Une évaluation pratique de la violence palestinienne

La violence palestinienne, une catégorie compliquée et ambivalente, requiert une analyse bien réfléchie et non des lieux communs orientalistes ou des platitudes libérales.

 

La réponse d’Israël à la violence palestinienne a été exceptionnellement brutale, surpassant même l’horreur de ses longues offensives de 2009 et 2014 contre Gaza

 

Steve Salaita, 19 octobre 2020


I Terreur et jubilation

Quand j’étais étudiant diplômé voici de nombreuses années, j’avais pu passer pas mal de temps dans un camp de réfugiés palestiniens au Liban. La vie y posait des défis mais, malgré l’adversité, les liens communautaires étaient solides. Il y avait certes des tensions internes, mais le retour en Palestine servait de principe unificateur.

C’était une période active de résistance palestinienne – à laquelle les journalistes et intellectuels occidentaux faisaient nonchalamment référence en la qualifiant de « violence palestinienne ».

Une tactique de prédilection de l’époque était la bombe suicide. Parfois, l’agresseur prenait pour cible une installation militaire. D’autres fois, il (ou elle) s’en prenait à des espaces publics. Les experts et intellectuels occidentaux, ainsi que bon nombre de leurs homologues dans le monde arabe, qualifiaient cette tactique de sous-produit d’un mal atavique et récoltaient en retour les habituels applaudissements. Le simple fait de suggérer la possibilité de facteurs sociologiques constituait une violation monstrueuse des normes professionnelles. Selon l’orthodoxie, le comportement palestinien était impétueux et irraisonné.

Comme dans de nombreux quartiers de la région, les récepteurs de télévision du camp diffusaient souvent une chaîne d’information, ne serait que comme bruit de fond. Chaque fois que le présentateur faisait état d’une nouvelle opération, des vivats jaillissaient des appartements densément peuplés du camp. La réaction ne m’importunait pas – ils vivaient dans des conditions sordides, après tout, et leur cause était indéniablement juste – mais je ne la comprenais pas pleinement, toutefois. J’avais tout simplement enregistré ces vivats comme un souvenir marquant.

À l’époque, j’avais une vague impression, bien que j’en fusse certain, que la jubilation n’était pas une expression de la furie sanguinaire. Ce genre d’interprétation me semblait simpliste et mesquin. J’avais connu trop de chaleur et d’hospitalité pour imputer le moindre mal à mes hôtes. De plus, je savais pourquoi les gens qui m’entouraient étaient des réfugiés. Je connaissais l’histoire des massacres qui s’étaient étalés sur deux pays. Je connaissais les histoires de tourment et d’humiliation, de nostalgie et d’exil, de perte et d’agonie. Les bromures ne seraient d’aucune utilité.

Avec le temps, j’en suis venu à comprendre que la jubilation était pour une part importante une expression d’espoir. Et d’un simple espoir, en plus : le désir profondément humain de retrouver son foyer. Chaque opération menée contre le colonisateur représentait une possibilité de retour. Les Palestiniens ne considéraient pas la situation au travers d’une lorgnette abstraite ou idéaliste. Ils étaient parfaitement pratiques.

Personne ne désirait encore vivre dans un camp de réfugiés.

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Au début de ce mois, la résistance palestinienne à Gaza a lancé une offensive remarquable, sans précédent dans sa portée et sa conception. Des centaines de roquettes ont échappé au très controversé Dôme de Fer d’Israël et ont touché le sol un peu partout entre Ashqelon et Tel-Aviv. Dans le même temps, des agents s’introduisaient dans le sud d’Israël et capturaient divers civils et membres des forces d’occupation israéliennes (FOI). Les combattants infiltraient les colonies sionistes, laissant derrière eux des douzaines de morts. L’une des opérations visait un festival de musique à proximité de la bande de Gaza. Pour la première fois depuis des décennies, les Palestiniens contrôlaient des terres situées à l’intérieur de la fameuse Ligne verte séparant Israël des Territoires occupés.

La résistance a demandé à ses alliés au Liban, en Irak, en Syrie et en Iran de se joindre à l’opération, ouvrant ainsi la possibilité d’une guerre régionale. L’attention du monde se concentrait de nouveau sur la Palestine.

La réponse d’Israël a été exceptionnellement brutale, surpassant même l’horreur de ses longues offensives de 2009 et 2014 contre Gaza.

Le festival de musique allait devenir la principale raison de cette brutalité. Les médias occidentaux ont rapporté mensongèrement que les Palestiniens démembraient les bébés et commettaient des viols de façon très répandue. Ces mensonges ont été répétés par le président des États-Unis. (*)

Les FOI ont ciblé des civils sans la moindre discrimination, ont coupé le gaz et l’électricité, bloqué la Cisjordanie, organisé des déportations massives, éviscéré des secouristes, coupé internet, bombardé des hôpitaux et refusé d’autoriser l’aide à partir de l’Égypte. Dans un projet colonial qui s’est obstiné pendant plus d’un siècle à commettre des atrocités, la prétendue guerre contre le Hamas a été l’un de ses épisodes les plus horribles.

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Dans les grands médias traditionnels du monde anglophone, choisir le camp des Palestiniens, même de façon hésitante, n’avait rien d’une option. Étouffer tout sentiment propalestinien a toujours été la norme, dans ces milieux, mais la répression dans le cas présent a été plus sévère que d’habitude. Les hommes politiques des deux tendances des parlements se sont empressés de condamner le terrorisme palestinien. Le monde des entreprises y est allé de ses habituels gestes d’angoisse et d’inquiétude. Et, dans un type de flagornerie qui a été perçue davantage comme cruelle que comme empreinte de platitude, une longue liste de célébrités ont juré leur soutien à Israël.

Si cet embargo sur la sympathie envers les Palestiniens n’existait pas, un plus grand nombre d’Américains auraient pu tirer un enseignement d’un contexte utile et prendre en considération certaines des questions pertinentes suscitées par la résistance palestinienne.

Ce contexte utile commence par la nature de l’État israélien, un avatar de belligérance et d’inégalité. Au-delà de son rôle en tant que force d’extraction dans la connexion mondiale de l’impérialisme américain, Israël a été fondé par une conquête qui doit encore être rectifiée. Cette conquête comprenait la déportation massive d’Arabes palestiniens, le vol de terre, le massacre de villages entiers, l’appropriation des ressources et la destruction de l’environnement naturel.

Au vu de ce contexte, la notion d’« autodéfense », la référence discursive incontournable des sionistes, se complique considérablement. Comment une puissance occupante peut-elle être en position de sujétion ou d’impuissance ? Ce n’est que dans des circonstances inhabituelles que l’oppresseur historique peut prétendre à l’autodéfense. Ici, il ne s’agit nullement d’une de ces circonstances : l’hostilité d’Israël en tant que puissance occupante est entièrement une affaire de routine. Les checkpoints sont agressifs. Les passages frontaliers sont agressifs. Les patrouilles militaires sont agressives. Les embargos sont agressifs. Les démolitions de maisons sont agressives. La construction de colonies est agressive. On ne peut invoquer l’autodéfense en tant que contrepoint à une agression incessante.

Bref, cela n’existe pas, l’autodéfense israélienne. Il s’agit catégoriquement d’une impossibilité.

Dans ce cas, une fois de plus, le problème avec les Américains n’est ni l’ignorance ni le manque d’information. Peut-être savent-ils diantrement bien qu’Israël tue des gens en grands nombres et peut-être cela les rend-il heureux. Peut-être sont-ils acclimatés au spectacle de la violence coloniale. Peut-être perçoivent-ils la chose comme un bienfait pour l’humanité. Peut-être perçoivent-ils dans un bain de sang le monde tel qu’il devrait être. Peut-être savent-ils tout ce qu’ils doivent savoir d’Israël, et entre autres que ce pays agit comme un miroir de leurs propres chimères d’héroïsme et de probité.


II Pourquoi la violence

La communauté israélienne des rave parties s’était rassemblée dans le désert, non loin de la colonie de Re’im, à quelques milles de la bande de Gaza. Les gens étaient là pour s’amuser dans un festival psychédélique de musique techno-électronique, Nova, une sorte d’étape dans un style de vie itinérant, tout empreint de sensualité et de vibrations pacifistes.

Nova. Le nom évoque la contemplation des étoiles, l’esprit d’aventure, le monde du possible. C’est mystérieux et fascinant, un portail s’ouvrant sur un monde différent, qui promet d’échapper aux pénibles corvées de cette planète en pleine détérioration. Tout juste hors de la vue des festivaliers, il y avait les deux millions de personnes de la bande de Gaza, en proie aux affres des sanctions, de l’immobilité et de l’occupation militaire. Eux aussi rêvaient d’un autre monde. Mais ce monde n’existe pas dans le cosmos. Il est déjà ici, sur cette terre, dans la patrie d’où ils ont été expulsés.

Ces rêves de mondes différents étaient inévitablement en conflit. Chaque monde requérait la disparition de l’autre. Le public israélien des rave parties pensait qu’il avait déjà réalisé son but et qu’il n’avait que le ciel à contempler. Mais les gens de Gaza n’ont pas consenti à cette destinée.

Ce contraste rappelle l’observation par Frantz Fanon de ce que « le contexte colonial se caractérise par la dichotomie qu’il inflige au monde ». À tout le moins, l’opération menée depuis Gaza était profondément fanonienne – ou peut-être pouvons-nous dire que Fanon avait correctement décrit l’inévitable logique de la résistance indigène.

Il existe une très grande tentation d’agiter le doigt en guise de menace, dans le sillage de l’opération, mais cette tâche à coup sûr n’est pas du ressort des universitaires et activistes de la métropole. Pas plus qu’elle ne devrait être la priorité des Palestiniens de la diaspora (au nombre desquels je m’inclus). Dans nos parages, aux prises avec une hostilité qui leur est propre, la priorité devrait consister à défendre les Palestiniens contre les tourments auxquels ils ont été soumis par la totalité du monde industrialisé. Parmi les hommes politiques, les artistes, les célébrités et les intellectuels, les Palestiniens ne risquent pas d’être à court de critiqueurs trop heureux de cosigner le génocide sioniste. Ces critiqueurs, de toute façon, n’ont nul besoin ou désir de souhaiter notre aval. Abandonner nos frères en vue d’apaiser l’establishment sioniste ne nous vaudra pas d’accolades. En fin de compte, celui qui aspire à la respectabilité se retrouve seul avec la honte de la conciliation.

Les Palestiniens sont parfaitement capables de formuler une stratégie et de réfléchir à des problèmes complexes sans l’aide de personnes étrangères ; ils n’ont certainement pas besoin de ce moralisme prémâché émanant des abrutis et autres arrivistes sociaux de l’Occident. L’histoire palestinienne n’est ni ésotérique ni inaccessible. En fait, on peut découvrir la raison qui sous-tend la violence palestinienne n’importe où dans l’importante masse de textes, d’Amilcar Cabral à Bassel al-Araj. Le fait que des intellectuels qui ont fait des carrières lucratives avec des mots en vogue aux consonances dures étaient si empressés à condamner un exemple réel de résistance indigène constitue une condamnation sans appel (et à mon avis définitive) du monde académique occidental.

En tout cas, il n’a pas fallu attendre longtemps que bon nombre des tout premiers comptes rendus sur la sauvagerie palestinienne soient qualifiés de faux ou d’exagéré  (*).  Les bébés israéliens n’ont pas été décapités et l’affaire des viols massifs est bien vite devenue une absurdité totale. Deux captives israéliennes au moins ont donné des interviews dans lesquelles elles déclaraient avoir été traitées avec humanité. Des gens de la police et de l’armée israéliennes se cachaient parmi les civils et ont été responsables de certaines des pertes en vies humaines attribuées aux Palestiniens. Néanmoins, l’histoire de la dépravation palestinienne a continué de circuler alors qu’Israël tuait des innocents par milliers et transformait d’importantes parties de la bande de Gaza en monceaux de décombres.

La réponse d’Israël a par conséquent mis en lumière la justification de l’opération des Palestiniens. Tout le monde s’attendait à de la méchanceté pure. Cette expectative ne surgissait pas de nulle part. L’opération n’avait rien de l’une ou l’autre expression aléatoire de haine. Il s’agissait en fait d’un contrepoint tactique à la malveillance systématique du colonisateur.

Comme tous les peuples colonisés, les Palestiniens doivent quantifier une soif de dignité face à l’agonie du châtiment. Ils ne peuvent s’asseoir passivement alors que l’oppresseur leur inflige une misère permanente et ils refusent d’accepter un discours ethnoreligieux dans lequel ils n’existent que pour être vaincus. Dans ce cas, que leur reste-t-il à faire ? Ils doivent se battre. Le combat peut être horrible, en conformité avec la situation imposée par la puissance occupante. Il pourrait infirmer la perception de l’état de victime par les observateurs. Parfois, il pourrait même transgresser les limites de ce que les intellectuels occidentaux considèrent comme une norme civile acceptable.

Les caractéristiques psychiques du combat fournissent une dignité indisponible dans l’univers de fantaisie du colonisateur. C’est donc un motif de jubilation. Il y a quelques mois, un groupe de fêtards blancs indisciplinés est tombé sur un docker noir au bord de l’eau à Montgomery (Alabama). C’était une scène familière : un tas de snobards sudistes animés d’un énorme sentiment de leur bon droit et qui se mettent en route pour agresser un bouc émissaire avec toute leur haine raciale. Le docker luttait avec ardeur mais il était vilainement en sous-nombre. Bientôt, pourtant, des douzaines de passants sont venus le défendre, par terre et par l’eau. Ils se sont mis à cogner sur les agresseurs blancs au cours d’une scène chaotique que de multiples caméras ont filmée sous plusieurs angles. La résistance avait été intense. Une blanche avait ramassé sur la tête un coup de chaise pliante. L’un des blancs s’était retrouvé dans le fleuve.

Dans les médias sociaux, et ailleurs, l’événement avait été fortement célébré par les usagers de couleur. Ils n’avaient pas tardé à réaliser des mèmes de la violence et avaient affublé de surnoms les participants à la bagarre. En un mot, tous ces usagers jubilaient.

La jubilation allait durer plus d’une semaine.

Elle véhiculait un message très clair : « Nous ne sommes plus sans défense. »

Aux Palestiniens, la résistance apporte un message similaire : Nous ne resterons pas passifs dans ces camps de concentration, nous ne nous laisserons pas affamer ni bombarder jusqu’à ce qu’on nous oublie. Les Palestiniens sont motivés par le désespoir de la survie car, si leur colonisateur prend sa décision à ce moment même, ils disparaîtront de la terre. Leur violence prétendument irrationnelle est la définition même de l’autodéfense.

La violence n’est pas essentiellement psychologique. Elle a des objectifs matériels également. L’idée est que les colons ne puissent jamais se sentir à l’aise, car c’est dans le confort que les colons ont l’impression d’avoir réalisé leurs objectifs. La terre leur appartient. Les autochtones finissent en effet par oublier et l’histoire, finalement, s’est terminée.

Les Palestiniens invitent les Israéliens à abandonner leur conception romantique de leur colonie. Ce n’est pas votre utopie exclusive. Ce ne sera jamais un lieu de répit. Vous ne pouvez être en sécurité ni prospérer à nos dépens.

Et c’est ainsi que bon nombre de Palestiniens jubilaient quand ils ont vu les colons israéliens monter à bord des avions qui allaient les emmener ailleurs.

III. La compulsion au génocide

Les commentateurs occidentaux ont entrepris de qualifier la situation actuelle de « guerre entre Israël et le Hamas ». Le terme est incorrect pour deux raisons. D’abord, il suggère une sorte d’équivalence qui dissimule les disparités économiques et technologiques entre les sociétés israélienne et palestinienne. Et, ensuite, Israël ne mène pas une offensive contre un parti politique, il mène une guerre contre la totalité de la population palestinienne.

Le but d’Israël n’est pas seulement de venir à bout du Hamas. Il veut également éradiquer la Palestine. Lorsque le ministre israélien de la défense Yoav Galant a déclaré qu’Israël allait traiter les Palestiniens comme des bêtes, son langage était clair et direct : il faisait état d’une compulsion au génocide.

En traitant les Palestiniens de bêtes, Galant – et cela vaut pour bon nombre de ses collègues – peut s’imaginer qu’il parle du caractère inhumain des Palestiniens mais, en fait, il présuppose et, partant, justifie leur violence. Après tout, ce sont les sionistes qui ont introduit le concept de race auquel les Palestiniens se sont acclimatés (via la souffrance et l’exclusion). Les sionistes ont instauré et maintenu la dichotomie entre l’humain et l’animal. Il en est résulté que les sionistes ont inventé un sujet palestinien qu’ils ne pourraient plus jamais contrôler par la suite. Ils n’avaient pas le choix. Le colon n’est rien sans l’indigène animalisé. Dans son bilan final, Galant acceptait inconsciemment le suicide.

 

IV La gauche professionnelle adhère

On peut discerner le caractère sérieux d’une insurrection dans le Sud mondial ou dans les ghettos et réserves de l’Amérique du Nord au type de réaction qu’elle inspire au sein de l’intelligentsia progressiste. Si l’insurrection promet d’infliger des dégâts tangibles à l’oppresseur, les membres de cette intelligentsia se précipiteront pour la condamner sur des bases morales.

C’est arrivé aux États-Unis avec les habituels hommes politiques et intellectuels de notoriété publique : Bernie Sanders, Alexandra Ocasio-Cortez, Naomi Klein, Jamelle Bouie et tous ceux et celles repris sur le rolodex. Un peu plus surprenante a été la réflexion insipide de Judith Butler sur les réticences des Palestiniens à rendre la libération plus confortable pour leur oppresseur.

Nombre d’entre nous ont toujours su que casser du sucre sur la Palestine constituait un rite de passage pour les aspirants à des cabinets politiques ou à des studios d’information. Nous comprenons par conséquent que, pour le candidat influenceur, ni la mort d’Israéliens ni celle de Palestiniens ne sont en fait des préoccupations morales : ce sont des opportunités professionnelles. C’est ici que nous percevons les tristes conséquences de la « résistance » comme une image en ligne : un abandon total au génocide d’une population en cage.

Le fait de savoir que l’approbation ou même la compréhension des classes professionnelles ne viendra jamais constitue l’une des raisons pour lesquelles la violence est essentielle dans la libération nationale. Les Palestiniens ont fermement décidé d’agir sans leurs gardiens occidentaux. La décolonisation est un projet épuisant, allant généralement au-delà de la perspicacité des gens qui ont été sevrés dans le confort.

Les classes professionnelles sont engluées dans les abstractions bourgeoises (dont elles tirent tant de récompenses) ou professent une politique matérialiste qu’en réalité elles ne soutiennent pas. Elles exigent une libération sans sang versé, mais uniquement sans le sang du colonisateur, même si l’autochtone saigne au vu et au su du monde entier. Elles exigent une révolte sans conséquence, un caucus de victimes virginales demandant poliment de rester en vie. Elles ont enseigné Fanon mais ont ignoré sa remarque qui dit que la décolonisation « ne peut s’accomplir en agitant une baguette magique, ni via un cataclysme naturel, ni via un gentleman’s agreement ».

Ces libéraux d’autrefois n’ont pas besoin de consulter les Palestiniens pour voir à quel point ils se trompent. Les sionistes expliquent depuis des décennies qu’Israël doit être vaincu par la force.


V La Palestine dit tout

La Palestine est le canari et la mine de charbon. Elle force des radicaux autoproclamés à admettre qu’ils sont secrètement libéraux. (L’idéologie = la mine de charbon. Le libéralisme = ses gaz nocifs.) Cela fait mentir l’adulation de la liberté d’expression en tant que moyen d’affirmer sa supériorité sur le plan de la civilisation. (La liberté d’expression = la mine de charbon. Le suprémacisme racial = ses gaz nocifs.) Cela permet de voir quels sont, dans le monde, les gouvernements qui sont sérieux à propos des droits humains. (Les gouvernements = la mine de charbon. Les droits humains = ses gaz nocifs.)

Chaque fois que la résistance palestinienne menace de détruire l’impérialisme, des villes de l’Occident démocratique s’empressent de décréter des mesures fascistes, de clouer le bec aux protestations, de licencier ou d’arrêter les dissidents, de rogner sur les libertés civiles et de réclamer l’obéissance de tous. Dans le sillage immédiat de l’opération palestinienne, les médias de la totalité du spectre ont déployé un vocabulaire à même de faciliter le génocide israélien. Les petits bouts de couverture sympathique ont pris la forme de juifs parlant d’Israël à d’autres juifs, lesquels ont continué de consigner la Palestine dans un lieu qui lui est étranger et non familier (telles sont, en premier lieu, les conditions du génocide). Les salles de réunion ont décrété une discipline rapide. Les recteurs des universités ont clairement fait savoir que les étudiants et membres palestiniens du personnel n’étaient pas autorisés à prendre la parole.

Le véritable conflit ne se situe pas entre le statut de civil et le terrorisme, mais bien entre la détermination des Palestiniens et l’anxiété de l’Occident.

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Je me souviens avec tendresse de cette époque dans le camp de réfugiés. Son décor est à jamais imprimé dans mon esprit : les bâtiments altérés, de plus en plus de guingois à mesure qu’on leur ajoutait des étages, le bruit des enfants dans chaque alcôve et cage d’escalier, l’odeur d’huile chaude, de thym et d’eaux usées, les ruelles à peine plus larges qu’une paire d’épaules.

Le camp était un endroit précaire. Même dans les moments de joie, la tension régnait. Telle est la nature de tout ghetto ou bidonville. À tout moment, il peut être débordé par la violence. Un camp de réfugiés est rempli de surplus dont les gens importants ne se préoccupent en aucun cas. Les Israéliens pouvaient s’amener, ou l’armée libanaise, ou les marines américains. Il pouvait être en état de siège, ou subir une guerre intestine. Il pouvait y régner une pénurie de nourriture, ou une maladie incurable. C’est cette possibilité même qui constituait une source de stress constant.

Mais, juste en dessous du littoral, il y avait la Palestine.

Que faudrait-il pour y arriver ? De façon surprenante, les gens consacraient peu de temps à cette question, sans doute parce que tout le monde connaissait la réponse.

« Le temps nécessaire pour y retourner. »

*****

Steven SalaitaSteve Salaita est un universitaire, auteur et conférencier américain. Il est devenu le centre d’une controverse lorsque l’Université de l’Illinois ne l’a pas embauché comme professeur d’études amérindiennes à la suite d’objections à une série de tweets critiquant le bombardement israélien de Gaza en 2014.

Publié le 19 octobre 2023 sur le blog de Steve Salaita
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

(*) Lisez également : ‘Massacres du Hamas’ : que s’est-il réellement passé le 7 octobre ?

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