Le tout récent massacre de Palestiniens par Israël à Gaza fait partie d’un long passé de crimes de guerre

Le récent massacre par les Israéliens de dizaines de Palestiniens à Gaza, dont au moins 17 enfants, et les meurtres de Palestiniens de Cisjordanie qui ont suivi, toujours par Israël, ont eu lieu dans le sillage des révélations récentes à propos du massacre perpétré en 1956 par la police israélienne des frontières sur ses propres concitoyens palestiniens dans le village Kafr Qasim.

Une Palestinienne dépose une couronne lors d’une cérémonie à Kfar Qasim, le 29 octobre 2006, en souvenir des 50 citoyens palestiniens d’Israël massacrés en 1956. (Photo : Reuters)

Joseph Massad, 19 août 2022

Le massacre de ce mois fait partie d’une campagne toujours en cours qui cible les Palestiniens de Gaza et qui a commencé peu après l’établissement de la colonie de peuplement sioniste, en 1948.

Les raids frontaliers des Israéliens sur la Cisjordanie à l’époque annexée à la Jordanie et sur Gaza, alors aux mains de l’Égypte, ont été fréquents tout au long de la première moitié des années 1950. Ces opérations avaient inclus les massacres par l’armée israélienne de civils dans la ville palestinienne de Qibya, en Cisjordanie, en 1953, quand les Israéliens avaient liquidé 69 civils palestiniens, dont deux tiers de femmes et d’enfants, ou encore, la même année, 43 réfugiés palestiniens à Gaza. Les deux massacres avaient été perpétrés par l’Unité 101 de l’armée israélienne commandée par Ariel Sharon.

Une impunité totale

C’est dans ce contexte de l’impunité israélienne pour le massacre de Palestiniens en dehors des frontières israéliennes que, le jour de l’invasion israélienne de Gaza et de l’Égypte, le 29 octobre 1956, les Israéliens massacrèrent des Palestiniens à Kafr Qasim, un village à l’intérieur d’Israël et contigu à la Cisjordanie.

Tard dans la matinée, les Israéliens imposèrent un couvre-feu aux citoyens palestiniens de Kafr Qasim au moment où les fermiers palestiniens étaient sortis pour travailler dans leurs champs. La police israélienne des frontières avait attendu dans le village le retour des fermiers dans l’après-midi et les avait abattus un à un alors qu’ils rentraient chez eux. Il y eut 50 morts, dont une moitié d’enfants.

De récentes révélations d’archives montrent que le massacre faisait partie d’un plan visant à semer la panique générale parmi ce qu’il restait de la population palestinienne à l’intérieur d’Israël après le nettoyage ethnique des Palestiniens par les milices sionistes et l’armée israélienne entre 1947 et 1949. Le massacre, montrent les documents, faisait partie d’un plan israélien visant à pousser les Palestiniens restants à quitter carrément le pays.

Malgré une dissimulation initiale de l’affaire par le gouvernement, un procès eut bel et bien lieu et des sentences de prison – de 8 à 17 ans – furent prononcées en octobre 1958 à l’encontre de huit officiers. Des appels furent introduits et toutes les sentences furent réduites au point que tous les tueurs condamnés furent libérés en 1960, après avoir subi leur « peine », non pas dans une cellule de prison, mais dans un sanatorium à Jérusalem. Lors de leur libération, ils reçurent une augmentation de 50 pour 100 de leur paie et un chèque leur fut même alloué à temps pour la Pâque juive.

L’officier Gabriel Dahan, accusé d’avoir tué en une heure 43 des 50 Palestiniens assassinés – 48 moururent sur place et deux moururent plus tard de leurs blessures – fut désigné comme officier responsable des affaires arabes dans la ville de Ramleh, en septembre 1960.

Le général de brigade le plus engagé dans la responsabilité d’avoir donné les ordres du massacre, Yshishkar Shadmi, eut un procès séparé et fut reconnu coupable d’une « erreur technique » et condamné à un cent d’amende. Alors que la plupart des journaux israéliens de l’époque minimisaient le massacre, le célèbre journaliste israélien ashkénaze Jehoshua Radler-Feldman, connu sous le nom de plume Rabbi Banyamin, écrivait que

« nous devons exiger de la nation tout entière un sentiment de honte et d’humiliation (…) de ce que, bientôt, nous serons comme des nazis et des perpétrateurs de pogroms ».


Un crime prémédité

La récente libération de centaines de documents utilisés lors du procès des officiers israéliens accusés du massacre, mais qui étaient restés occultés jusqu’à présent, a résulté d’une décision d’une cour d’appel militaire en réponse à une requête introduite par le chercheur de l’Institut israélien Avekot, Adam Raz, il y a près de cinq ans.

Alors que les détails du massacre sont connus depuis des décennies, ce que révèlent les nouveaux documents, c’est que le massacre, en fait, faisait partie d’un plan israélien baptisé « Opération Hafarperet » (la taupe) visant à chasser tous les Palestiniens hors d’une zone appelée « le Triangle », cédée à Israël en même temps que sa population palestinienne en avril 1949 par le roi Abdallah de Jordanie après la fin de la guerre, sous le prétexte que l’armée jordanienne ne pouvait pas la défendre.

Le plan de déportation aurait pris beaucoup de temps pour concrétiser l’expulsion par Israël de 85 pour 100 des Palestiniens du territoire qui allait devenir Israël au cours de la conquête sioniste de la Palestine, en 1947-1949.

Le nouveau plan d’expulsion impliquait

« d’emprisonner les Palestiniens et de les forcer ensuite à s’échapper vers la Jordanie en plein chaos de la guerre »,

et il allait coïncider avec l’invasion par Israël de l’Égypte, complotée par Israël avec la France et la Grande-Bretagne. Chaim Levy, qui commandait la compagnie du Sud de la Police des frontières, laquelle contrôlait Kafr Qasim, prétendit que le commandant les avait instruits de ce que « la mort des Palestiniens était souhaitable ».

Il ajoutait qu’il existait deux éléments supplémentaires dans le plan : « créer des enclosures » et « « transporter les personnes ». Selon Haaretz, cela signifiait l’internement des citoyens palestiniens d’Israël dans des camps de détention et leur « expulsion de leurs foyers ». Le couvre-feu et l’exécution des transgresseurs avaient pour but d‘effrayer les Palestiniens et de les encourager à fuir.

Shadmi confirma la chose en disant :

« Cela peut encourager cette idée (…) que le fait de tuer quelques personnes en guise de mesure d’intimidation peut encourager une migration vers l’est, aussi longtemps que nous leur suggérerons [aux Palestiniens] cette migration vers l’est. »


Une tradition israélienne

Ce qu’on oublie souvent en parlant du massacre de Palestiniens par Israël, toutefois, c’est qu’après que les Palestiniens de Kafr Qasim eurent été massacrés, les Israéliens perpétrèrent encore deux autres massacres de Palestiniens au moment où l’invasion de Gaza et de l’Égypte progressait rapidement.

Au moment où Gaza allait être conquise, les Israéliens bombardèrent la ville de Khan Younis, le 2 novembre 1956, par voie aérienne, tuant des dizaines de civils, avant que les chars israéliens n’entrent dans la ville le 3 novembre. Les Israéliens poursuivirent les combattants de la résistance et les exécutèrent sur place ou dans leurs maisons.

Pendant ce temps, dans le camp de réfugiés adjacent de Rafah, les Israéliens rassemblèrent tous les hommes et garçons de plus de 15 ans sur la place de la ville. Ils les abattirent à la mitrailleuse, tuant ainsi entre 300 et 500 personnes, dont la vaste majorité étaient des civils et une moitié des réfugiés de 1948.

Énumérer les listes de massacres par Israël de civils palestiniens, y compris ceux de Gaza, requerrait des volumes. Qu’il suffise de dire que ce dernier massacre fait partie d’une tradition israélienne qui est accueillie avec beaucoup de soutien et peu de condamnation de la part de l’Occident.

En effet, la réponse des EU et de l’UE au massacre consista à déclarer à de multiples reprises et avec force leur soutien au « droit d’Israël de se défendre » et de déplorer – très discrètement – la mort de civils palestiniens.

Ce ne fut toutefois nul autre que l’infâme ministre israélien de la Défense, Moshe Dayan, qui, déjà en avril 1956, avait compris la souffrance des Palestiniens de Gaza quand il s’entêta à justifier l’addiction d’Israël à vouloir les tuer :

« Qui sommes-nous pour vouloir nous opposer à leur haine ? Depuis huit ans, ils sont dans leurs camps de réfugiés à Gaza et, devant leurs yeux, nous transformons en patrie pour nous, la terre et les villages sur lesquels leurs ancêtres ont vécu. »

« Nous sommes une génération de colons et, sans casques d’acier et sans canons, nous ne pouvons planter un arbre et bâtir un foyer. Ne reculons pas quand nous voyons la haine fermenter et remplir les existences des centaines de milliers d’Arabes qui nous entourent. Ne détournons pas le regard, de sorte que notre main ne glissera pas. Tel est le sort de notre génération, le choix de notre existence – être préparés et armés, forts et brutaux – ou, autrement, l’épée glissera de notre poing et notre vie sera anéantie. »

Il semble que les mots de Dayan continuent de refléter la réalité, non seulement pour les assassins israéliens, mais aussi et surtout pour leurs facilitateurs et sponsors financiers américains et européens.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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Publié le 19 août 2022 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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