Israël a laissé le caméraman d’Al Jazeera, Samer Abu Daqqa, se vider de son sang pendant des heures avant de mourir

Vendredi 15 décembre, dans la bande de Gaza, une attaque de drone israélien a tué un cameraman d’Al Jazeera et a blessé un chef de bureau de la chaîne.

Des proches, des collègues et des êtres chers des journalistes palestiniens Sari Mansour et Hasona Saliem, tués en plein travail, expriment leur deuil lors de la cérémonie funèbre qui se déroule à Deir al-Balah (Gaza) le 19 novembre 2023.

Des proches, des collègues et des êtres chers des journalistes palestiniens Sari Mansour et Hasona Saliem, tués en plein travail, expriment leur deuil lors de la cérémonie funèbre qui se déroule à Deir al-Balah (Gaza) le 19 novembre 2023. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

 

Tamara Nassar, 16 décembre 2023

Les Israéliens ont lancé le missile qui a blessé Wael al-Dahdouh et le cameraman Samer Abu Daqqa après que les deux hommes avaient été envoyés à l’école Farhana suite à des appels à l’aide de Palestiniens blessés et assiégés qui y étaient restés coincés.

Alors qu’al-Dahdouh était parvenu à rejoindre à pied des paramédicaux, les blessures d’Abu Daqqa l’avaient empêché de faire la même chose. Israël avait empêché les ambulances de le rejoindre et il était resté sur le sol pendant des heures à perdre son sang jusqu’à sa mort.

L’assassinat de Samer Abu Daqqa est la dernière en date des attaques israéliennes manifestement intentionnelles et systématiques contre les journalistes palestiniens et leurs familles. Avec la mort d’Abu Daqqa, le nombre de journalistes et de travailleurs des médias tués au cours de la guerre génocidaire d’Israël dépasse les 90, a estimé Al Jazeera.

 

« Retourner chercher Samer »

Parlant depuis son lit d’hôpital, al-Dahdouh a expliqué que lui et Abu Daqqa étaient en train de couvrir l’évacuation d’une famille palestinienne de l’école en coordination préalable avec une ambulance.

« Nous avons atteint certains endroits qu’aucune lentille de caméra n’avaient atteints depuis l’invasion terrestre. Même la défense civile ou les ambulances n’avaient atteint ces endroits. »

Après avoir terminé son reportage, al-Dahdouh avait parcouru une distance de quelques dizaines de mètres – puisque les véhicules ne pouvaient atteindre la zone en raison du niveau de destruction -au moment où il avait senti que « quelque chose d’énorme s’était produit » qui l’avait jeté par terre.

 

Al-Dahdouh a dit qu’il avait essayé de reprendre ses forces et de se mettre à l’abri car il prévoyait qu’une autre frappe de missile n’allait pas tarder. Se rendant compte de la gravité de sa blessure – son bras était ensanglanté – al-Dahdouh l’avait comprimée et avait choisi de continuer de marcher.

Il avait finalement repéré des paramédicaux et leur avait fait signe, mais ils étaient dans l’impossibilité de le rejoindre. Le correspondant avait marché dans leur direction et avant fini par les atteindre, avait reçu les premiers soins avant d’être emmené à l’hôpital.

« Je leur ai demandé de retourner chercher Samer », a déclaré al-Dahdouh.

« Mais les paramédicaux ont dit que nous devions nous en aller tout de suite et envoyer un autre véhicule sur les lieux afin d’éviter d’être tous pris pour cibles, et nous sommes arrivés à l’hôpital. »

Al Jazeera a rapporté qu’

« au moment où il avait rejoint une ambulance, les paramédicaux lui avaient qu’ils ne pourraient retourner sur les lieux de l’attaque du fait que c’était trop dangereux ».

« Après avoir été blessé, Samer avait été laissé sur place pendant plus de cinq heures, à saigner jusqu’à ce que mort s’ensuive, puisque les forces israéliennes avaient empêché les ambulances et les sauveteurs de l’atteindre, lui refusant ainsi le traitement d’urgence dont il avait si grande besoin »,

a fait savoir Al Jazeera.

Al-Dahdouh a expliqué au réseau qu’une ambulance avait bien tenté de rejoindre Abu Daqqa mais que les Israéliens lui avaient tiré dessus.

La diffusion en direct montrait al-Dahdouh peu après son arrivée à l’hôpital. Il avait pressé les paramédicaux et les journalistes qui l’entouraient de retourner sur les lieux et de secourir Abu Daqqa.

« Samer était en train de hurler, coordonnez-vous avec la Croix-Rouge, trouvez quelqu’un pour aller le rechercher ! »

Al-Dahdouh témoignait la même dignité et la même détermination qu’il avait montrées quand Israël avait tué sa femme, sa fille et son petit-fils au camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza le 25 octobre.

« Ceci est un message préliminaire malgré les blessures »,

avait-il dit depuis son lit d’hôpital.

« Je vais essayer de me reprendre et de récupérer afin de poursuivre ce que nous avons entamé dès le début de la guerre et, quoi qu’il en soit, je compte bien vous retrouver demain matin en direct à l’antenne. »

Ce n’était pas non plus la première fois que Wael al-Dahdouh avait été blessé par les forces israéliennes alors qu’il était en reportage. Il avait été frappé au bras par un éclat de balle alors qu’il couvrait les protestations de la Grande Marche du Retour de Gaza, en mai 2018.

 

Le choix de rester à Gaza

Le rédacteur en chef d’Al Jazeera, Mohamed Moawad, a dit de Samer Abu Daqqa qu’il

« n’était pas qu’un professionnel compétent, mais aussi une âme empreinte de compassion qui comprenait le pouvoir de raconter une histoire en images ».

Sa « lentille saisissait la réalité brute et non filtrée de la vie à Gaza » et son courage face à l’adversité permettait au monde de découvrir des histoires absolument inédites » de la région.

Ses amis et ses collègues ont chaudement pleuré Samer Abu Daqqa et ont fait remarquer son engagement à vouloir couvrir le génocide perpétré par Israël à Gaza.

 

Abu Daqqa avait eu l’occasion de travailler en Belgique pour Al Jazeera, mais il avait choisi de vivre à Gaza et il avait convaincu sa famille de retourner elle aussi dans l’enclave, a raconté son collègue Tamer al-Mishal.

 

Des attaques systématiques

Le Comité de protection des journalistes (CPJ) a réclamé une enquête internationale sur l’attaque, dont il dit qu’elle a été « le résultat d’un lancement de missile au départ de ce que l’on croit être un drone israélien ».

« Al Jazeera a diffusé une vidéo montrant al-Dahdouh qui porte sa vareuse de presse et qui assure dans son reportage qu’il prend ses précautions et qu’il est identifiable comme membre de la presse »,

a déclaré le CPJ.

Mais les vareuses de la presse ne semblent guère fournir aux journalistes palestiniens la protection qu’ils souhaiteraient.

Le mois dernier, la journaliste palestinienne Hind Khoudary a raconté à The Electronic Intifada qu’elle et plusieurs autres journalistes avaient choisi de ne pas porter leurs vareuses de presse ni d’équipements permettant de les reconnaître en raison de la crainte de devenir des cibles quand ils étaient déplacés de force du nord de Gaza vers le sud.

Al Jazeera a déclaré

« tenir Israël responsable du ciblage et de l’assassinat systématiques des journalistes d’Al Jazeera et de leurs familles ».

Lundi, une frappe aérienne israélienne a tué le père de 90 ans du journaliste d’Al Jazeera Anas al-Sharif. Cela s’est passé après qu’al-Sharif avait reçu des menaces par téléphone émanant d’officiers de l’armée israélienne.

 

Des journalistes sont attaqués

Les attaques israéliennes contre les journalistes s’étendent également à la Cisjordanie occupée.

Vendredi, à Jérusalem-Est occupée, les forces israéliennes ont « violemment agressé » le photojournaliste d’Anadolu Agency, Mustafa Alkharouf, alors qu’il effectuait un reportage dans le cadre de son travail.

Les policiers israéliens

« ont d’abord pointé sur armes sur Alkharouf, qui couvrait les informations, et l’ont ensuite jeté par terre tout en le rouant de coups de pied, alors qu’il était au sol »,

a déclaré l’agence de presse turque.

« L’agression physique contre Mustafa Alkharouf n’est pas un incident unique »,

a déclaré Carlos Martinez de la Serna, directeur de programme au CPJ.

« Elle fait partie d’un modèle d’attaques, d’agressions physiques et de menaces de la part des soldats israéliens et des colons contre les journalistes qui font des reportages depuis la Cisjordanie et Israël et leur chiffre a considérablement augmenté depuis le 7 octobre. »

 

Le CPJ explique qu’il a été à même de confirmer les décès d’au moins 57 journalistes palestiniens et de trois journalistes libanais.

Parmi les attaques israéliennes contre les journalistes, figurent également

« des agressions, des menaces, des cyberattaques, la censure et la perpétration d’assassinats visant les membres de leurs familles »,

a ajouté le CPJ.

Ce mois aura été le plus meurtrier, pour les journalistes, depuis que le CPJ s’est mis à collecter des données, en 1992 »,

a encore dit l’organisation.

Malgré les attaques dont ils font l’objet en permanence, les journalistes palestiniens restent plus que jamais décidés à couvrir sans interruption la campagne israélienne d’extermination des Palestiniens.

https://twitter.com/RamAbdu/status/1725967377693606296?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1725967377693606296%7Ctwgr%5Eebd963a75de6b87949ed39ae82974856d6df9faa%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fblogs%2Ftamara-nassar%2Fal-jazeera-cameraman-samer-abu-daqqa-left-bleed-death-hours

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Publié le 16 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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