L’olivier, un arbre à nul autre pareil
Depuis plus de cinq millénaires, les Palestiniens cultivent l’olivier et tirent de grands bienfaits de cet arbre merveilleusement résistant. Mazin Qumsiyeh lui rend hommage.
Ma mère dit que j’aurais dû avoir de longues manches car il arrive que les oliviers palestiniens ne se séparent pas de leurs fruits sans opposer un peu de résistance. Mais, parfois, j’ai l’impression que les quelques égratignures sans gravité sont une marque d’honneur mineure et que c’est la moindre des choses que je dois à nos arbres bien-aimés. Toute l’année, nous vivons dans l’attente de ces jours. Ma sœur, ma femme, ma mère et moi cueillions parfois les olives en silence, parfois en parlant de choses anodines, mais rarement en parlant de choses importantes. Toutefois, il en va autrement des pensées.
Mes pensées vont aux Palestiniens qui ont perdu leurs oliviers en raison de l’activité d’implantation coloniale (plus d’un million d’arbres ont été déracinés). La photo de la vieille femme enlaçant son arbre qui devait être abattu par les occupants israéliens me vient régulièrement à l’esprit. Ce genre de moment me rappelle mon père défunt. Je me sens en paix quand la tristesse et la colère sont surmontées par des émotions de gratitude et de sérénité une fois que je suis sous les vieux oliviers. La récolte des olives est, après tout, un rituel poche d’un acte d’adoration (et peut-être même en est-ce un). La stimulation de nos sentiments durant la récolte est difficile à décrire. Ce ne sont pas uniquement les odeurs revigorantes des feuilles d’olivier ni celles plus furtives de l’huile d’olive, mais aussi la forme et le toucher de chaque olive quand vos mains peignent l’arbre comme une mère peignerait les cheveux de sa fille, ou la vue des êtres aimés s’occupant d’un même arbre avant de passer au suivant.
Nous sourions et saluons les voisins qui s’arrêtent un instant pour dire bonjour ou pour commenter la production de cette année (en fait, c’est une année médiocre, vu que l’année dernière a vraiment été bonne et que ces choses vont en alternancee). Les mécanismes de la récolte et du travail d’après-récolte se muent en routine pour ceux qui les ont déjà vécus auparavant. De vieux tapis ou des draps de lit sont étalés sous l’arbre et on fait choir les olives dessus (mais jamais en frappant l’arbre !). On sépare des olives assemblées les feuilles et les moindres tiges restantes (sur une sorte de tamis incliné). On les garde ensuite bien aérées sur des nattes disposées dans un endroit sec et les grosses et belles olives sont sélectionnées pour être marinées.
La marinade implique qu’il faille fendre les olives et les plonger dans de l’eau contenant du sel, du jus de citron, des morceaux de citron et quelques feuilles de citronnier. Les olives restantes sont amenées au pressoir où l’on produit l’huile d’olive. Dans le temps, nous avions une presse en pierre avec un animal (un âne ou une mule) qui faisait tourner deux grosses pierres circulaires placées à l’intérieur d’une pierre évidée ayant la forme d’un moule à gâteau. Aujourd’hui, les pressoirs modernes (fabriqués en Turquie) font le travail en un temps très court.
Il est difficile de décrire pour des non-Palestiniens ce que signifie pour nous l’olivier. Nous pourrions parler de choses pratiques, mais ce serait la même chose que de dire que nos épouses représentent beaucoup de choses pour nous en raison de… (et, ici, dressez une liste de tout ce qu’elles font). Naturellement, toutes ces choses sont importantes mais elles ne donnent pas un tableau complet et ce n’est pas de cette manière que nous pourrions rendre justice aux personnes ou aux autres choses vivantes que nous aimons. Mais, exactement de la même façon que faire une liste de ce que les gens font va aider les autres à visualiser leur caractère, il en ira de même pour l’olivier bien-aimé. Depuis plus de cinq millénaires, les Palestiniens cultivent l’olivier et tirent de grands bienfaits de cet arbre merveilleusement résistant :
*L’olive (zeitoun) est marinée et mangée et c’est peut-être la seule nourriture que l’on trouve dans les trois repas: au matin, à midi et le soir. Sa valeur nutritive est créditée d’importants bienfaits pour la santé.
*L’huile d’olive (zeit) est l’huile par excellence, en Palestine. Elle est hautement nutritive et est utilisée dans des dizaines de recettes. La principale recette folklorique et aussi la plus commune remonte à plus de trois mille ans, c’est le « zeit ou zaatar » ; on trempe le pain dans de l’huile d’olive et ensuite dans une poudre à base de thym (dans laquelle il y a également du sésame et des épices). Naturellement, le thym, le sésame et bien d’autres plantes ont été d’abord domestiqués et utilisés ici précisément en Palestine (la pointe gauche du « croissant fertile »). En Palestine, dans le passé, l’huile d’olive était très souvent utilisée aussi dans les lampes à huile, dans la protection des cheveux et de la peau, en tant que lubrifiant, insecticide, et à bien d’autres usages encore.
*Les noyaux d’olive (et, dans une moindre mesure, les pièces en bois d’olivier) sont utilisés pour confectionner les « grains de prière », dont se servent les Palestiniens chrétiens et musulmans depuis des centaines d’années. Le simple acte de faire courir ces grains entre les doigts tout en méditant et en se concentrant sur la chose nous confère un sentiment de tranquillité et de paix (bien nécessaires, au vu des circonstances vécues en Palestine au fil des époques). .
*Le bois d’olivier sert dans la fabrication d’artefacts que les habitants de la région vendent aux pèlerins en tant que souvenirs de la Terre sainte ou qu’ils gardent chez eux. C’est vrai pour toutes les traditions monothéistes. Ici, à Bethléem, nos ancêtres ont gagné ainsi leur vie avec cet artisanat pendant des générations (ma propre famille en vivait déjà – ainsi que de l’agriculture – au 16e siècle, c’est-à-dire à l’époque la plus lointaine à laquelle on a pu remonter).
*Pour leur nourriture, les troupeaux de moutons et de chèvres dépendent des feuilles et des branches d’olivier durant une bonne partie de l’année.
*Le bois était utilisé (moins, ces derniers temps, toutefois) comme bois de chauffage. C’est un bois dur qui génère bien plus de chaleur par unité de kilogramme que tout autre bois que je connais. Les fondeurs de verre de Hébron (une ville bien connue pour son art du vitrail) utilisaient des charbons dérivés du bois d’olivier comme principale source d’énergie.
*À toutes les époques, les oliviers ont protégé les gens du soleil brûlant et ont inspiré les poètes, les amants, les peintres et les prophètes.
*Même les matières résiduelles après la production d’huile sont recyclées en tant que source d’énergie.
La production des olives est toujours élevée une année et faible la suivante. L’année dernière a été bonne, celle-ci a été médiocre et l’an prochain, plaise à Dieu, elle sera de nouveau plus élevée, sauf en cas de destruction par Israël, comme ce fut le cas récemment à Gaza. En attendant, nous tirons toujours plaisir de nos olives et nous espérons que vous nous rendrez visite en Palestine afin que nous puissions vous servir certains des plats fantastiques qui contiennent des olives ou des produits dérivés et que nous puissions le faire à l’ombre même des oliviers.
Publié le 30 octobre 2019 sur Al Bilad
Traduction : Jean-Marie Flémal
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Récolte d’olives et plus encore
Mazin Qumsiyeh est l’auteur de « Sharing the Land of Canaan » et de « Une histoire populaire de la Résistance palestinienne».
Il enseigne au sein de l’université de Bethléem et de Bir Zeit et dirige le Musée Palestine d’Histoire Naturelle et l’Institut palestinien de biodiversité et durabilité
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