitisme. (Photo via Twitter)

 

Ali Abunimah, 26 mai 2023

L’initiative, menée par Douglas Emhoff, le mari de la vice-présidente Kamala Harris, a été chaleureusement accueillie par les lobbyistes israéliens qui ont contribué à lui donner forme et qui joueront sans nul doute un rôle important dans sa mise en pratique.

Cela n’est guère étonnant, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’une tentative de haut niveau du président Joe Biden visant à ostraciser et censurer le soutien aux droits palestiniens et la critique à l’égard d’un régime israélien de plus en plus fanatique de suprémacisme ethnoreligieux, d’occupation et d’apartheid, le tout étayé par une colonisation de peuplement brutale de la terre palestinienne.

Ce qui surprend davantage, c’est que le plan a également été adopté par CAIR, une éminente organisation musulmane américaine qui a pour but de soutenir la défense des droits palestiniens.

 

Bien qu’elle n’utilise jamais le mot « sionisme », la stratégie de Biden cimente plus encore un objectif primordial du lobby pro-israélien : assimiler les critiques à l’égard d’Israël et de son idéologie étatique raciste au sectarisme antijuif et à la persécution des juifs.

Une « fiche d’information » tirée en longueur et publiée par la Maison-Blanche dit qu’en lançant cette stratégie, l’administration Biden « réaffirme l’engagement inébranlable des États-Unis envers l’existence de l’État d’Israël, sa légitimité et sa sécurité » et « précise que, lorsqu’Israël est ciblé pour des raisons de haine à l’égard des juifs, il s’agit d’antisémitisme ».

Selon ce critère, plaider en faveur d’un seul État démocratique dans toute la Palestine historique, où les Palestiniens et les Juifs israéliens bénéficieraient de droits entiers et égaux, pourrait être interprété comme de l’« antisémitisme » puisque cela rejette le supposé « droit à l’existence » d’Israël.

De même, raconter la véritable histoire de la création d’Israël en tant qu’« État juif » – le nettoyage ethnique soigneusement planifié et exécuté de la majorité autochtone non juive de la Palestine en 1947-1949 par les milices sionistes et l’armée israélienne – pourrait être interprété comme une remise en question de la « légitimité » d’Israël.

 

Répression sur les campus

Le document de 60 pages sur cette stratégie va même plus loin en estompant la distinction entre la critique à l’égard d’Israël et la discrimination contre les juifs.

Citant une étude de l’organisation pro-israélienne qu’est l’Anti-Defamation League (Ligue contre la diffamation, ADL), la Maison-Blanche affirme que

« plus de 50 pour 100 des étudiants juifs ont le sentiment de payer un coût social, quand ils soutiennent l’existence d’Israël en tant qu’État juif ».

« Sur les campus des universités, les étudiants, enseignants et employés administratifs juifs ont été tournés en dérision, ostracisés et parfois discriminés en raison de leurs opinions réelles ou supposées sur Israël »,

prétend le document.

« Tous les étudiants, enseignants et employés administratifs devraient se sentir en sécurité et à l’abri de la violence, du harcèlement et de l’intimidation sur les campus »,

dit encore la stratégie.

« Ils sont bien trop nombreux à n’avoir pas ce sentiment de sécurité en raison de leurs opinions réelles ou supposées sur Israël. »

Ces affirmations étayent la sempiternelle indignation du lobby pro-israélien à l’égard des personnes qui disent que soutenir le sionisme et les mesures brutales utilisées par Israël pour appliquer ce que l’organisation israélienne des droits humains B’Tselem décrit correctement comme étant de l’apartheid et du suprémacisme juif, fait partie intégrante de l’identité juive.

 

Avec cette logique, toute critique à l’égard d’Israël, de ses horribles abus contre les droits palestiniens et de ses violations des lois internationales devient ainsi une agression inadmissible contre l’identité et les sentiments des étudiants ou enseignants juifs, laquelle agression nécessite par conséquent que l’on intervienne.

Alors que personne ne devrait être confronté à la violence ou à une discrimination illégale en raison de ses opinions, personne n’a le droit non plus d’exprimer des opinions racistes et sectaires sans en payer un « prix social ». Dans une société libre, les gens ont raison d’exprimer leur répugnance quand d’autres font entendre leur sectarisme en public.

Cela ne change pourtant pas grand-chose à la question si des personnes qui agitent le drapeau confédéré prétendent qu’il s’agit simplement d’une expression de leur « héritage » et non d’un signifiant de leur racisme.

De même, le simple fait qu’une personne juive ou non juive définit son soutien au sectarisme et à la violence institutionnalisés d’Israël contre les Palestiniens comme faisant partie de son « identité » ou de sa « foi » n’exempte en aucun cas cette personne de critique à son égard.

Néanmoins, la tactique de prédilection du lobby pro-israélien afin d’imposer une discipline pro-israélienne sur les campus a toujours consisté à introduire des plaintes bidon contre diverses universités auprès du département de l’Éducation et ce, dans le cadre du Titre VI de la Loi américaine sur les droits civiques.

Les plaintes affirment généralement que les administrateurs de l’école négligent de protéger les étudiants juifs en ne réprimant pas suffisamment l’activisme de la solidarité avec la Palestine.

Sur le plan juridique, cette tactique s’est soldée par un échec, puisque les plaintes ont été invariablement rejetées.

Mais elles ont toujours un effet dissuasif en empêtrant les universités dans des enquêtes fédérales longues et coûteuses, avec toute la mauvaise publicité que cela entraîne de surcroît pour elles d’être accusées de favoriser l’antisémitisme.

L’intention semble être de rendre extrêmement prudents les administrateurs des écoles et de limiter proactivement le discours concernant la Palestine de façon à éviter des enquêtes de de genre.

 

Qui va se sentir « en sécurité » ?

En fait, la stratégie de la Maison-Blanche met la réalité sens dessus dessous.

Tout en mettant l’accent sur le droit des étudiants juifs pro-israéliens à exprimer leur racisme antipalestinien sans souffrir le moindre opprobre, la stratégie ignore en fait le véritable harcèlement, les sanctions, la censure, les procès pour nuisance et les licenciements qui, depuis des décennies, visent aussi bien les étudiants et enseignants juifs que non juifs qui soutiennent les droits des Palestiniens.

 

Peu d’administrations universitaires, sinon aucune, ont entrepris des actions afin de protéger leurs étudiants des campagnes de diffamation des organisations sionistes, telle Canary Mission, qui cherche à saboter leurs perspectives d’une future carrière s’ils osent exprimer la moindre solidarité avec la Palestine.

Ces étudiants et ces enseignants n’ont-ils pas le droit de se sentir « en sécurité » ?

Pourtant, la nouvelle administration Biden soutient les tactiques de censure du lobby pro-israélien en soulignant le fait que, dans le contexte du « combat » contre l’antisémitisme, le département de l’Éducation « rappellera aux écoles leurs obligations légales », en conformité avec le Titre VI, « de traiter les plaintes pour discrimination ».

Nous pouvons par conséquent nous attendre à une nouvelle flambée de ce genre de plaintes soutenues par les groupes de pression pro-israéliens qui visent les étudiants partisans de l’égalité pour les Palestiniens.

 

La censure des médias sociaux

La poussée de Biden en faveur d’une censure accrue cible non seulement les campus, mais aussi internet, où la stratégie de la Maison-Blanche demande aux plates-formes en ligne de s’assurer que les conditions de service et les normes communautaires « couvrent explicitement l’antisémitisme ».

Elle prône également avec insistance une politique de « tolérance zéro envers le discours haineux » et demande aux plates-formes en ligne « d’interdire définitivement les récidivistes ».

La Maison-Blanche demande au Congrès de faire passer une multitude de lois encourageant cette forme de censure – l’une des rares propositions administratives de Biden susceptibles de bénéficier du soutien des deux partis.

Étant donné que les groupes de pression pro-israéliens ont tant et plus insisté auprès des firmes de médias sociaux pour qu’elles adoptent la fameuse définition de l’antisémitisme de l’IHRA (ou AIMH, Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, NdT), il ne faut pas être sorcier pour deviner sur quoi va déboucher une répression en ligne : davantage de répression et de censure encore contre les voix qui soutiennent les droits des Palestiniens.

Tout cela, parce que la « définition » controversée de l’IHRA, telle qu’elle est promue par le gouvernement israélien, tend à assimiler systématiquement toute critique à l’égard d’Israël à de l’antisémitisme.

 

Une organisation musulmane américaine prête son soutien

La stratégie nationale de Biden à propos de l’antisémitisme a été soutenue par de nombreuses organisations, donc CAIR – le Conseil des relations américano-islamiques – qui fait sans doute l’éloge de l’administration parce qu’elle « n’adopte pas la très controversée définition de l’antisémitisme de l’IHRA comme critère contraignant ».

La stratégie de la Maison-Blanche reconnaît qu’« il y a plusieurs définitions de l’antisémitisme qui servent d’outils valables en vue d’éveiller la conscience » – CAIR présente la chose comme une victoire – mais la stratégie ne dit pas explicitement que le gouvernement des États-Unis a « adopté » la définition de l’IHRA.

Soulignant cette position, 25 organisations de lobbying pro-israélien ont immédiatement sorti une déclaration – que la Maison-Blanche a relayée sur son site internet – en vue d’« accueillir favorablement l’adoption » par l’administration Biden de la définition de l’IHRA.

CAIR affirme également que le document de la Maison-Blanche recourt à un langage qui

« précise que ces stratégies nationales ne devraient être utilisées ni pour enfreindre les garanties constitutionnelles de la liberté d’expression ni pour confondre sectarisme et activisme en faveur des droits humains, y compris la défense de la liberté et des droits humains des Palestiniens ».

L’organisation musulmane américaine exprime également son soulagement de voir que la stratégie de Biden

« ne déclare pas que la critique envers ou l’opposition à l’occupation israélienne est intrinsèquement antisémite, comme certaines organisations civiles et des droits humains avaient craint que ne l’eût fait la stratégie ».

Mais CAIR semble toutefois n’avoir pas lu attentivement le document, à moins que, dans une quête éventuelle d’un siège à la table du proverbe, il ait ignoré sciemment son contenu. (Dans le cadre de la stratégie de la Maison-Blanche, CAIR va lancer « une tournée afin d’instruire les communautés religieuses à propos des démarches qu’elles peuvent entreprendre afin de protéger leurs lieux de culte d’incidents mus par la haine ».)

Dans un effort en vue de populariser la politique de Biden, CAIR se concentre sur ce qu’affirme la stratégie :

« Quand les juifs sont visés à cause de leurs croyances ou de leur identité, quand Israël est montré du doigt en raison de la haine contre les juifs, c’est de l’antisémitisme. Et c’est inacceptable. »

CAIR affirme :

« Cette distinction claire s’appuyant sur la motivation de la critique envers Israël éclaire l’engagement de l’administration à combattre l’antisémitisme tout en sauvegardant la liberté d’expression et le droit de s’engager dans l’activisme en faveur des droits humains. »

Mais ce n’est pas le cas. La distinction célébrée par CAIR est on ne peut plus vide de sens, quand d’importants groupes de pression pro-israéliens, telle l’ADL, affirment de plus en plus que toute opposition au sionisme et à Israël équivaut absolument à de la haine antijuive.

Les groupes de pression pro-israéliens accusent de motivation antijuive pour ainsi dire toute critique à l’égard d’Israël.

Réprimer l’activisme de la solidarité avec les Palestiniens ne requiert pas nécessairement du gouvernement fédéral même qu’il jette les gens en prison ou qu’il interdise leur discours.

Tout ce dont le gouvernement a besoin, c’est de faciliter un environnement favorable pour que le lobby pro-israélien, les sociétés privées, les universités et les plates-formes des médias sociaux accroissent la censure, l’intimidation et la répression – et c’est exactement ce que cherche à faire cette stratégie et c’est aussi la façon dont les groupes de pression pro-israéliens vont y recourir.

Mais, désormais, ils bénéficieront de la couverture et du soutien de CAIR.

 

Le ciblage des athlètes noirs

L’administration Biden se vante de ce que sa stratégie comprend

« plus de 100 actions nouvelles et de 100 appels à l’action » afin de combattre ce qu’elle appelle l’antisémitisme sur les campus, en ligne et dans « l’ensemble de la société ».

Cela comprendra plusieurs ligues sportives importantes, telle la NBA, par exemple.

Selon la « fiche d’information » de la Maison-Blanche, la ligue de basketball emmènera des joueurs dans des tournées « combinant des voyages dans des endroits comme Selma, en Alabama, Auschwitz, les camps japonais d’internement et Yad Vashem en Israël », tous étant censés les aider à « examiner les questions de race, d’antisémitisme ainsi que l’héritage historique de la discrimination ».

Après avoir visité le mémorial Yad Vashem de l’Holocauste, à Jérusalem, les joueurs se verront sans nul doute proposer une tournée de propagande israélienne tous azimuts.

Cette tentative soutenue par Biden dans un but de rééducation et d’endoctrinement pro-israélien des joueurs de la NBA est sans aucun doute motivée par l’inquiétude croissante des lobbys pro-israéliens à propos de la volonté d’athlètes vedettes, dont beaucoup sont noirs, de s’exprimer en faveur des droits palestiniens.

En dépit de tout le battage autour de cette « toute première » stratégie nationale, elle ne propose substantiellement pas grand-chose de neuf sur le plan de la tactique des groupes de pression pro-israéliens. La majeure partie de ce que réclame la stratégie est déjà en place.

Mais, avec le soutien total de la direction du Parti démocrate, le lobby réclame une intensification de cette censure et intimidation, du fait que le soutien à Israël continue à s’éroder, particulièrement parmi les jeunes Américains.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 26 mai 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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