Deux Nakbas, c’est trop pour un seul cœur !

Tout au long du trajet vers le Sud, Husson s’est souvenue de la Nakba originelle, de l’itinérance forcée, de la crainte et des massacres de 1948.

Environ 80 pour 100 de la population de Gaza a été déplacée de force. Nombreux sont ceux et celles qui se sont réfugiés dans les installations de l’ONU, telle cette école du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza.

Environ 80 pour 100 de la population de Gaza a été déplacée de force. Nombreux sont ceux et celles qui se sont réfugiés dans les installations de l’ONU, telle cette école du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

 

Hanin A. Elholy, 17 décembre 2023

Dans une maison de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, Husson, ses quatre fils et leurs familles ont cherché refuge en compagnie de la sœur de Husson et de sa famille.

Husson (beauté, en arabe) a 84 ans. Son voyage vers Rafah, depuis le camp d’al-Shati (appelé aussi Beach Camp) près de Gaza, qu’elle avait été forcée de quitter en raison des bombardements israéliens, a été long et périlleux.

En cours de route, elle et ses fils se sont réfugiés dans une école, jusqu’au moment où cette dernière non plus ne leur a plus procuré la moindre sécurité.

Et, tout au long du trajet, elle s’est souvenue de la Nakba originelle, de l’itinérance forcée, de la crainte et des massacres de 1948, quand elle et sa famille avaient été chassées de leur maison de la région de Ramle en Palestine.

Même cette fois-ci, a-t-elle expliqué à The Electronic Intifada, c’est aussi grave, sinon pire.

« Je regrette d’être venue. Si j’en avais à nouveau l’occasion, je resterais au camp d’al-Shati, plutôt que de subir ce qui est encore plus catastrophique que la ‘Nakba de ‘48’. »

Husson est née en 1939 dans une famille à moyen revenu du village de Zarnouqa, dans la région de Ramle.

Elle était l’aînée de onze enfants, sept filles et quatre garçons. Son père était fermier. Il travaillait pour un important marchand, alors que sa mère vendait leurs produits dans une échoppe.

La famille stockait des grains et de l’orge dans un silo.

Mais, tout en menant une vie relativement prospère, Husson n’a jamais reçu d’éducation. Elle était née au cours de la révolte palestinienne contre l’administration coloniale britannique de l’époque en Palestine et le projet de colonisation sioniste soutenu par le Royaume-Uni.

La révolte avait duré de 1936 à 1939.

Les temps étaient difficiles et le coût de la vie était élevé.

Husson se souvient des années de la Nakba comme d’années de déportation, de crainte, de bombardements et de massacres.

Elle et les membres de sa famille avaient été chassés sur tout le trajet menant à Gaza.


Ceux et celles qu’on a perdus

Finalement, après s’être mariée jeune, Husson s’était installée au camp de réfugiés d’al-Shati, à Gaza.

Sa famille avait grandi, pour compter finalement neuf garçons et quatre filles.

Il y avait eu des pertes, tout au long de cette vie. Son premier né, Jumaa, était mort à l’âge de 21 jours.

Puis, il y a 35 ans, son mari Khalil, qui travaillait pour une ONG locale, était tombé en rue.

À l’hôpital al-Shifa, à Gaza, on lui avait diagnostiqué une tension artérielle trop élevée. Cela n’avait cessé d’empirer jusqu’au moment où il avait perdu l’usage d’un bras et d’une jambe.

Il était mort peu de temps après.

Ses fils aînés avaient alors décidé d’aller de l’avant. Mahmoud et Ibrahim avaient trouvé du travail en Israël, calculant qu’ils devaient gagner suffisamment d’argent pour assurer la subsistance de la famille.

Husson avait toujours eu un faible pour Ibrahim, qui lui achetait sans cesse des cadeaux et se montrait généreux envers autrui, donnant « beaucoup trop » à ceux qui se trouvaient dans le besoin.

Mais ses deux fils étaient décédés avant elle.

Ibrahim avait eu une attaque soudaine. Mahmoud était mort d’une tension artérielle trop élevée.

En tout, au fil des années, sur ses 13 enfants, sept étaient morts.

La violence d’Israël a toujours été présente dans la longue existence de Husson. Lors de l’agression israélienne contre Gaza en 2014, l’armée israélienne avait bombardé la maison de son plus jeune fils, Salah.

La fille de Salah, Toqa, encore bébé, avait été tuée. Son autre fille, Hala, avait eu le bras cassé et sa femme avait dû subir un traitement de six mois en raison de ses multiples blessures.

Salah lui-même – qui n’était pas chez lui au moment du bombardement – avait été si affecté qu’il s’était effondré en apprenant la nouvelle. Petit à petit, il avait perdu sa capacité de marcher.

Les médecins n’avaient pu déceler aucune explication médicale de son handicap.

Aujourd’hui, il se sert d’une chaise roulante. Hala l’aide à se nourrir, elle le lave et l’emmène à la salle de bain.

 

Le génocide

Au début de la dernière attaque génocidaire d’Israël contre Gaza, Husson et sa famille avaient décidé, quoi qu’il arrive, de rester dans leur modeste maison du camp d’al-Shati.

« Lors de toutes les précédentes agressions, je n’ai jamais quitté ma maison »,

a déclaré Husson à The Electronic Intifada.

« Je ne referais jamais ce qui s’était passé en ’48. »

Mais les combats se sont rapprochés de plus en plus et les bombardements sans discernement d’Israël se sont avérés de plus en plus meurtriers.

Comme les infrastructures civiles – maisons, hôpitaux, mosquées, écoles – autour d’eux avaient été réduits en décombres et qu’aucune puissance internationale n’allait intervenir, la situation avait été perçue comme de plus en plus dangereuse.

Un après-midi, alors que Husson se reposait aux côtés de Salah, la maison avait été brusquement ébranlée sous l’impact d’une explosion toute proche, qui avait même percé la toiture en tôle ondulée.

La maison de leur voisin venait d’être bombardée et bien des maisons des environs avaient été complètement ou partiellement détruites. Les avions de combat israéliens avaient ensuite ciblé les équipes des ambulances et de la défense civiles qui tentaient de secourir les civils.

Il ne restait plus aux jeunes gens de la zone qu’à fouiller les décombres en vue de retrouver les victimes.

Personne, comme on le découvrit par la suite, n’avait été blessé, dans ce bombardement. Mais Husson avait été de plus en plus préoccupée par la sécurité de sa famille, surtout de Salah, qui ne se déplace qu’en chaise roulante.

À contrecœur, ils avaient décidé de s’installer à l’école Abu Assi toute proche afin d’y chercher la sécurité.

Au cours de la première période à l’école, les gens retournaient dans leurs maisons chaque matin afin d’y prendre une douche et de faire à manger.

Au début, la nourriture était encore disponible. Au bout d’un certain temps, elle était devenue plus rare et plus chère.

Ils vivaient de tomates, de pommes de terre et d’aubergines frites. La distribution d’eau s’était faite plus rare, affectant tout, aussi bien la cuisine que l’hygiène, et la situation n’avait cessé d’empirer à mesure que le nombre de personnes déplacées augmentait.

La guerre s’intensifiait dans le nord. Les bombardements devenaient de plus en plus aléatoires et ciblaient davantage le centre de Gaza.

Tout semblait être devenu une cible potentielle.

« Ç’a été des jours de misère »,

a dit Husson.

« Imaginez 65 personnes, hommes, femmes, enfants, handicapés et personnes âgées, tous entassés dans une seule classe et ne pouvant utiliser qu’un seul WC. »

 

La mort de Khader

Les bombardements devenaient incessants. Des missiles tombaient tout autour de l’école, ciblant les maisons environnantes.

Un jour, la mosquée Ahmed Yassin toute proche a été entièrement détruite.

« Tous ceux qui m’entouraient sont sortis en courant de la classe. Les gens hurlaient. Mon cœur galopait et des pensées de Nakba me hantaient »,

a déclaré Husson.

L’école s’était vidée, cédant à la panique, il n’était resté que Husson, Salah et Hala, qui tentait sans y parvenir de faire sortir son père et sa grand-mère.

Quand les bombardements ont diminué, des hommes sont arrivés pour les transporter, elle et son fils, en dehors de l’école jusqu’à l’arrivée sur place des autres fils.

La famille s’était mise en route vers le sud.

« Le long du trajet vers le sud, j’ai vu des gens qui avaient été bombardés et des débris humains étaient éparpillés partout »,

a déclaré Husson.

« Toute personne qui voulait s’écarter à gauche ou à droite ou ne serait-ce que regarder derrière se faisait tuer sur-le-champ. »

Son fils Khader était resté au nord, refusant de contribuer à la tentative israélienne de nettoyage ethnique total de Gaza.

Il s’était assuré que sa femme et leurs six enfants trouvent refuge au camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de Gaza, mais il avait décidé de rester dans une école, non loin de sa propre maison, qui avait déjà été détruite lors des bombardements.

Quelques jours à peine après son arrivée dans le sud, Husson a appris que Khader avait été tué dans une frappe aérienne des Israéliens. Son corps n’avait été retrouvé dans l’école que plusieurs jours plus tard.

Il avait été enterré à l’école même, pendant la courte trêve de novembre, sans la présence d’un seul membre de sa famille.

« Je n’ai pu l’embrasser ni le prendre dans mes bras pour la dernière fois. Israël m’a empêchée de dire adieu à mon pauvre fils. »

Aujourd’hui, Husson et ses quatre fils restent à Rafah, dans l’extrême sud, en compagnie de la sœur de Husson et de sa famille.

Husson regrette d’être partie. Elle n’a pas peur de la mort.

C’est cette vie, qu’elle craint, a-t-elle dit à The Electronic Intifada, une vie qui a impliqué des déplacements constants et des pertes catastrophiques.

Quoi qu’il se passe, insiste-t-elle, son peuple retournera un jour en Palestine et la libérera.

Quant à elle, eh bien, elle se bat.

« Deux Nakbas, c’est trop pour un seul cœur ! »

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Hanin A. Elholy est chercheuse, écrivaine et traductrice. Elle vit et travaille à Gaza.

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Publié le 17 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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