La Palestine et l’Iran peuvent être durement touchés et continuer d’aller de l’avant
Comme à Gaza, Israël a fait montre d’une domination tactique écrasante sur l’Iran, mais la victoire stratégique reste insaisissable.

La célèbre artiste iranienne Mansoureh Alikhani a été tuée par les frappes israéliennes sur des zones civiles à Téhéran, le 14 juin 2025.

Œuvre de Mansoureh Alikhani
Rima Najjar, 21 juin 2025
Chaque génération de Palestiniens hérite d’un traumatisme plus profond que la précédente. Et je me suis donc posé la question : Combien de coups va-t-il encore falloir lui asséner avant que le corps martelé soit incapable de se relever ? J’ai conclu : ‘Un nombre infini.’
Voici comment je suis arrivée à cette conclusion : Depuis plusieurs mois, j’ai bloqué les détails des infos sur le génocide à Gaza. Mais, aujourd’hui, je me suis préparée à revenir en arrière et je me suis sentie dans la peau du personnage du film Groundhog Day (titre français : Un jour sans fin – littéralement : Le jour de la marmotte), qui revit la même journée indéfiniment : les ruptures de cessez-le-feu, la reprise des massacres israéliens, la condamnation internationale qui monte, puis s’estompe et, dans le même temps, les causes profondes – la dépossession, l’occupation, la répression et l’injustice à l’encontre des Palestiniens – qui restent sans réponse.
La brutalité israélienne récurrente envers Gaza (2008, 2012, 2014, 2021 et, cette fois, 2023–2025) a suivi la même trajectoire : les assassinats israéliens, les tirs de roquettes de Gaza (ou pas), les frappes aériennes par Israël, le grand nombre des victimes civiles palestiniennes, le tollé international et le cessez-le-feu final – uniquement pour voir le scénario se répéter.
Avec l’Iran aussi, il y a des années de conflit dans l’ombre (cyberattaques, sabotages, assassinats) qui dégénèrent en frappes ouvertes avant de refluer à nouveau. Chaque conflagration nouvelle, et particulièrement celle-ci, a un air de déjà-vu.
Comme à Gaza, Israël a fait montre d’une domination tactique écrasante sur l’Iran, mais la victoire stratégique reste insaisissable.
L’Iran est ensanglanté, mais il n’a pas été brisé et la région se prépare fermement à ce qui va suivre. Les avions de combat américains ont largué des bombes sur trois sites nucléaires en Iran, faisant ainsi entrer directement l’armée américaine en guerre après des journées d’incertitude quant à savoir si Trump allait intervenir ou pas. Israël a déjà tué plusieurs généraux et savants atomistes iraniens. Si cela ne renforce par la résolution de l’Iran à se procurer un arsenal nucléaire, je ne sais pas ce qui le fera.
Le sort de la Palestine est en résonance chez chaque personne qui a vécu un jour un combat déloyal, qui a fait face à des difficultés insurmontables, qu’elles soient physiques, émotionnelles ou existentielles, et qui refuse de se résigner.
Quand la diplomatie échoue et que l’oppression et l’injustice se poursuivent, la douleur palestinienne s’instrumentalise en mémoire collective et la résistance armée devient une forme d’affirmation de soi, un moyen de créer ses propres valeurs plutôt que d’être les victimes passives des circonstances. Comme le disait Rocky Balboa :
« Ce n’est pas la dureté de vos coups, qui compte (…) C’est ce que vous êtes en mesure d’encaisser tout en continuant d’aller de l’avant. »
(Cela vaut pour le Yémen aussi, bien que, dans le cas présent, je ne me concentre que sur la Palestine et l’Iran.)
La résistance permanente signifie le refus de la défaite et de sa finalité de la même façon que les gens subissent des coups durs comme la maladie, la perte d’un être cher ou l’oppression – non pas parce qu’ils savent qu’ils vont triompher, mais parce que le fait de se rendre constitue une sorte de mort. Les combattants de la résistance palestinienne ont tout du héros de la tragédie classique, exilé de sa patrie mais insoumis, défiant face à l’effacement et brandissant une clé physique pour une porte qui n’existe plus.
Les images ci-dessous sont extraites d’un clip vidéo de six minutes réalisé par les Brigades Al Qassam et diffusé vendredi soir (le 20 juin 2025).
Elles montrent une action mise sur pied le 14 juin dans le quartier d’Al Zana à Khan Yunis : la structure de commandement et de contrôle de Qassam est bien en place et ses combattants préparent une opération dans un local équipé d’un moniteur, d’un dispositif de communications sécurisé et d’autres accessoires. C’est remarquable, du fait qu’au cours des vingt mois écoulés, Israël a tué la quasi-totalité du haut commandement des organisations de résistance et probablement des milliers de combattants aussi. Et pourtant ils ont continué de résister.
La situation au Moyen-Orient ne changera pas sans un changement fondamental dans la direction génocidaire d’Israël et dans l’état d’esprit collectif du public israélien, qui a été modelé par le narcissisme, par la croyance que la souffrance juive est unique et que, de ce fait, elle justifie des atrocités hors du commun. Un changement fondamental signifierait reconnaître l’humanité des Arabes et des musulmans.
S’il nous faut attendre que le public israélien, et en particulier le courant dominant juif israélien, soit poussé vers l’empathie, nous risquons de devoir attendre à jamais ; ils sont enracinés dans le suprémacisme et moralement insensibles à la souffrance d’« autrui ». C’est un changement monumental, qui devrait avoir lieu dans la tournure d’esprit des Israéliens s’ils veulent rompre avec leur « jour de la marmotte ».
Par ailleurs, les stratégies palestiniennes ont évolué, en fait. Le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) a débuté en 2005 comme une campagne non violente, dirigée par la société civile en vue de mettre la pression sur Israël afin qu’il respecte le droit international. Il réclamait la fin de l’occupation, l’égalité des droits pour les citoyens palestiniens d’Israël et le droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Il aidait la dissidence propalestinienne dominante sur les campus américains et reformulait la question comme une question de droits et de justice, bien que de nombreux gouvernements aient été activement hostiles à BDS et que certains l’aient même interdit.
En 2017, le Hamas avait publié un nouveau document politique qui se signalait par un changement notable avec sa charte de fondation de 1988. Il ajustait sa rhétorique en laissant tomber son langage antisémite et en faisant la distinction entre juifs et sionistes ; il reformulait la lutte comme un mouvement de résistance et non plus comme une guerre religieuse. Il faisait preuve de flexibilité en acceptant un État palestinien basé sur les frontières de 1967 en tant que mesure intérimaire.
La question est celle-ci : Si BDS a été limité par des mesures de répressions légales et si la résistance armée a apporté la dévastation sans la libération, que reste-t-il, alors ?
Ce qui reste, c’est la volonté politique et la conscience, et effectivement, l’intérêt personnel, l’égoïsme du monde. Les démarches concrètes suivantes peuvent et doivent être entreprises pour démanteler l’intransigeance israélienne et le colonialisme quand il s’agit d’éviter les perturbations dans les marchés pétroliers et une polarisation accrue dans la politique intérieure américaine. Chose plus importante encore, nous devons éviter la gestation d’un ordre mondial dans lequel l’idéologie dominante n’est autre que la compétition en matière de force à l’état brut :
1. Imposer un embargo international sur les armes : les pays qui fournissent des armes à Israël – en particulier les EU, l’Allemagne et le Royaume-Uni – pourraient suspendre leur aide militaire et leurs ventes d’armes tant qu’Israël ne se soumettrait pas au droit international.
2. Des sanctions ciblées à l’encontre des responsables israéliens : Sanctionner les individus responsables de crimes de guerre, de l’expansion des colonies et des mesures d’apartheid – similaires aux sanctions prises à l’encontre des responsables russes et syriens – constituerait un message clair de demande de comptes.
3. Suspendre les accords bilatéraux : Les États pourraient revoir et suspendre le commerce, la recherche et les accords diplomatiques avec Israël, en particulier ceux qui bénéficient aux institutions complices de l’occupation et de l’activité de peuplement.
4. Appliquer les mandats de la Cour pénale internationale (CPI) : Des mandats d’arrêt ont déjà été émis pour les dirigeants israéliens. Les appliquer constituerait un changement sismique en mettant un terme à l’impunité israélienne.
5. Interdire le commerce avec les colonies illégales : Interdire les importations et les exportations à partir des colonies israéliennes en Cisjordanie saperait le moteur économique de l’annexion.
6. Reconnaître le système et lui donner un nom : Bien des experts juridiques définissent l’actuelle politique d’Israël comme de l’apartheid et de la persécution – des crimes contre l’humanité. La reconnaissance officielle de la chose par les États et les institutions constitue une étape nécessaire vers son démantèlement.
La libération palestinienne signifie également une unité interne, un renouveau politique et le fait de continuer d’affirmer notre présence à la fois physique et culturelle. Quand les frontières se ferment et que les bombes tombent, l’imagination reste non occupée. Nous continuons de visualiser un avenir enraciné dans la justice, dans la dignité et dans une humanité partagée.
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Rima Najjar est une Palestinienne dont la branche paternelle de la famille provient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie occidentale de Jérusalem et dont la branche maternelle de la famille est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure retraitée de littérature anglaise, à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.
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Publié le 21 juin 2025 sur le blog de Rima Hassan
Traduction : Charleroi pour la Palestine