La normalisation israélo-arabe n’a pas éliminé la résistance

On a toujours perçu les Palestiniens comme des agneaux de sacrifice, à la fête de la normalisation entre Israël et les États arabes. Mais la majorité des populations arabes prennent clairement position en faveur du peuple palestinien dans sa lutte de libération vis-à-vis de l’occupation et du colonialisme de peuplement d’Israël.

 

7 octobre 2023. Des Palestiniens s’assurent le contrôle d’un char israélien après avoir franchi la clôture à la frontière d’Israël dans la région de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. L'opération de la résistance a surtout adressé un message aux États qui avaient choisi la normalisation avec l'occupant

7 octobre 2023. Des Palestiniens s’assurent le contrôle d’un char israélien après avoir franchi la clôture à la frontière d’Israël dans la région de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo : STR APA images)

 

Tamara Nassar, 8 octobre 2023

La question palestinienne était l’épine dans le pied des États arabes qui souhaitaient forger des alliances économiques, militaires et politiques avec Israël.

Dans leur effort en vue de dissimuler leur propre intérêt mesquin, certains États arabes ont tenté d’amadouer les Palestiniens en leur assurant des « concessions » cosmétiques par le biais de ces arrangements.

Toutefois, l’opération militaire surprise du Hamas, samedi, n’a sans doute pas remodelé l’équation stratégique de la confrontation militaire avec Israël, mais elle a surtout adressé un message aux États qui avaient choisi de normaliser leurs relations avec l’occupant.

Ce message disait que tous les espoirs de liquidation de la question palestinienne via les accords de normalisation étaient entièrement vains.

La résistance palestinienne est immunisée contre les stimulus économiques, les pots-de-vin ou les intentions sporadiques de vouloir garder viable le mensonge fragile d’une solution à deux États.

Les Palestiniens ne veulent qu’une seule et unique chose : la libération. Aucun changement dans l’alliance ouverte entre Israël et n’importe quel pays de la région n’a été en mesure d’altérer cette vérité fondamentale.

Il n’y en a pas eu de meilleure preuve que les événements de ces deux derniers jours.

 

Les premiers à normaliser

L’opération Déluge d’al-Aqsa

« est un message au monde arabe et islamique et à la communauté internationale, en particulier à ceux qui cherchent la normalisation, disant que la question palestinienne restera vivace jusqu’à la libération »,

a déclaré samedi le Hezbollah, la véritable force de défense et de dissuasion du Liban contre les menaces et agressions israéliennes répétées.

On rapporte qu’Israël et le Hezbollah ont échangé des coups de feu ce dimanche, attisant ainsi la crainte d’une confrontation militaire élargie.

Ismail Haniyeh, le chef du politburo du Hamas, s’est adressé aux normalisateurs arabes, dans son discours de samedi.

« Je dis à nos pays frères que cette occupation ne sera pas bénéfique et que la normalisation ne sera pas bénéfique non plus. »

Il n’y en a pas eu de meilleure preuve que dans le premier État arabe à avoir normalisé ses relations avec Israël : l’Égypte.

L’Égypte a officialisé ses relations diplomatiques avec Israël en 1979 et l’accord est entré en application l’année suivante.

Au fil des années, le pays a fini par devenir le partenaire d’Israël dans le siège de Gaza. Israël contrôle tout point d’entrée et de sortie avec Gaza, sauf le passage de Rafah, contrôlé par l’Égypte, qui l’utilise pour resserrer le nœud coulant autour du cou de l’enclave côtière. Même lorsque Rafah est ouvert, son franchissement peut s’avérer malaisé et dangereux.

Ces dernières années, le régime militaire égyptien soutenu par les EU et allié à Israël a pris des mesures extrêmes afin de renforcer le siège imposé à Gaza par Israël, y compris via la démolition massive de milliers de logements égyptiens situés le long de la frontière.

Mais, comme c’était à prévoir, rien de tout cela – plus de quarante ans après la signature du traité – n’a été à même de concrétiser une « paix chaleureuse » entre les Égyptiens et les Israéliens.

Bien au contraire. Dimanche, un policier égyptien a ouvert le feu sur des touristes israéliens dans la ville côtière d’Alexandrie, tuant deux Israéliens et un ressortissant égyptien.

L’incident de ce dimanche sert d’exemple pour montrer comment la grande majorité des ressortissants égyptiens perçoivent toujours Israël comme un ennemi régional collectif.

Samedi, le ministre égyptien des Affaires étrangères a mis en garde contre la poursuite de l’escalade et a appelé à la « retenue » dans une déclaration.

L’Égypte a insisté pour que soient consentis des efforts internationaux en vue d’une intervention urgente destinée à faire cesser l’escalade et à faire en sorte qu’Israël « cesse ses attaques et ses actions de provocation contre le peuple palestinien ».

 

Le mariage saoudien en grand péril

Voilà ce qu’il en est du premier allié.

L’Arabie saoudite, qui se préparait à devenir la toute nouvelle mariée d’Israël, se trouve désormais confrontée à un obstacle majeur.

Samedi, l’Arabie saoudite a appelé « à un arrêt immédiat de l’escalade entre les deux camps ».

L’État du Golfe a déclaré que l’escalade était la résultante de

« l’occupation continue, de la privation du peuple palestinien de ses droits légitimes et de la répétition des provocations systématiques à l’encontre de ses lieux saints ».

La déclaration appelait à l’activation d’un « processus de paix qui aboutirait à la solution à deux États ».

Le prince héritier saoudien Mohammad bin Salman avait présenté la perspective d’un accord de normalisation avec Israël sous le prétexte de proposer des concessions en faveur des Palestiniens, comme il l’avait dit à Fox News le mois dernier, lors d’une interview télévisée exclusive.

« Chaque jour, nous nous en rapprochons »,

avait déclaré MBS à la chaîne américaine, mais en insistant que le fait que,

« pour nous, la question palestinienne est très importante ».

Et d’ajouter que, si une percée dans les négociations implique de répondre aux « besoins » des Palestiniens et d’encourager le « calme » dans la région, il est prêt à collaborer avec toute personne gouvernant l’État d’apartheid.

Maintenant, tout cela semble non seulement improbable à la lumière d’un soulèvement palestinien qui récrit ses propres règles d’engagement contre les Israéliens mais, après les événements de samedi, la tâche va être ardue pour l’administration Biden si elle essaie de convaincre les Israéliens ne serait que de faire semblant de proposer des miettes aux Palestiniens.

Les responsables américains, dit-on, s’emploient à poursuivre leurs efforts en vue de maintenir en vie la normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël.

« Voyez : Qui s’oppose à la normalisation ? Le Hamas, le Hezbollah, l’Iran. Ce ne serait donc pas une surprise qu’une partie de la motivation aurait pu consister à perturber les efforts en vue de réunir l’Arabie saoudite et Israël »,

a expliqué le secrétaire d’État Antony Blinken sur CNN.

« Cela témoigne du fait que si nous pouvions concrétiser la normalisation, ce qui sera très difficile »,

a ajouté Blinken,

« cela apporterait une stabilité plus grande à la région ».

Blinken a poursuivi en disant que « la normalisation ne peut être un substitut à la résolution de leurs différences par les Israéliens et les Palestiniens ».

Avant l’entame de la confrontation militaire de samedi, les responsables israéliens ne faisaient déjà plus semblant à propos de leurs objectifs en s’engageant dans un accord avec l’Arabie saoudite.

« Nous ne ferons aucune concession aux Palestiniens, c’est une fiction »,

a déclaré le ministre israélien d’extrême droite des finances, Bezalel Smotrich, à la radio de l’armée le mois dernier.

Le mot « fiction » était bien à sa place et il démentait toute affirmation disant que ces accords pouvaient être bénéfiques pour les Palestiniens.

Mais, désormais, la façade des concessions s’est estompée et ne révèle plus que l’écran de fumée qu’elle est en réalité.

Les messages de relations publiques des accords d’Abraham se sont concentrés en permanence autour d’allégations fausses prétendant qu’on allait réaliser quelque chose pour les Palestiniens alors qu’en fait, c’était tout le contraire, qui était vrai. Les Palestiniens paient toujours le prix, dans ces accords.

Lors d’une prise de parole à l’Assemblée générale de l’ONU, le mois dernier, le roi Abdallah de Jordanie avait exprimé sa prudence quant à toute forme d’enthousiasme en faveur d’un arrangement saoudo-israélien.

« Ce fait de croire, comme c’est le cas de certains dans la région, qu’on peut sauter en parachute sur la Palestine, traiter avec les Arabes et, ensuite, faire marche arrière, cela ne fonctionne pas »,

a déclaré le roi Abdallah.

« Et même ces pays qui ont signé les accords d’Abraham avec Israël ont des difficultés à traiter publiquement ces questions au moment où des Israéliens et des Palestiniens meurent »,

avait-t-il ajouté.

« Ainsi donc, à moins que nous ne résolvions le problème, il n’y aura jamais de véritable paix. »

La Jordanie est une composante à part entière de l’hégémonie régionale américaine et c’est elle qui partage la plus longue frontière avec Israël. Mais, même depuis les accords d’Abraham, le royaume ne bénéficie plus de la distinction d’être – en même temps que l’Égypte – l’un des deux seuls pays de la région à entretenir des relations diplomatiques avec Israël, ce qui diminue fortement son statut sur ce plan.

 

Le blanchiment de la responsabilité israélienne

Les Émirats arabes unis, qui étaient les initiateurs de ces accords, ont blanchi la responsabilité d’Israël et se sont contentés

« d’exprimer leur profonde inquiétude quant à l’escalade de la violence entre Israéliens et Palestiniens ».

L’État du Golfe n’a pas abordé la question des actions d’Israël contre les sites sacrés palestiniens, bien que les dirigeants du Hamas aient cité ces provocations à al-Aqsa comme l’une des motivations de l’attaque surprise.

De même, le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn a lui aussi fait une déclaration en demi-teinte dans laquelle il minimisait l’implication d’Israël et insistait pour que les deux camps fassent preuve de plus de retenue.

Le Qatar, qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec Israël, mais qui négocie souvent des cessez-le-feu entre ce dernier pays et les combattants de la résistance palestinienne, a nettement moins mâché ses mots en y allant d’une diatribe contre Israël, dont les provocations, a-t-il dit, sont la première cause de l’escalade actuelle.

Le Qatar a déclaré qu’il

« tenait Israël pour seul responsable de l’escalade en cours en raison de ses incessantes violations des droits du peuple palestinien ».

Le Qatar a invité Israël

« à mettre un terme à ses violations flagrantes des lois internationales, à respecter les résolutions de légitimité internationale et les droits historiques du peuple palestinien, et à empêcher que ces événements soient utilisés comme prétexte pour déclencher une nouvelle guerre asymétrique contre les civils palestiniens de Gaza ».

La déclaration de l’État du Golfe invoquait de la même façon la solution à deux États sans toutefois la mentionner explicitement, et appelait à la création d’un État palestinien

« selon les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale ».

 

Pas si silencieuse, la majorité…

Au contraire des réponses timides de la plupart de leurs dirigeants, la majorité des populations arabes prennent clairement position en faveur du peuple palestinien dans sa lutte de libération vis-à-vis de l’occupation et du colonialisme de peuplement d’Israël.

Des milliers de Yéménites se sont rassemblés dans les rues de leur capitale, Sanaa, pour exprimer leur soutien au peuple palestinien.

De nombreuses personnes sont descendues dans les rues de Manama, la capitale de Bahreïn, en dépit des relations entre leur gouvernement et Israël.

Ce samedi, des manifestants se sont rassemblés dans le voisinage de l’ambassade d’Israël à Amman afin de témoigner leur solidarité avec les Palestiniens et de rejeter les relations de leur pays avec Israël.

 

D’autres ont protesté en Turquie, en Irak, au Liban, au Koweït et en Iran, tout en mettant en évidence leur soutien aux Palestiniens.

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Publié le 8 octobre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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