« Les prisonniers sont vivants, mais sans vie »

L’ancien prisonnier Al-Masri : « Je crains que le prisonnier malade, le dirigeant Walid Daqqah, ne soit bientôt le tout prochain ajout à la liste des martyrs. »

 

Yusri Atiya al-Masri, 40 ans, a été emprisonné pendant 20 ans à Nafha et a développé un cancer de la thyroïde. (Photo : Muhamad Ahmed / Newscom / SIPA)

Des prisonniers palestiniens ont construit ce modèle réduit de la prison israélienne de Nafha, qu’on a ensuite exposé à Gaza. Yusri Atiya al-Masri, 40 ans, a été emprisonné pendant 20 ans à Nafha et a développé un cancer de la thyroïde. (Photo : Muhamad Ahmed / Newscom / SIPA)

Rajaa Salah, 19 juillet 2023

Yusri Atiya al-Masri n’oubliera jamais le jour où il a été transporté de la prison de Nafha, dans le sud d’Israël, à l’hôpital Soroka de Bir al-Saba.

Le véhicule de transport avait des sièges en métal, et des gardiens de prison israéliens étaient assis de part et d’autre de Yusri. Il était entravé et la douleur était si atroce qu’il n’était pas du tout certain de pouvoir survivre au voyage.

Au cours des quelques années de prison qui avaient précédé, il avait contracté une maladie débilitante non diagnostiquée, accompagnée d’épisodes d’évanouissement et d’une sévère perte de poids.

Pourtant, les autorités carcérales israéliennes avaient reporté ses soins médicaux jusqu’au moment où les compagnons de détention d’al-Masri avaient organisé des protestations réclamant qu’on lui applique d’urgence son traitement.

Finalement, en janvier 2012, près de neuf ans après son emprisonnement, il s’est retrouvé en route pour l’hôpital afin d’y recevoir un diagnostic et, avec un peu de chance, un traitement.

« Quand je suis arrivé à l’hôpital, mon tour pour l’examen chez le médecin est venu après que tous les autres avaient reçu leur traitement »,

explique-t-il.

« J’ai passé plusieurs nuits dans une cellule à proximité de la clinique. »

On lui a diagnostiqué un cancer de la thyroïde pour lequel il n’a pas reçu d’autre traitement que des antidouleurs jusqu’en novembre 2013.

« Pour moi, ç’a été un moment de triomphe parce que, finalement, j’ai découvert la cause de mon mal »,

explique al-Masri.

« Le médecin de la prison me disait que je mentais ou que j’imaginais des choses et que mes douleurs étaient dues à des troubles psychologiques. »

 

Vingt années en prison

Al-Masri, qui a 40 ans, aujourd’hui, rappelle tout cela au cours d’une interview par téléphone, fin juin, pour The Electronic Intifada.

Il vient d’être libéré de prison neuf jours plus tôt, le 15 juin 2023, après avoir purgé complètement sa sentence de 20 ans. Une foule de sympathisants et de proches sont là pour le saluer quand il débarque chez lui, à Deir al-Balah.

La mère d’al-Masri, Sabita, 75 ans, est présente elle aussi à la célébration et elle ne cesse de l’étreindre.

« Chaque jour qui passe, d’année en année, je persévère »,

déclare-t-elle. Son fils Yasser al-Masri est mort en juin 2022 des suites des blessures reçues lors de l’agression israélienne de mai 2021 contre Gaza.

« Le message que j’adresse du fond du cœur à toutes les mères de prisonniers est un message de résilience et d’espoir. »

Al-Masri avait été arrêté le 10 juin 2003, quand les forces israéliennes avaient lancé un raid nocturne contre la maison de sa famille à Deir al-Balah. Il avait 20 ans et était étudiant en deuxième année en langue anglaise à l’Université Al-Aqsa.

Pendant deux mois, il avait été interrogé à la prison d’Ashkelon à propos de son prétendu engagement avec le Djihad islamique. Il avait subi des violences physiques et verbales et il nous décrit ces interrogatoires comme des expériences particulièrement humiliantes.

Il avait été accusé d’affiliation au Djihad islamique et condamné à 20 années d’emprisonnement, avec cinq années de probation.

Il allait passer la prochaine moitié de sa vie à la prison de Nafha, où il continuerait à compléter son éducation.

Avec l’aide du Comité International de la Croix-Rouge et du département des Affaires des prisonniers de l’Autorité palestinienne, il obtint des livres sur l’histoire de la Palestine et il en recopia les textes à la main. Il emprunta également des livres à d’autres prisonniers.

En 2015, al-Masri obtenait un diplôme en histoire, avec une spécialisation sur la Palestine. Pendant tout ce temps, il allait continuer de lutter avec son cancer à la thyroïde nouvellement diagnostiqué.

Vers cette époque, un autre prisonnier, Maysara Abuhamdia, de Cisjordanie, mourut d’un cancer de la gorge.

« Cela a déclenché des protestations dans les prisons, de même que parmi les organisations de défense des droits humains, de l’Autorité palestinienne et des organismes de réglementation au sein même des prisons, qui réclamaient tous que l’on me soigne »,

dit-il.

« On a pris la décision de m’enlever la glande thyroïde et de m’administrer des rayons dans le cou », déclare al-Masri. Après cela, je n’ai plus subi d’autres traitements ni examens. »

 

N’oubliez pas les prisonniers

Al-Masri s’adapte à la vie en dehors de la prison. L’afflux de soutien a été massif et rassurant et il n’a pas cessé de recevoir des visiteurs depuis sa libération.

N’empêche qu’il va devoir subir une biopsie du foie fin juillet et il continue de lutter contre des valeurs élevées de sucre dans le sang et contre un dysfonctionnement glandulaire.

« J’attends les résultats des tests médicaux effectués récemment à Gaza pour évaluer mon état de santé »,

dit-il.

« J’espère que je ne vais pas recommencer à souffrir une fois de plus. »

Il est bien décidé à se servir de son expérience et de son éducation pour défendre les droits des prisonniers, en cherchant avant tout à aider les Palestiniens dans les prisons israéliennes à recevoir de meilleurs soins médicaux et de meilleures conditions de détention.

Il désire encourager les Palestiniens à poursuivre leur éducation, et insiste en disant que c’est un moyen de capacitation et de résistance.

« Le prisonnier malade n’est rien d’autre qu’un enterrement reporté »,

dit-il.

« Son décès est imminent. Je crains que le prisonnier malade, le dirigeant Walid Daqqah, ne soit bientôt le tout prochain ajout à la liste des martyrs. »

Daqqah, 61 ans, qui souffre d’un cancer de la moelle osseuse, est en prison depuis 37 ans, depuis mars 1986, pour avoir prétendument participé à la résistance armée en tant que membre du Front populaire pour la libération de la Palestine.

Al-Masri a un message pour les gens libres du monde entier :

« Ne cessez pas de soutenir la liberté des prisonniers. Les prisonniers sont vivants, mais sans vie. »

*****

Rajaa Salah est journaliste et vit à Gaza.

*****

Publié le 19 juillet 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Vous aimerez aussi...