Qu’est-ce qui fera cesser le génocide à Gaza ?

L’Iran a fait savoir clairement qu’il renoncerait aux représailles contre Israël pour l’assassinat du dirigeant du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran il y a quinze jours, pour autant qu’un cessez-le-feu soit atteint sans délai. Dans le cas contraire, l’infâme incapacité de quasiment tous les autres acteurs internationaux à respecter leur obligation positive d’empêcher et de punir le génocide pourrait englober la région dans des pertes en vies humaines encore plus catastrophiques.

 

Génocide à Gaza. Photo : 12 août 2024, à l'hôpital des Martyrs d'A-Aqsa, dans la partie centrale de Gaza, un Palestinien pleure la perte d'un être cher tué au cours d'une attaque israélienne.

12 août 2024, à l’hôpital des Martyrs d’A-Aqsa, dans la partie centrale de Gaza, un Palestinien pleure la perte d’un être cher tué au cours d’une attaque israélienne. (Photo : Saher Alghorra / ZUMA Press Wire)


£Maureen Clare Murphy
, 15 août 2024

Mardi, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza, les jumeaux nouveau-nés Ayssel et Asser Abu al-Qumsan ont été tués en même temps que leur mère, Jumana Arafa, une femme médecin, et leur grand-mère, Reem al-Batrawi.

Au moment où leur immeuble à appartements a été frappé, leur père Muhammad Abu al-Qusman, passablement angoissé, était sorti pour aller chercher les certificats de naissance des bébés, nés quelques jours plus tôt.

« Ma femme, mes deux bébés et ma belle-mère ne sont plus là. On m’a dit que c’est un obus de char qui a frappé l’appartement où ils se trouvaient, dans une maison où nous avons été déplacés »,

a-t-il dit aux médias.

Le jeune père a emporté les certificats de naissance à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, où ses jumeaux, sa femme et sa belle-mère reposent à la morgue.

 

 

La veille de sa mort, la mère des jumeaux avait adressé un message vocal à l’ONG américaine HEAL Palestine pour la remercier de l’avoir soutenue durant sa grossesse, au cours de laquelle elle avait dû lutter pour se procurer de la nourriture et des soins de maternité.

« Il faut qu’il y ait un cessez-le-feu immédiat pour que prenne fin le massacre quotidien de femmes et d’enfants innocents à Gaza »,

a déclaré Steve Sosebee, le fondateur de HEAL Palestine, à l’annonce du décès de Jumana Arafa et de sa famille.

Tel est l’appel retentissant des organisations de l’ONU qui tentent de repousser la famine à Gaza de même que la propagation du poliovirus hautement contagieux qui a été détecté dans des eaux usées sur le territoire.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) prévoit d’envoyer à Gaza 1,2 million de vaccins contre la polio. Le premier envoi est prévu pour le 17 août et attend l’approbation d’Israël. Mais un cessez-le-feu et la liberté de mouvement des travailleurs humanitaires sont nécessaires pour permettre l’administration des vaccins.

« Il s’agit d’une urgence de la santé publique partout où l’on détecte la présence du poliovirus »,

a déclaré Hamid Jafari, un spécialiste de la polio qui travaille à l’OMS, lors d’une interview accordée à Al Jazeera English la semaine dernière.

Le virus pourrait se répandre en dehors de Gaza et gagner Israël, la Cisjordanie et d’autres pays encore – le Liban, l’Égypte et la Jordanie, a déclaré Hamid Jafari.

« Il peut se propager très rapidement au niveau international »,

a ajouté Hamid Jafari,

« et, fait plus important, il constitue une menace directe pour les enfants de Gaza et il pourrait se mettre à paralyser des enfants très, très rapidement. »

 

La frustration des EU

Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une demande de cessez-le-feu à Gaza en mars – après que les EU se sont opposés à plusieurs projets de résolution réclamant une trêve – et, en janvier, la Cour internationale de Justice avait déjà ordonné à Israël de cesser ses actes génocidaires contre Gaza.

Mais les EU, qui continuent de fournir les armes utilisées par Israël pour perpétrer le génocide, insistent pour que le cessez-le-feu soit atteint via des négociations bilatérales.

Au lieu de faire cesser le bain de sang, les négociations dirigées par les EU en vue d’un cessez-le-feu et qui impliquent également le Qatar et l’Égypte, ont prolongé le génocide à Gaza, où plus de 16 450 enfants font partie des quelque 39 900 victimes confirmées par le ministère de la Santé.

Dans un contexte où, depuis longtemps, le droit international est considéré comme nul et vide de sens, les Palestiniens sont contraints de négocier un accord censé mettre un terme à leur extermination avec la partie même qui se livre à cette extermination.

Alors qu’ils sont totalement engagés dans un changement de régime à Gaza et qu’ils soutiennent à fond le but de guerre d’Israël consistant à éloigner le Hamas en tant qu’autorité dirigeant de fait le territoire, les EU sont frustrés qu’un cessez-le-feu n’ait pas encore été dégagé.

Cette frustration ne provient pas de l’indignation morale suscitée par le grand nombre de Palestiniens tués à Gaza, mais plutôt de l’échec et de l’incompétence d’Israël dans l’atteinte du moindre succès stratégique.

Dix mois après que Tel-Aviv s’est mis à tuer délibérément des civils et à semer la destruction à une échelle incommensurable, la résistance sur le terrain à Gaza continue de riposter et d’infliger de lourdes pertes à Israël.

Les hauts responsables américains tentent désormais de créer l’image d’un important coup israélien contre le Hamas tout en mettant en garde contre le fait qu’Israël n’a rien de plus à gagner à Gaza – on est loin du but vague et hors de portée du Premier ministre Benjamin Netanyahou parlant de « victoire totale » contre la résistance palestinienne.

L’administration Biden ne confère aucune valeur aux vies des Palestiniens à Gaza – et ne leur a même pas accordé une mention symbolique dans la déclaration de la Maison-Blanche au 100e jour de la guerre – mais elle prétend avoir œuvré sans arrêt pour garantir la liberté des Israéliens et des Américains détenus en otage à Gaza depuis le 7 octobre.

Si Washington se souciait vraiment des otages, il aurait imposé un cessez-le-feu depuis longtemps en coupant l’aide militaire accordée à Israël. En lieu et place, et surtout par le biais de son veto au Conseil de sécurité de l’ONU, l’administration Biden a maintes fois entravé les efforts internationaux en vue de mettre un terme aux attaques israéliennes incessantes et aveugles qui ont tué, entre autres, un grand nombre de ces mêmes otages.

Entre-temps, le gouvernement israélien dirigé par Netanyahu et sa clique d’alliés d’extrême droite sembla avant tout désireux, sinon impatient, de sacrifier les existences des otages en vue d’une « victoire totale » – un objectif que, lundi dernier, lors d’une réunion à huis clos avec des députés, le ministre de la Défense Yoav Gallant a décrit à maintes reprises comme un « vulgaire charabia ».

comme un “vulgaire charabia”.

 

Une diplomatie coercitive

En début de mois, Netanyahou a dit au Parlement israélien, la Knesset, que

« tant que nous continuerons à le soumettre à des pressions, le Hamas va céder de plus en plus ».

Et en « continuant de le soumettre à des pressions », Natanyahou veut dire massacrer plus encore de nombreux civils palestiniens.

L’analyse militaire Elijah Magnier écrit que la diplomatie coercitive était en jeu dans le massacre perpétré par Israël samedi dernier à l’école Tabaeen, à Gaza.

Une centaine de Palestiniens avaient été tués par des missiles israéliens de fabrication américaine, lesquels avaient frappé l’école sans avertissement alors que des personnes déplacées réfugiées à l’intérieur du site se livraient à leurs prières de l’aube.

Alors qu’Al Jazeera diffusait les images horribles de corps démembrés et du carnage raconté par son correspondant en état de choc, Anas al-Sharif, Israël prétendait avoir ciblé et éliminé une vingtaine d’agents du Hamas et du Djihad islamique utilisant l’école comme centre de commandement et il publiait les noms et les photos d’identité de ces prétendus agents.

Le porte-parole militaire en langue arabe accusait al-Sharif d’avoir menti et

« d’avoir couvert les crimes du Hamas et du Djihad [islamique] qui s’abritaient à l’intérieur des écoles ».

De nombreuses personnes ont perçu cette accusation comme une menace de mort à l’encontre d’Anas al-Sharif.

 

Photo : le journaliste Anas al Sharif

 

Une semaine plus tôt exactement, al-Sharif découvrait les corps de son collègue et ami d’Al Jazeera, Ismail al-Ghoul, et du cameraman Rami al-Rifi après qu’ils avaient été tués par une frappe de drone israélien et, dans la foulée, Israël avait accusé al-Ghoul d’être un commandant du Hamas.

Dans le cas du massacre de l’école Tabaeen – et cela vaut pour de nombreuses autres attaques contre des civils et des biens civils à Gaza –, il est bien vite devenu évident qu’Israël fabriquait rétroactivement des justifications de ce qui constituait des crimes de guerre de façon on ne peut plus flagrante.

Trois des agents de la résistance qu’Israël a prétendu avoir tués samedi à l’école Tabaeen avaient en fait été tués au cours de précédents incidents, dont l’un en décembre. D’autres personnes, parmi les agents supposés du Hamas et du Djihad islamique cités par Israël, étaient des vieillards ou des opposants bien connus du Hamas.

Muhammad Shehada, directeur de la communication à l’Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med), qui a dénoncé ces fausses allégations israéliennes, a déclaré que,

« fondamentalement, ce qu’Israël a fait, ç’a été de bombarder au hasard une prière de l’aube [fajr] dans une école surpeuplée, en présumant que, si les membres du Hamas étaient croyants, il devait forcément y en avoir quelques-uns parmi les fidèles “

« Ils ont prétendu avoir ciblé un ‘important commandant’ anonyme, après quoi il leur a fallu 16 heures pour débarquer avec des noms »,

a ajouté Muhammad Shehada.

« Pourquoi 16 heures s’ils savaient exactement qui ils ciblaient ? »

L’armée israélienne

« a attendu que les gens de Gaza postent les noms de leurs morts dans les médias sociaux »,

puis elle a constitué une liste d’agents supposés

« car, qui va la vérifier ? Les médias traditionnels ? Biden ? L’UE ? »

Al-Haq, une organisation palestinienne de défense des droits humains, a déclaré que son unité d’architecture médico-légale n’avait rien trouvé pour étayer les allégations israéliennes disant que l’école était utilisée comme base d’organisations armée.

 

Le but des mensonges d’Israël

Mais il importe peu à Israël que ses allégations soient dénoncées, puisque ses dirigeants savent qu’au bout de quelques jours d’une inefficace condamnation internationale de ses crimes – très à l’instar des pensées et vœux rituels et creux proposés par les hommes politiques à l’issue des tueries de masse aux EU – l’affaire sera oubliée par ses puissants alliés, qui sont impatients de reprendre le train-train habituel de leurs affaires.

Dans ce cas, pourquoi Israël s’évertue-t-il à inventer des mensonges pour justifier ses crimes, si l’indignation internationale s’éteint aussi rapidement, et sans la moindre conséquence matérielle ?

Selon l’analyste Mouin Rabbani, Israël prétend que le Hamas utilise des écoles et des hôpitaux comme bases militaires

« pour mettre un peu de viande sur les os de son leitmotiv disant que les Palestiniens utilisent la population civile de la bande de Gaza (…) comme ‘boucliers humains’ ».

Ceci permet à Israël de déplacer la responsabilité des tueries massives qu’il a infligées aux Palestiniens selon le scénario classique de culpabilisation des victimes, estime Mouin Rabbani.

Afin de démontrer l’efficience de cette stratégie, à la suite du massacre de l’école Tabaeen, au lieu de condamner le massacre des civils, les officiels américains et européens ont ressorti l’allégation des boucliers humains pour impliquer qu’il convenait de blâmer le Hamas pour les morts de dizaines de Palestiniens tués par des armes américaines lancées par Israël.

Entre-temps, le quotidien de Tel-Aviv Haaretz a rapporté cette semaine que l’armée israélienne utilisait à Gaza des Palestiniens, dont des enfants et des personnes âgées, littéralement comme boucliers humains en les envoyant préalablement dans des tunnels et des immeubles potentiellement piégés, avant d’y envoyer ses propres hommes et que, dans certains cas, elle les avait même affublés d’uniformes de l’armée israélienne.

Les Palestiniens ont déjà fait état de cette pratique, qui a été dénoncée par Al Jazeera bien avant la publication de l’enquête de Haaretz. Mais les soldats interviewés par le journal ont confirmé que c’était une question de politique, en dépit des allégations du porte-parole de l’armée israélienne disant que l’emploi de boucliers humains était interdit.

 

L’« osloïsation » des négociations de cessez-le-feu

Un rapport d’enquête d’Al Jazeera a estimé que l’attaque contre l’école Tabaeen samedi dernier avait été

« délibérément minutée pour provoquer un maximum de tués » tout en « ciblant délibérément un grand nombre de personnes déplacées ».

Le but de la diplomatie coercitive – dans de cas, tuer des civils en très grands nombres – est de rompre la volonté de combat de l’adversaire (…) en le forçant par conséquent à accepter les termes imposés », indique l’analyste politique Elijah Magnier.

« Cette stratégie prouve que le pouvoir destructif instilla la crainte et affaiblit le moral de l’adversaire en suggérant que la poursuite de la résistance entraînera des pertes civiles et des souffrances encore plus grandes »,

ajoute Magnier.

Israël « utilise cette tactique depuis des mois » à Gaza, écrit Magnier, et une absence de demande de comptes au niveau international a permis aux atrocités à l’encontre des civils de se poursuivre en tant que principal moyen utilisé par Israël pour accroître la pression sur le Hamas.

Les attaques menées par Israël contre des civils constituent des violations flagrantes des lois internationales humanitaires – les lois de la guerre.

Mais, depuis des décennies, des acteurs puissants traitent la Palestine comme un endroit où les lois internationales ne s’appliquent pas.

Les interminables négociations bilatérales dirigées par les EU entre l’occupant et les colonisés en vue de mettre fin au génocide constituent une mutation grotesque du paradigme du processus de paix, qui a cherché à dégager Israël de ses obligations juridiques tout en traitant les droits élémentaires des Palestiniens comme une vulgaire monnaie d’échange.

Le semblant de processus de paix dirigé par les EU sous la bannière des accords d’Oslo a facilité une situation d’impunité et permis à Israël d’accélérer sa colonisation et sa soumission par la violence du peuple palestinien.

Comme l’auteure du présent article l’écrivait en mars, les pourparlers indirects de cessez-le-feu, à l’instar du processus de paix qui les ont précédés, permettent à Israël de négocier en toute mauvaise foi, puisqu’il poursuit ses violations manifestes des lois internationales en se cramponnant à ses objectifs génocidaires. Et ensuite, Israël, en compagnie de Washington et de ses alliés européens, rejette le blâme de l’inévitable rupture des pourparlers sur le dos des Palestiniens et des acteurs régionaux de la résistance.

Et c’est donc ainsi que des jumeaux sont tués en compagnie de leur mère et de leur grand-mère à Gaza. Et les parents palestiniens enterrent des sacs emplis de chair humaine, sans savoir s’ils contiennent les restes de leurs enfants ou ceux de quelqu’un d’autre. Et les EU envoient plus d’armes encore afin de permettre aux tueries de se poursuivre à volonté.

Sous la direction nouvelle de Yahya Sinwar, le Hamas a annoncé dimanche qu’il ne participerait plus à d’interminables séances de négociations stériles et il a insisté pour que les médiateurs soumettent un plan visant à appliquer les propositions avec lesquelles le mouvement de résistance s’est dit d’accord début juillet.

Lundi, Abu Obeida, porte-parole des Brigades Qassam, l’aile armée du Hamas, a sorti une vague annonce disant que deux de ses combattants commis à la garde d’otages israéliens à Gaza en avaient tué un et sérieusement blessé deux autres au cours de deux incidents séparés.

Des tentatives ont eu lieu en vue de sauver les vies des otages blessés et les incidents allaient être soumis à des enquêtes, a expliqué Abu Obeida, qui n’a pas fourni d’autres informations.

Alors que le Hamas avait précédemment annoncé la mort de plusieurs captifs suite à des attaques de l’armée israélienne et à des tentatives de sauvetage avortées, l’annonce d’Abu Obeida était la première via laquelle Qassam disait que des gardiens avaient tué un captif.

Si telle n’était pas son intention, la déclaration de Qassam va néanmoins accroître à coup sûr la pression en Israël en vue de garantir un accord visant à sauver le nombre de plus en plus restreint de captifs dont on croit qu’ils sont toujours en vie.

Et, pour bien faire entrer dans les têtes le message que Qassam n’a toujours pas été vaincu et qu’il ne se rendra pas à l’État génocidaire d’Israël, mardi, pour la première fois depuis le mois de mai, Qassam a tiré deux roquettes en direction de Tel-Aviv. On n’a rapporté ni victimes ni dégâts.

Il devrait être clair, désormais, qu’une fin au conflit devrait être imposée à Israël.

Avec les EU qui achètent plus de temps encore en faveur d’Israël et qui lui envoient plus d’armes encore pour poursuivre la boucherie, cela retombe sur les épaules de l’Iran et du Hezbollah d’imposer en fin de compte la fin du bain de sang.

L’Iran a fait savoir clairement qu’il renoncerait aux représailles contre Israël pour l’assassinat du dirigeant du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran il y a quinze jours, pour autant qu’un cessez-le-feu soit atteint sans délai.

Dans le cas contraire, l’infâme incapacité de quasiment tous les autres acteurs internationaux à respecter leur obligation positive d’empêcher et de punir le génocide pourrait englober la région dans des pertes en vies humaines encore plus catastrophiques.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 15 août 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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