Israël a anéanti la famille de mon frère

Parmi les victimes d’un missile israélien, il y avait mon frère, Ahmed, 37 ans, et sa femme, Marwa, 28 ans, et leurs enfants, Mahmoud, 6 ans, et Muhammad, 3 ans, ainsi que 10 membres de la famille de Marwa.

 

Israël a anéanti la famille de mon frère. Photo : Une équipe de secours et des résidents fouillent des décombres dans l'espoir de retrouver des survivants après une frappe de missile israélien sur un immeuble de Deir al-Balah, le 23 février 2024.

Une équipe de secours et des résidents fouillent des décombres dans l’espoir de retrouver des survivants après une frappe de missile israélien sur un immeuble de Deir al-Balah, le 23 février 2024. (Photo : Naaman Omar / APA images

 

Doaa Salim, 27 septembre 2024

C’est à Gaza que je veux vivre et mourir.

Mourir à Gaza, de ces jours-ci, ce n’est pas comme mourir en n’importe quel autre endroit. À Gaza, on pourrait vous adresser un adieu. Vous pourriez avoir une tombe. Vous pourriez finir sous forme d’une moitié de corps, ou d’un simple lambeau de chair.

À Deir al-Balah, nous vivons dans une prétendue zone de sécurité. Notre maison a accueilli des dizaines de femmes et enfants déplacés de divers endroits de Gaza depuis octobre dernier. Bien que relativement calme, l’endroit n’est pas du tout en sécurité.

Rien n’est en sécurité.

Le 2 juillet, je me souviens, j’étais assise avec mes frères Ahmed et Mahmoud, ma sœur Asma et mes parents, savourant du thé dans notre arrière-cour. Il faisait très clair et un peu venteux.

Mon frère Ahmed a fini sa tasse et nous a quittés.

Vers 15 h 30, j’ai entendu une grosse explosion. Des cailloux et de la poussière se sont mis à me tomber sur la tête. L’endroit est devenu tout gris et je ne pouvais quasiment plus rien voir à cause de l’opacité de la fumée.

Quand j’ai entendu les cris d’Asma, j’ai crié moi aussi.

Un avion de combat israélien avait tiré un missile qui, en fin de compte, devait tuer 14 personnes.

Parmi les victimes, il y avait mon frère, Ahmed, 37 ans, et sa femme, Marwa, 28 ans, et leurs enfants, Mahmoud, 6 ans, et Muhammad, 3 ans, ainsi que 10 membres de la famille de Marwa.

En tout, 18 personnes avaient cherché à s’abriter dans l’appartement de mon frère, au quatrième étage de l’immeuble dans lequel nous vivions tous. Parmi ces personnes, neuf étaient mortes, dont un étranger que mon frère avait rencontré errant sans toit dans les rues et dont il avait eu pitié.

Ahmed et sa proche famille ont eu la chance de rester suffisamment intacts pour avoir chacun leur tombe. D’autres n’étaient plus que des parties de corps non identifiables.

La belle-sœur de Marwa, Aya, et ses deux enfants, Hassan et Malek, jouaient dans la chambre des gosses lorsque le missile a frappé. Leurs corps ont été déchiquetés.

J’en suis sortie quasiment indemne, excepté une légère blessure au front.

 

40 jours

Dehors, un étranger m’a donné à tenir un bébé de sept mois. Toute sa famille était dans l’immeuble, m’a-t-il dit.

L’enfant était effrayé. La peur de perdre ses parents l’a poussé à me serrer très fort.

Par bonheur et par miracle, ses parents avaient survécu au carnage, même s’ils s’étaient trouvés sur le toit de l’immeuble.

J’ai attendu un moment, scrutant la foule à la recherche de Mahmoud et de Muhammad avant que ma sœur ne me dise qu’une ambulance avait emmené Mahmoud à l’hôpital et que Muhammad et son père avaient été tués.

J’ai refusé d’accepter la vérité.

« Ahmed est OK et il va revenir à la maison avec ses enfants », lui ai-je dit.

Ahmed, Marwa et leurs deux enfants ne sont pas revenus.

Leurs vies avaient été trop chères et trop brèves pour qu’ils soient tués par une demi-tonne d’explosifs.

Ahmed était un ingénieur accompli qui exprimait toujours sa sollicitude envers autrui.

Il avait rapporté des panneaux solaires pour produire de l’électricité dans la maison, pomper de l’eau et recharger nos appareils électroniques pendant le génocide perpétré par Israël.

Je revois toujours ses gamins qui jouaient chez moi. Ils étaient intelligents et ambitieux, même lorsqu’ils étaient tout petits. Mahmoud m’avait dit un jour « comment moi et mon père nous boycottons les marchandises israéliennes parce que nous ne supportons pas les tueries », ce qui était suivi presque immédiatement par « je veux devenir astronaute et voler jusqu’à la lune ».

Il m’a fallu 40 jours pour monter à l’appartement d’Ahmed et je ne l’ai fait que parce que ma mère m’avait demandé de l’aider à nettoyer les lieux.

Quand je regarde leurs affaires éparpillées un peu partout, je ne trouve pas de place pour le chagrin. J’étends la main. Je ne peux pas. Je sens tous mes souvenirs d’eux qui me remontent à la gorge. J’essaie encore.

J’entends toujours le rire de Mahmoud, je peux tenir leurs affaires et leurs vêtements dans mes mains.

Je me cramponne à l’espoir que la vie va jaillir de nouveau de toute cette destruction massive, tel un olivier brisé et brûlé qui pousse sous les décombres.

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Doaa Salim est une écrivaine et une traductrice qui vit à Deir al-Balah.

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Publié le 27 septembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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