Déraciner des Palestiniens au lieu de planter des arbres

Lors de la Nakba, le FNJ plantait des millions d’arbres afin d’empêcher les réfugiés de rentrer chez eux. Un nettoyage ethnique qui perdure toujours.

Le cas de la famille Sumarin pourrait être le plus récent dans les expulsions de Palestiniens de leur propriété. (Photo : David Shulman / Peace Now)

Le cas de la famille Sumarin pourrait être le plus récent dans les expulsions de Palestiniens de leur propriété. (Photo : David Shulman / Peace Now)

Jonathan Cook (*), 21 juillet 2020

Le Fonds national juif, créé voici plus d’un siècle, est peut-être la plus vénérable des organisations sionistes internationales. Parmi ses récents présidents d’honneur figurent des Premiers ministres, et elle conseille des forums des Nations unies sur les questions concernant les forêts et la préservation.  

Elle est également reconnue comme association caritative dans des dizaines d’Etats occidentaux. Des générations de familles juives et autres ont contribué à ses programmes de collecte de fonds, en apprenant comme des enfants à déposer les piécettes qu’elles avaient économisées dans les boîtes bleues qui sont son image de fabrique, et ce, afin de contribuer à planter un arbre.

Pourtant, son travail durant de nombreuses décennies a été motivé par un but principal : expulser les Palestiniens de leur patrie.

Le FNJ est une relique florissante du passé colonial de l’Europe, même si, aujourd’hui, il affiche les atours d’une organisation caritative environnementale.

Un piquet marquant la terre qui a été le village d’Al Louz jusqu’en 1948 et qui est gérée actuellement par le Fonds national juif. (Photo : avec l’aimable autorisation de Shabtai Gold)

Un piquet marquant la terre qui a été le village d’Al Louz jusqu’en 1948 et qui est gérée actuellement par le Fonds national juif. (Photo : avec l’aimable autorisation de Shabtai Gold)

La mission de l’organisation a débuté avant même que soit né l’Etat d’Israël. Sous protection britannique, le FNJ a acheté des étendues de terre fertile dans ce qui était alors la Palestine historique. Détail typique, il recourait généralement à la force pour déposséder les petits paysans palestiniens dont les familles travaillaient la terre depuis des siècles.

Mais les activités d’expulsion du FNJ ne se sont pas terminées en 1948, quand Israël fut créé via une guerre sanglante sur les ruines de la patrie des Palestiniens – un événement que les Palestiniens appellent la Nakba, ou catastrophe.

Israël démolit en hâte plus de 500 villages palestiniens préalablement nettoyés de leurs habitants et le FNJ se vit confier la tâche d’empêcher 750 000 réfugiés de rentrer chez eux. Il le fit en plantant des forêts tant sur les emplacements des habitations rasées – rendant ainsi leur reconstruction impossible – que sur les terres du village, afin qu’elles ne puissent plus être cultivées.

Ce sont ces plantations qui valurent au FNJ sa réputation internationale. Ses opérations de forestation furent encensées parce qu’elles faisaient cesser l’érosion des sols, regagnaient des terres et qu’aujourd’hui, elles contrent la crise climatique. 

Mais même cette expertise est imméritée. Des environnementalistes affirment que les sombres frondaisons des arbres qu’il a plantés dans des régions arides comme le Néguev, dans le sud d’Israël, absorbent la chaleur contrairement au sol non boisé, de couleur claire. Manquant d’eau, ces arbres à la lente croissance fixent peu de carbone. Et, dans le même temps, les variétés indigènes de broussailles et d’animaux subissent d’importants dégâts.

Ces forêts de pins – le FNJ a planté quelque 250 millions d’arbres – se sont également muées en de très grands foyers potentiels d’incendie. Quasiment chaque année, des centaines d’incendies éclatent suite aux sécheresses estivales exacerbées par le changement climatique.

Un Bédouin soigne ses chèvres et moutons près de Bethléem. Au fil des années, les chèvres ont été massacrées afin de forcer les Bédouins à abandonner leur mode pastoral d’existence. (Photo : Reuters)

Un Bédouin soigne ses chèvres et moutons près de Bethléem. Au fil des années, les chèvres ont été massacrées afin de forcer les Bédouins à abandonner leur mode pastoral d’existence. (Photo : Reuters)

Dès le début, la vulnérabilité des jeunes arbres du FNJ a été utilisée comme prétexte pour interdire l’élevage en troupeau de chèvres noires indigènes. Récemment, les chèvres, qui nettoient les broussailles, ont dû être réintroduites afin de prévenir les incendies. Mais le massacre des chèvres avait déjà atteint son objectif en forçant les Palestiniens bédouins à abandonner leur mode de vie pastoral. En dépit d’avoir survécu à la Nakba, des milliers de Bédouins du Néguev ont été expulsés en secret vers l’Egypte ou en Cisjordanie au cours des premières années de la création d’Israël.

Ce serait une erreur, toutefois, d’imaginer que le rôle troublant du FNJ dans les expulsions ne fut que d’un intérêt historique. L’organisation caritative, qui est le plus grand propriétaire foncier d’Israël, a continué activement à expulser des Palestiniens jusqu’à ce jour.

Ces dernières semaines, des activistes de la solidarité ont désespérément tenté d’empêcher l’expulsion d’une famille palestinienne, les Sumarin, de leur maison à Jérusalem-Est occupée en vue de faire place à des colons juifs.

Le mois dernier, les Sumarin ont perdu une bataille juridique de 30 ans menée par le FNJ, auquel l’Etat israélien a revendu leur maison en secret, à la fin des années 1980.

La propriété de la famille avait été saisie dans le cadre d’une loi draconienne de l’année 1950 qui déclarait « absents » les réfugiés palestiniens de la Nakba, de sorte qu’ils ne pouvaient plus réclamer leurs terres à l’intérieur du nouvel Etat d’Israël.

Sliman Mansour, « Sad Tunes » (Airs tristes), 1977. (Photos : avec l’aimable autorisation de la Barjeel Art Foundation, Sharjah)

Sliman Mansour, « Sad Tunes » (Airs tristes), 1977. (Photos : avec l’aimable autorisation de la Barjeel Art Foundation, Sharjah)

Les tribunaux ont décrété que loi pouvait être appliquée à Jérusalem occupée aussi, et ce, en violation des lois internationales. Dans le cas des Sumarin, il s’avère qu’on n’a en aucun cas tenu compte qu’en fait, la famille n’a jamais été « absente ». Le FNJ a l’autorisation d’expulser le mois prochain les dix-huit membres de la famille. Pour ajouter l’injure à l’offense, ils vont devoir payer des dommages et intérêts au FNJ. 

Un ancien membre américain du conseil d’administration, Seth Morrison, a démissionné en 2011 pour protester contre le rôle du FNJ dans ces expulsions, accusant l’organisation de travailler en collaboration avec des groupes de colons extrémistes. L’an dernier, près de Bethléem, le FNJ avait expulsé une famille dans des circonstances similaires. Quelques jours plus tard, des colons s’étaient installés sur les terres. 

Ir Amim, une organisation israélienne des droits de l’homme concentrée sur Jérusalem, a mis en garde contre le fait que ces cas créent un précédent juridique dangereux, au cas où Israël appliquerait sa promesse d’annexer le territoire de la Cisjordanie. Il pourrait rapidement multiplier le nombre de Palestiniens classés comme « absents ».

Mais le FNJ n’a jamais perdu sa prédilection pour l’humble petit arbre en tant qu’outil le plus efficace – et bien dissimulé – du nettoyage ethnique. Et il recourt une fois de plus aux forêts comme arme contre ce cinquième de la population d’Israël constitué des Palestiniens qui ont survécu à la Nakba.

Un peu plus tôt cette année, le FNJ a dévoilé son projet « Relocation Israel 2040 » (Réaménagement Israël 2040), qui prévoit de « créer un changement démographique en profondeur du pays tout entier », changement déjà qualifié, dans le passé et de façon assez sinistre, de « judaïsation ». Le but est d’attirer 1,5 million de juifs en Israël, surtout dans le Néguev, au cours des vingt années à venir.

Un feu de broussailles dans le voisinage de la centrale électrique de Hadera, dans le nord d’Israël. Le pays connaît également de très nombreux incendies de forêt chaque année. (Photo : AFP)

Un feu de broussailles dans le voisinage de la centrale électrique de Hadera, dans le nord d’Israël. Le pays connaît également de très nombreux incendies de forêt chaque année. (Photo : AFP)

De même que lors des premières années d’existence d’Israël, les forêts seront vitales dans le succès de l’opération. Le FNJ s’apprête à planter des arbres dans une zone de 40 kilomètres carrés appartenant aux communautés bédouines qui ont survécu à de précédentes expulsions. Sous le prétexte de l’environnementalisme, des milliers de Bédouins pourraient être déclarés « en infraction ».

Depuis des décennies, les Bédouins sont en procès avec l’Etat d’Israël à propos de la propriété de leurs terres. Ce mois-ci, dans une interview accordée au quotidien Jerusalem Post, Daniel Atar, responsable mondial du FNJ, a insisté une fois de plus pour que les juifs déposent de l’argent dans ses boîtes bleues. Il a prévenu que les juifs pourraient être dissuadés de venir dans le Néguev en raison de la réputation de ce dernier de subir des « crimes agricoles » – une allusion déguisée aux Bédouins qui tentent envers et contre tout de se raccrocher à leur mode de vie pastoral.

Les arbres promettent en même temps de rendre plus verte la région semi-aride et d’éloigner ces « affreux » Bédouins de leurs terres ancestrales. Rappelant l’expression coloniale originale « faire fleurir le désert », M. Atar a déclaré que son organisation allait « faire s’épanouir les étendues sauvages ».

Les Bédouins comprennent très bien le mauvais sort qui va sans doute leur tomber dessus. Le mois dernier, au cours d’un rassemblement de protestation, ils portaient des banderoles : « Pas d’expulsions, pas de déportations ! »

Après tout, voilà plus d’un siècle que les Palestiniens souffrent de déportations forcées orchestrées par le FNJ, tout en le voyant récolter des applaudissements partout dans le monde pour son œuvre d’amélioration de l’« environnement ».  


Publié le 21 juillet 2020 sur The National
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : Le Fonds national juif ou l’épuration ethnique déguisée en environnementalisme

 

Jonathan Cook

(*) Jonathan Cook est un journaliste installé à Nazareth. Il est lauréat du prix spécial Martha Gellhorn pour le journalisme. Il est l’auteur de Blood and Religion (Sang et religion) et de Israel and the Clash of Civilisations (Israël et le choc des civilisations) disponibles en anglais chez Pluto Press.

 

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