Saïd Bouamama « Résister est un droit, occuper est un crime »
Dans la chronique « Le Monde vu d’en bas » publié sur Investig’Action, Saïd Bouamama présente l’actualité du point de vue des classes populaires.
Saïd Bouamama, 10 octobre 2023
La chronique de cette semaine est consacrée à la situation en Palestine occupée où les principaux mouvements de résistance palestiniens ont lancé une opération militaire inédite contre l’État sioniste. Nous nous pencherons également sur le traitement politique et médiatique de la question dans les grands médias occidentaux.
Une offensive inédite et sa signification
Samedi 7 octobre les principaux mouvements de résistances palestiniens lancent une offensive inédite par son ampleur. Jamais en effet autant de cibles n’ont été visées simultanément. Jamais également les voies maritimes, terrestres et aériennes pour lancer ces actes de résistances n’ont été utilisées de manière aussi coordonnée pour toucher le maximum de bases militaires et de colonies implantées illégalement et militairement sur des terres palestiniennes. Enfin pour la première fois les cibles touchent l’ensemble de la Palestine historique de 1948.
Concrètement l’opération baptisée « Déluge el-Aqsa » se concrétise par près de 5000 roquettes, par l’utilisation de motos, de camions, de bateaux et d’ULM pour atteindre les cibles, par l’attaque de postes de police et de postes militaires, etc.
Le quotidien israélien Haaretz résume sous la plume du journaliste et écrivain Gideon Levy le caractère inédit de l’opération comme suit, je cite :
« Hier, Israël a vu des images qu’il n’avait jamais vues de sa vie : des véhicules militaires palestiniens patrouillant dans ses villes et des cyclistes de Gaza franchissant ses portes. Ces images devraient arracher le voile de l’arrogance. »
La première signification de cette offensive est l’unité de la résistance palestinienne qu’elle révèle. L’ensemble des organisations de résistance palestiniennes ont en effet participés à l’opération « Déluge El-Aqsa » et non seulement les militants du Hamas comme l’écrive mensongèrement la plupart des grands titres occidentaux. Cette unité de la résistance allant du Hamas au Front Populaire de Libérations de la Palestine (FPLP) en passant par le Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP) et d’autres organisations plus petites, est un signe de l’échec des stratégies de divisions de la résistance initiées par l’Etat sioniste et par les chancelleries
occidentales depuis des décennies.
La stratégie politique de diabolisation du Hamas est depuis des décennies un des instruments majeurs de ce projet de division de la résistance dont le bilan aujourd’hui est celui d’un échec complet.
La seconde signification politique de cette offensive est l’unité régionales des résistances. Le Dimanche 9 aout une réunion à Beyrouth regroupant les organisations de résistances palestiniennes, le Hezbollah et la Parti communiste libanais se conclut par la constitution d’un comité de coordination militaires et par l’annonce de l’ouverture d’un Front Nord si l’armée israélienne entrait dans Gaza.
Les capitales des pays arabes seront par ailleurs le théâtre cette semaine de manifestations massives de soutien au peuple palestinien. Ce que révèle cette solidarité populaire et organisationnelle c’est l’échec de la stratégie de normalisation promue par les Etats-Unis, les autres Etats occidentaux et l’Etat sioniste pour isoler le peuple palestinien et sa résistance.
Le rétablissement des relations diplomatiques entre Israël, les Emirats Arabes Unis ou le Maroc, etc., qui avait comme objectif explicite d’isoler la résistance palestinienne se révèle être un échec complet.
La troisième signification politique de l’offensive de la résistance palestinienne est la confirmation d’une très vieille leçon des luttes contre les dominations et toutes les oppressions.
Cette leçon est résumée comme suit par Nelson Mandela, je cite :
« C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autres choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense »
C’est la même logique de légitime défense qui permet de comprendre l’offensive « Déluge El-Aqsa ». Expliquant les causes de celle-ci Rula Shadeed de l’Institut palestinien de diplomatie publique écrit, je cite :
« Dans toute situation de colonisation et d’oppression, la violence est le résultat de la brutalité de l’oppresseur. Il ne faut jamais faire porter la responsabilité d’une escalade sur le colonisé, qui est confronté à de grandes injustices depuis des décennies »
L’hypocrisie occidentale
L’ensemble des chancelleries occidentales ont immédiatement réagit à l’offensive « Déluge El Aqsa » en apportant leur soutien à l’État sioniste. De Berlin à Bruxelles en passant par Washington, Londres ou Paris le discours est identique.
Le ministre des Affaires étrangères britanniques condamne « les horribles attaques du Hamas », sans dire un seul mot des colonies qui privent les Palestiniens de leurs terres, des milliers de prisonniers politiques palestiniens, du blocus qui affame le peuple de Gaza, des 250 palestiniens tués depuis le début de l’année 2023 en Cisjordanie, etc. Le gouvernement italien soutient « le droit d’Israël à se défendre » sans jamais mentionner bien sur les droits des Palestiniens à se défendre.
Emmanuel Macron va dans la même direction, je cite : « Je condamne fermement les attaques terroristes qui frappent actuellement Israël », en se taisant bien sûr sur le terrorisme d’État de Tel Aviv depuis des décennies.
Les États-Unis enfin réaffirment, je cite « l’engagement inébranlable au côté de Tel Aviv et la volonté d’assurer à Israël ce dont il a besoin pour se défendre »
Cette convergence des États occidentaux souligne l’hypocrisie collective des États occidentaux qui n’ont pas hésité à propos de l’Ukraine de parler abondamment du droit à la résistance.
Le double standard que révèle la comparaison Ukraine-Palestine est de plus en plus criant. C’est ce double standard que dénonçait le président colombien à l’ONU lors de la dernière assemblée générale que nous avons commenté dans notre avant-dernière chronique.
Ce double standard révèle la fonction politique et géostratégique que joue l’Etat sioniste dans la région. Loin d’être seulement une colonisation classique, l’Etat sioniste est un gérant des intérêts occidentaux dans cette région aux richesses énormes et aux enjeux géostratégiques essentiels.
C’est ce qui fait le malheur du peuple palestinien et la grandeur de son combat. Le malheur parce qu’il n’est pas seulement confronté à la violence d’un Etat colonial mais à l’ensemble du camp impérialiste.
La grandeur parce qu’en dépit de la disproportion des forces militaires en présence, la résistance du peuple palestinien n’a jamais cessé. Cette résistance a su se renouveler et se réinventer en prenant en compte l’évolution du contexte et du rapport des forces. C’est cette caractéristique particulière de la colonisation sioniste qui fait de la lutte du peuple palestinien une centralité des luttes anti-impérialistes.
Mais l’hypocrisie consistant à couper les faits d’aujourd’hui de leurs causes c’est-à-dire de la violence coloniale permanente subie par le peuple palestinien, de même que la logique du « deux poids-deux mesures » n’est pas que le fait des États occidentaux.
On les retrouve également dans les déclarations de leaders politiques, à droite bien sûr mais également à gauche. Le secrétaire national du PCF ose ainsi déclarer, je cite :
« Le Hamas a lancé cette nuit une attaque massive de plusieurs milliers de roquettes contre l’Etat d’Israël, qui s’accompagnent d’incursions armées. Nous condamnons fermement ces attaques qui s’en prennent directement à la population civile israélienne. Elles sont inacceptables et injustifiables. Elles doivent cesser le plus rapidement possible »
François Rufin de la France insoumise exprime de même, je cite « une condamnation totale de l’attaque du
Hamas ». La sénatrice PS Laurence Rossignol n’hésite pas pour sa part à invoquer l’antisémitisme pour disqualifier tous ceux tentant juste de rappeler les causes de la situation actuelle, je cite : « Les juifs sont toujours responsables de ce qui leur arrive. C’est une constante du discours antisémite ».
Bien entendu toutes les voix discordantes, toutes les tentatives de rappeler les causes, tous les essais rappelant la nécessité de réintégrer les faits actuels dans leur contextes colonial, historiques et économiques, sont taxés d’antisémites, de complotistes, d’idiots utiles des intégristes moyenâgeux du Hamas, de complices du
terrorisme, etc.
Le traitement médiatique
Le double standard médiatique et politique se révèle au grand jour dans les silences ou les commentaires euphémisés concernant la riposte israélienne baptisée « épées de fer ».
La décision de bombarder aveuglément des lieux d’habitation et un hôpital n’est pas considéré comme du « terrorisme d’Etat » alors que le terme « terroriste » a été massivement usité pour qualifier l’offensive palestinienne. L’annonce d’une répression sanglante dans une logique de punition collective n’est, bien entendu, pas dénoncée dans la plupart des grands titres. Elle est au mieux présenté comme une riposte équivalente à l’offensive palestinienne et le plus souvent justifiée comme acte de légitime défense et nécessité pour réinstaurer la paix.
Bien entendu cette couverture médiatique dominante ne rappelle jamais le contenu de cette « paix » qu’il s’agirait de restaurer par des bombardements aveugles d’une des armées les plus dotées du monde, à savoir, une vie sous blocus permanent, une spoliation des terres ininterrompue depuis 1948, un enfermement d’un peuple dans un mur
militarisé euphémiquement appelé « barrière de séparation », des milliers de victimes et de prisonniers politiques, etc.
Nous l’avons souligné la plupart des commentaires médiatiques et politiques convergent vers le mensonge d’une offensive attribuée au seul Hamas. Or comme nous l’avons souligné c’est l’ensemble des mouvements de résistances qui ont déclenchés de manière coordonnée cette offensive.
La réduction au seul Hamas porte un objectif précis : masquer l’unité de l’ensemble du mouvement de libération nationale dans toutes ses composantes et au-delà l’unité du peuple palestinien pour refuser un statut de paria permanent.
Certains articles accusent ainsi le Hamas d’avoir pris en otage le peuple palestinien et d’être ainsi responsable des
bombardements aveugles de l’armée israélienne sur Gaza. Nous sommes ici en présence la vieille logique argumentaire de la domination c’est-à-dire l’inversion de l’ordre des causes et des conséquences, des bourreaux et des victimes, des dominants et des dominés.
Les organisations de la résistance palestinienne ont répondu à l’attente de leur peuple en lançant cette offensive. Elles étaient, comme l’était le peuple palestinien conscientes de la réaction prévisible de l’Etat sioniste. En dépit de cela elles et ils ont décidés la voie de la résistance.
Un autre argumentaire médiatique récurrent dans la couverture des affrontements militaires actuels est le choix du vocabulaire avec une sélection des termes différenciée selon qu’il s’agisse de parler des palestiniens ou des israéliens.
Les résistants palestiniens sont ainsi qualifiés de terroristes mais les bombardements de l’armée sionistes ne sont que des opérations de riposte. Les victimes israéliennes sont systématiquement l’objet d’une précision lorsqu’il s’agit de civils alors qu’il ne s’agit pour les palestiniens que de « morts palestiniens ». Rien de nouveau sous le soleil.
La même sélection du vocabulaire a été utilisée dans toutes les guerres coloniales de l’Algérie au Vietnam.
Un des leaders de la lutte de libération nationale, Larbi Ben M’Hidi répondait comme suit à cette accusation de terrorisme, je cite « Donnez-nous vos chars et vos avions, et nous vous donnerons nos couffins », en référence aux couffins dans lesquels les résistant algériens mettaient leurs bombes lors des attentats.
Enfin aucun des grands titres ne rappelle que le droit à la résistance est inscrit dans tous les grands textes sur le droit des peuples de la déclaration des droits de l’homme à la déclaration universelle des droits de l’homme. Ce que rappelle aujourd’hui le peuple palestinien au monde entier n’est rien d’autres que cette leçon durement acquise par l’humanité et l’ensemble de ses peuples, à savoir que « Résister est un droit et occuper est un crime ».
Pour aller plus loin :
– Daniel Schneidermann, Israël/Hamas : Les « civils » et les autres
– Gidéon Levy, Israël punit Gaza depuis 1948.
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Saïd Bouamama est sociologue et militant engagé professionnellement et personnellement dans les luttes d’émancipation dans toutes leurs dimensions, il est notamment l’auteur de Les Figures de la révolution africaine (La Découverte, 2017), Les Discriminations racistes : une arme de division massive (L’Harmattan, 2010), Planter du blanc Chroniques du néo-colonialisme français. (Syllepse, 2019). Avec le Collectif Manouchian dont il est un des animateurs, il a établi un Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe (Syllepse, 2012).