Fida’ al-Shaer et la fabrication collective d’un oud à la prison de Gilboa

Fabriquer l’oud à la prison de Gilboa propose une contre-attaque face à la répression de la culture musicale autochtone par les forces du colonialisme et de l’impérialisme, menée par les prisonniers politiques selon des méthodes nouvelles contre ces mêmes forces.

Titre originale : Le génie du Peuple : Sur la résistance collective et la fabrication d’instruments de musique dans les prisons du colonisateur.

Une réplique de l’oud fabriqué par Fida’ al-Shaer à Gilboa, réalisé plus tard à Majdal Shams. (Photo du musicien)

Une réplique de l’oud fabriqué par Fida’ al-Shaer à Gilboa, réalisé plus tard à Majdal Shams. (Photo du musicien)


Louis Brehony

En septembre 2021, la grande évasion de six prisonniers palestiniens de la prison israélienne de Gilboa, après avoir creusé un tunnel à l’aide de cuillers appartenant à la prison, frappa les imaginations de nombreuses personnes qui soutenaient la cause palestinienne.

Bien qu’ils aient été repris et soumis à des punitions sévères, leurs actions exprimaient la vérité d’un vers chanté jadis par Umm Kulthum : « La patience a ses limites (1). »

Les prisons israéliennes sont devenues une ligne de front de la lutte, poussant les gens qui ont été capturés vers l’auto-éducation et une culture politique collective servant à redéfinir les concepts du sumud (résilience) et de la résistance anticoloniale. Le fait que la musique est d’une importance capitale dans ce processus est révélé dans d’autres exemples de l’ingénuité de la masse telle qu’elle est transmise par « les gens en sumud (2) ».

Emprisonné à Gilboa in 2010, Fida’ al-Shaer, un musicien syrien originaire du Golan occupé, servit de guide à ses compagnons de cellule dans un projet clandestin en vue de fabriquer un oud, l’instrument principal dans bien des traditions musicales arabes.

En fabriquant l’oud à partir d’objets de tous les jours et en introduisant clandestinement les cordes, les détenus ont étendu chez les prisonniers politiques les pratiques établies de composition de chansons et de transmission orale du chant liées à leurs luttes quotidiennes, empruntant ainsi des voies comparables aux luttes d’autres prisons menées par les mouvements anticoloniaux.

Suite aux récits musicaux d’al-Shaer, et à la définition par Meari du sumud comme signifiant un « devenir révolutionnaire » (2014), je me tourne vers les contributions au marxisme – souvent négligées – de Fidel Castro (3), dont les réflexions sur le processus cubain et le développement d’un « génie du peuple » trouve des parallèles avec d’autres histoires anti-impérialistes.

Adoptant la notion de génie en tant que phénomène collectif lors de processus révolutionnaires, je reviens discuter du pouvoir symbolique de l’oud en tant qu’outil de la motivation à la libération nationale.

Introduction : la crise palestinienne et les écoles de la révolution

« Oh Néguev, sois fort, sois glorieux, fais œuvre de pionnier
Deviens une épée, un enseignement
Tiré des leçons de l’Intifada »

Salah Abd al-Ruba, « Ya Naqab Kuni Iradi » (Oh Néguev, sois fort)

Le mouvement des asra (« prisonniers politiques » ; singulier asir) dans les prisons sionistes trouve une résonance durable parmi les Palestiniens, avec un rien de contexte nécessaire pour découvrir pourquoi.

Malgré qu’on ait prétendu que la libération de prisonniers politiques palestiniens dans les années 1990 était une victoire du processus de « paix » d’Oslo (4), les forces israéliennes ont arrêté 120 000 Palestiniens, entre 1993 et 2019, avec des chiffres annuels de prisonniers mineurs d’âge à la hausse au cours des années 2010 (5). Trois décennies après la conférence de Madrid en 2010, qui versa de l’eau au moulin d’une intifada populaire, démarra le processus des négociations d’Oslo et la colonisation israélienne officialisa l’Autorité palestinienne (AP) collaborationniste, née via le processus, et qui est restée très impopulaire, puisqu’elle dénoncée comme totalement complice de la répression violente exercée par Israël.

Parmi les arrestations de figures éminentes impliquant la collaboration de l’AP, on trouve, en janvier 2002, la capture du dirigeant du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), Ahmad Sa’adat, transféré plus tard avec la complicité impérialiste britannique vers un centre de détention sioniste (MacIntyre), et l’arrestation en septembre 2016 de l’activiste Basel al-Araj, assassiné par la suite, le 6 mars 2017, par la « police frontalière » israélienne à al-Bireh, près de Ramallah. L’activiste bien connu contre la corruption, Nizar Banat, a été arrêté et tué par la police de l’AP le 24 juin 2021.

Les actions entreprises en solidarité avec les prisonniers du sionisme – et les actions des prisonniers eux-mêmes – fonctionnent donc en même temps contre la colonisation israélienne et contre la classe de l’élite palestinienne présidant l’impasse ressentie par les gens qui résistent, tant sur le terrain qu’en exil. La détermination, la critique et le combat pour une voie alternative sont entrés dans les mondes de la chanson des nouvelles générations de musiciens palestiniens.

Malgré le militarisme débordant du sionisme sponsorisé par l’impérialisme (6), ressenti très douloureusement lors des offensives aériennes contre Gaza sous blocus, la guerre contre la résistance palestinienne reste ingagnable pour Israël.

De plus, malgré la victoire symbolique obtenue par l’Intifada de l’Unité en mai 2021 et l’identification des masses internationales à la lutte palestinienne, la crise de direction du mouvement national empire. Elle est décrite en termes de classes par Khaled Barakat comme susceptible de mener à l’échec les soulèvements populaires et d’empêcher la victoire (7).

Ce dernier point est probablement composé par la crise syrienne et l’acceptation de facto de l’occupation israélienne du Golan par les puissances mondiales dominantes.

Que la « situation en ligne de front » de la résistance des prisonniers politiques dans les mouvements de libération nationale reflète à la fois les crises frappant ces luttes et les rôles d’avant-garde joués par de nombreux détenus se remarque dans les vagues de la confrontation anti-impérialiste en Irlande, laquelle apparaît dans plusieurs analogies au fil du présent article (8).

Vus sous cet angle, la détermination et le sumud des prisonniers politiques détenus par l’entité sioniste servent de rappel à la collaboration bourgeoise compradore de la politique des processus de « paix » et de la collaboration « sécuritaire ».

Dans une époque de crise, les participants aux campagnes ont perçu la solidarité avec les gens en confinement en Israël comme une façon de reconstruire la Révolution palestinienne (9).

L’histoire de Fida’ al-Shaer racontée dans la prochaine section sert de rappel graphique de ce que les Syriens du Golan occupé forment un contingent clairsemé mais important des personnes enfermées dans les prisons sionistes, dans un contexte où la crise et la proximité de la guerre en Syrie depuis 2011 ont connu de fréquents bombardements israéliens (10).

La dichotomie de la crise nationale et de la lutte héroïque des prisons à laquelle il est fait allusion plus haut peut avoir cours en la présence de Syriens à l’intérieur du système carcéral israélien.

Le mouvement pour la libération du Golan syrien est confronté à ses propres défis complexes et à l’empiétement permanent des sionistes, ce qui n’empêche pas les Syriens en état de sumud de proposer un cri de ralliement très clair : Majed Farhan al-Shaer, le père de Fida’, a été salué comme un héros national à Damas lors de sa libération de Gilboa en janvier 2016 (Mijo).

Le récit de son fils fait allusion à la solidarité quotidienne forgée par les prisonniers politiques palestiniens et syriens détenus par le régime israélien, tout en faisant également allusion à des pratiques créatives et un savoir-faire artistique plus vastes sous des régimes coloniaux.

Les prisons sionistes sont depuis longtemps des sites de formation pour les gens capturés par le régime d’occupation, avec la culture de la musique constituant une composante importante de la résistance quotidienne et périodique, un outil d’éducation, et fournissant des méthodologies pour la transmission des récits collectifs et révolutionnaires.

En revenant en arrière sur les jours de l’occupation britannique, les répertoires de la lutte des prisonniers comprennent « Min Sijn ‘Akka » (Depuis la prison d’Acre), attribué à Nuh Ibrahim dans le sillage de l’exécution en 1930 de trois activistes antisionistes, et « Ya Zulam al-Sijn Khayyam » (Oh ! les ténèbres de la prison au-dessus de nous), écrite par le poète syrien Najib al-Rayes lors de son emprisonnement dans une prison de l’occupation française en 1922.

Les deux chansons sont très souvent reprises par des prisonniers politiques palestiniens durant les jours de protestation à l’intérieur. L’ingéniosité des textes des chants de prison, sans instruments et sans technologies d’enregistrement, requiert un engagement commun particulier dans leur transmission, surtout quand les mélodies sont attachées aux paroles.

Le poème « Ya Naqab Kuni Iradi » par Salah Abd al-Ruba a été composé et chanté collectivement à l’intérieur de la prison du Néguev lors du soulèvement des prisonniers en 1987 et, depuis, il est devenu un hymne au fil des années, avec des performances aussi bien à l’intérieur qu’en dehors des prisons (11).

Faisant également allusion à « Ya Naqab », l’histoire de l’asir (prisonnier politique) libéré de longue date, Asim al-Ka’abi révèle la préservation et la retransmission de la poésie chantée composée à des moments bien antérieurs de la lutte.

Décrivant la présence palestinienne dans les prisons sionistes comme « obtenant ses diplômes en suivant l’école de la révolution », son propre périple, qui a duré 18 ans, en a fait un organisateur de pointe, en entrant dans une culture politique collective et une coopération dépassant le clivage des factions et en contribuant à les faire progresser à l’intérieur même (12).

Bien que peu d’asra se considèrent comme des musiciens, al-Ka’abi indique que chanter constitue une pratique essentielle, inséparable d’un calendrier de protestation et de commémoration :

« Lors de la Journée des Prisonniers, nous chantons toujours ‘Ya Zalam al-Sijn Khayyam’. Quand un prisonnier est relâché, nous chantons ‘Itla‘na Wa Qaharna al-Sijjan’ (Nous nous sommes dressés et nous avons vaincu le geôlier) (13). Chaque occasion a ses chants spécifiques. Il y a de nouvelles chansons que nous apprenons après des années de prison, qui viennent de nouveaux prisonniers, et nous les mémorisons, pour les ajouter ensuite aux listes des chansons que nous chantons certains jours spécifiques. »

Ces occasions incluent Yowm al-Asir (journée des prisonniers politiques), la journée de la Nakba et d’autres commémorations, et des campagnes d’action liées aux conditions actuelles à l’intérieur. Al-Ka‘abi rapporte que tous les nouveaux détenus rallient une faction politique et qu’ils s’intègrent à une cellule et à une organisation couvrant la prison.

C’est du camarade al-Ka‘abi que j’ai entendu pour la première fois ce que disait un prisonnier de l’histoire de Fida’ al-Shaer, qui avait acquis une certaine renommée parmi les détenus fourvoyés dans le réseau carcéral sioniste : un oud bricolé dans une cellule de prison et un engagement collectif dans la fabrication et la sauvegarde de l’instrument.

Les ethnographies de Meari sur les prisonniers politiques mentionnent les chants en prison comme faisant partie intégrante de la culture du sumud, dans laquelle l’activité anticoloniale devient révolutionnaire par le biais d’inventions émergentes, de formes sociales et du développement de la production de savoir :

« Le sumud est une possibilité qui s’actualise dans des moments particuliers et apparaît comme une potentialité dans d’autres. Elle est matérialisée via un réseau complexe de relations avec le soi-même, avec les camarades, avec l’organisation politique révolutionnaire et avec la communauté, ainsi qu’avec le colonisateur. » (Meari)

Des argumentations concernant les actes du devenir révolutionnaire sont présentes dans les histoires de confrontation en dehors de la prison, ainsi qu’à l’intérieur d’autres prisons coloniales et impérialistes.

En outre, pour les prisonniers politiques, comme l’éminente asira Khalida Jarrar le dit à propos de son propre emprisonnement et de son combat pour le droit à l’éducation des femmes sous le régime sioniste :

« La prison délimite une position morale qui doit être renouvelée chaque jour et ne peut jamais laissée au second plan » (Baroud et Pappé, p. 175).

Depuis la position avantageuse d’un processus socialiste en développement et d’un durcissement du blocus américain contre Cuba après la chute de l’Union soviétique, l’ancien prisonnier politique Fidel Castro a pu estimer que « la ressource la plus importante dont ce pays dispose est l’investissement qu’il a fait dans les esprits du peuple » (Castro, 1992), quand on sait que la culture et l’éducation ont été déterminantes pour la survie de la révolution.

Bien que les Cubains soient parvenus à exercer une souveraineté nationale de façons qui inspirent beaucoup de monde, dont les Palestiniens, qui continuent de souffrir de situations coloniales, la culture politique et l’idée des masses en tant que « ressource » et « solution » aux problèmes de la nation trouvent une pertinence intrigante. Les thèmes de l’ingéniosité des masses et de la vivacité politique communautarisée seront développés plus avant par la suite, après l’histoire du fabricant d’oud de la prison de Gilboa.

Fida’ al-Shaer et la fabrication collective d’un oud à la prison de Gilboa


« J’ai imaginé que ces notes allaient crier la beauté et la mélodie, et briser les murs de la prison afin que les gens puissent les entendre. Un cri en faveur de la liberté et de l’espoir… pour vaincre le geôlier. » (Al-Shaer)

Fida’ al-Shaer retourne sur scène en France après sa libération d’une prison israélienne. Février 2014. (Photo fournie par l’artiste)

Fida’ al-Shaer retourne sur scène en France après sa libération d’une prison israélienne. Février 2014. (Photo fournie par l’artiste)


Paris, avril 2010. Des images prises parmi un public clairsemé montrent un solo d’improvisation sur oud joué par Fida’ al-Shaer, calme dans sa concentration et jouant dans un théâtre aux éclairages qui font face à des images de terre et de mer ondulant en noir et blanc ; il ne s’agit pas de la côte rurale d’un pays à la Bilad al-Sham, mais du film muet de 1929, Finis Terræ, filmé à la côte britannique.

Par moments, son regard va à la projection, mais on a le sentiment qu’il connaît cette prise de vue extraite du film et qu’il est sensible à un sentiment de temporalité et l’espace, malgré la nature improvisée de la performance.

Enregistré peu de temps après, Fida’ allait jouer, lors d’un événement à Paris organisé pour la Journée des prisonniers politiques palestiniens, le 11 avril.

L’instrumental composé par lui, « Baladi » (Mon pays) et joué en face d’un autre film en noir et blanc qui, cette fois, mélange des images d’enfants blessés et de protestataires en action agitant des drapeaux palestiniens, déploie des techniques développées plus tôt au cours de la formation de Fida’ au conservatoire de Damas.

Les doubles cordes sont également une allusion au musicien irakien Naseer Shamma.

De ce dernier, il a joué « Ishraq » (L’éclat du soleil) lors du concours de l’Étoile du Golan, en mai 2009, et l’oud à sept cordes dont Fida’ jouait en France, qui avait été fabriqué par le luthier égyptien Mohammad Ali Ja‘far, était une réplique du propre modèle de Shamma.

Il était loin de savoir que, trois mois plus tard, cet instrument fabriqué tout en finesse allait être confisqué et que lui-même allait se retrouver dans une prison israélienne et passer les trois Journées des prisonniers politiques suivantes en confinement et en actions de protestation.

Fida’ est originaire de Majdal Shams, dans le nord du Golan. Toute route qui mène à la ville de Fida’ ou qui en sort requiert de passer les contrôles frontaliers et aéroports israéliens : c’est le site de son arrestation immédiate alors qu’il rentrait de Paris.

Détenir des documents de voyage plutôt que des passeports (14) et être confronté à des chances extrêmement réduites d’obtenir des visas pour l’étranger, voilà qui constitue les réalités quotidiennes imposées par le pouvoir colonial sioniste.

Toutefois, le fait d’avoir emprunté la voie, inhabituelle pour un Syrien du Golan occupé, d’étudier dans la capitale ne fut qu’un des facteurs de l’allégation vengeresse des autorités israéliennes prétendant que Fida’ avait eu des contacts avec un pays « étranger ».

Son père, un poète hostile à l’occupation, allait être emprisonné sous la même accusation.

Mes interviews et discussions informelles avec Fida’ montraient que l’artiste était hautement engagé envers une identité nationale syrienne restée en opposition bien déterminée – et provoquée par – à la partition et l’occupation de son pays.

Donnant l’impression d’être énergiquement engagé dans la composition de musique locale, y compris dans l’éducation musicale des jeunes Syriens du Golan, Fida’ décrivait son engagement comme valorisant la nation (al-watan) et le peuple (al-sha‘b) mieux que l’alignement sur un parti politique particulier.

En même temps, il offrait l’impression palpable que ses sentiments fraternels envers le peuple palestinien précédaient déjà son emprisonnement. Fidaa’ perçoit sa contribution musicale et politique aux événements européens de solidarité avec la Palestine comme le prétexte réel de son arrestation :

« Il y a eu des présentations vidéo sur les crimes de guerre israéliens, pas uniquement à Gaza, mais dans le reste de la Palestine. Le but était aussi de montrer ce qui était positif, à propos de la Palestine, l’énergie et la créativité de son peuple. Nous parlions de la façon dont le sionisme s’était emparé de la Palestine et s’était comporté envers son peuple de la même façon que les nazis.

« Leur réaction a été énorme et ils m’ont arrêté dès que je suis arrivé à l’aéroport Ben-Gourion. Ils n’avaient aucune preuve contre moi de sorte qu’ils ont décidé de m’accuser d’être un agent étranger. Au cours des interrogatoires, un officier m’a dit : ‘Nous allons te faire oublier la musique une fois que tu seras en prison.’ Je lui ai dit : ‘J’oublierai mon nom avant même d’oublier la musique.’ L’expérience m’a rendu plus déterminé encore à emporter la musique avec moi (15). »

Affirmant que l’oud était un privilège non accordé aux prisonniers arabes, le régime israélien a rejeté les requêtes en vue de réunir Fida’ et son instrument. Il allait néanmoins composer 13 œuvres musicales durant ses trois années d’emprisonnement à Gilboa, dont cinq pièces pour oud, trois pour piano et une série de chansons consacrées à la poésie des prisonniers palestiniens.

Ces dernières comprenaient une collaboration fructueuse avec l’asir (prisonnier politique) vétéran Walid Daqqa (16), se traduisant par une pièce de théâtre musicale et un chant d’anniversaire pour le petit-fils d’Ahmed Abu Jader.

Quoi que l’entraînement à l’oreille de Fida’ l’ait certainement aidé – sans instrument, il admettait qu’il se sentait « comme Beethoven une fois devenu sourd » – une poignée de ces pièces musicales ont été composées à l’aide d’un extraordinaire instrument fabriqué par Fida’ avec le soutien de ses camarades de Gilboa.

« Dès mon arrivée, je me suis mis à penser à la façon de fabriquer un oud. Le Croissant rouge allait apporter des tables d’échecs et de jacquet et je finis par utiliser ce matériel pour fabriquer l’oud. Naturellement, les camarades à l’intérieur m’ont aidé en collectant des matériaux ou en maintenant les pièces de bois en place, des choses dans ce genre. Ils m’ont appris à faire de la colle à partir du riz, de cuire ce dernier d’une certaine façon afin qu’il colle vraiment (…) Il existe un processus par lequel il devient vraiment collant, vous le mélangez et vous en extrayez la partie gluante pour en faire de la colle (…)

« Ce fut un processus longuement mûri et bien d’autres prisonniers furent impliqués pour faire de l’oud une réalité : tous ceux qui avaient une table d’échec dont ils ne voulaient pas me l’ont apportée. J’ai réalisé la caisse sonore assez facilement mais, dès lors, j’ai dû réfléchir à la façon de produire les tons, la tête d’instrument (…) Les jeunes se sont mis à collecter des cuillers en bois et les ont ramenées. C’était génial, parce qu’elles étaient déjà arrondies et pouvaient être utilisées comme chevilles d’accord. Elles pouvaient être logées dans la partie inférieure d’un balai-brosse, laquelle pouvait constituer la tête de l’oud ; nous disposions de brosses pour nettoyer nos cellules et je me contentai de retirer les crins et de garder la tête en bois. Je reçus l’aide d’un tas de camarades dans la cellule et, même quand nous fûmes séparés et dispersés dans toutes les ailes de la prison, d’autres voulurent apporter leur aide sans même rien demander en retour.

« Durant tout ce processus, l’un des camarades mit de côté une poêle en métal et, de là, il créa une scie qu’il me donna. Dès lors, il devint nécessaire que quelqu’un joue le rôle de guetteur près de la porte et nous adresse un signal s’il nous fallait cacher quelque chose – il importait que nous ne soyons pas pris en plein travail. Ainsi donc, le camarade guetterait via un trou dans la porte et, si les gardes venaient, nous entendrions son signal (‘zaghrit’). Et nous cacherions alors très rapidement les parties de l’oud dans une table de jacquet, avec l’air de faire comme si nous jouions et qu’il ne se passait rien sortant de l’ordinaire (…)

« Les cordes étaient entrées clandestinement dans la prison, dissimulées dans les coutures des vêtements. Ç’aurait été la chose la plus difficile à fabriquer en prison de sorte qu’une fois que nous eûmes ces cordes à l’intérieur, nous les cachâmes soigneusement dans des vêtements. »

Suite aux remarques d’‘Ali Jaradat sur le caractère unique de l’héroïsme collectif à l’intérieur des prisons sionistes, Meari perçoit les prisonniers politiques palestiniens comme illustrant une « mode singulière/collective », sans point commun avec cet idéal libéral qu’est l’individu autonome (p. 553).

Ajoutant du poids à de telles expériences, les techniques de punition et d’isolement interne visent, selon al-Ka’abi, à limiter le contact humain, ce qui résulte parfois en

« une ou des périodes prolongées avant de rencontrer quelqu’un d’autre. Ainsi, nous sommes emprisonnés dans notre propre pays et séparés ensuite à l’intérieur. »

Pour défier ces mesures cherchant manifestement la ségrégation, la création d’un espace politique constitue une composante principale de la pratique du sumud parmi les personnes « en mode sumud », qui défient donc les restrictions contre leur rassemblement et rendent possible leur action collective, comme l’a noté Samah Saleh (p. 27) en écrivant sur les prisonnières palestiniennes.

Les expériences citées sont révélatrices de la dialectique de la détermination, par laquelle les interprétations du sumud comme étant une attente patiente trahissent ses qualités protagonistes, révolutionnaires et les rôles joués par les prisonniers politiques musiciens et poètes pour aider à mobiliser la confrontation avec le régime.

Ce fut vers le moment où l’oud allait être fabriqué que les autres se mirent à apporter des idées poétiques et chantées à Fida’, témoignant à la fois de l’excitation et de l’impatience des asra à être impliqués dans la production de musique.

De même que la chanson d’Abu Jader, Fida’ décrit Walid Daqqa qui débarque dans l’aile de la prison alors que l’oud est pratiquement terminé, déclenchant rapidement un partenariat productif en s’asseyant quotidiennement pour produire des qasa’id (terme générique pour « poèmes ») et d’autres pièces (17).

L’oud était toujours un travail en cours mais il y avait une impatience de s’en servir le plus rapidement possible. Dès que les cordes furent en place, Fida’ joua de l’instrument pour les autres dans la cellule :

« J’en jouais durant la journée et je le cachais la nuit – l’oud devait être monté et démonté chaque jour de façon à ce qu’ils ne puissent nous surprendre avec lui lors de leurs raids dans les cellules. »

Il y avait des limitations sur le temps de jeu possible une fois que l’oud était complètement assemblé (Fida’, en fait, fabriqua deux ouds, tous deux confisqués, et l’un partiellement terminé), mais Fida’ écrit dans ses propres réflexions qu’« il y eut de beaux moments » durant les journées qui passèrent avant que les asra ne fussent surpris avec l’instrument (AlShaer).

Quand l’oud fut découvert, un très louable acte de solidarité vit Daqqa revendiquer le travail comme étant le sien, mais les autorités sionistes ne le crurent pas et imposèrent une punition collective.

Al-Ka’abi entra à Gilboa après la libération de Fida’ et il apprit que les gardes avaient

« pris l’oud et jeté Walid dans une cellule d’isolement pendant une semaine. Il avait été mis à l’amende, maltraité et transféré vers une autre prison, tout cela, parce que, apparemment, fabriquer des instruments de musique n’est pas permis ».

Pour les geôliers, confisquer l’instrument réalisé complétait la menace adressée au musicien de lui faire oublier la musique.

Mais, dans un sens, les dégâts occasionnés au régime de la prison coloniale étaient là, dans la création d’une campagne politiquement orientée, dans l’instigation d’une activité musicale, dans des répertoires de musique et de poésie potentiellement longs et dans la re-narration de l’histoire par des asra dispersés selon leur habitude autour du réseau carcéral.

Répéter le discours, prétendait Edward Saïd (p. 56), était essentiel pour empêcher la cause palestinienne d’être ignorée. Comme l’évasion de la prison de Gilboa en septembre 2021, la défaite de cette bataille à court terme put néanmoins alimenter la suite de la résistance sur la voie de la liberté.

Dans les affres de l’histoire arabe, où la destruction de l’héritage culturelle constitue une caractéristique de la re-division du monde, où les artefacts culturels et littéraires palestiniens restent sous des cadenas israéliens depuis les pillages de 1948 et autres offensives sionistes et où la migration forcée accompagne la guerre impérialiste à travers toute une large région, il pourrait être pardonné à l’oud d’être entendu aussi isolément ou d’être surtout utilisé pour représenter la tragédie (Beckles Willson).

Le maniement palestinien et syrien de l’oud présente des défis positifs aux tentatives en vue de le coloniser et d’oblitérer son rôle indigène, un facteur qui pousse de nombreuses personnes à protester contre le « festival de l’oud » d’Israël à Jérusalem occupée (Masar Badil).

Contrairement à la « résistance passive, et même au défaitisme » perçus par Qabaha et Hamamra comme des signifiants de la stratégie de normalisation de l’AP au cours des décennies qui ont suivi Oslo (p. 37), la résistance des prisonniers politiques est vivace et d’une importance vitale.

Lors de l’interrogatoire sioniste, Fida’ fait allusion à un désir de la réduire au silence, de lui faire oublier la musique arabe tout autant que de lui faire oublier le vol physique de Majdal Shams.

Une confiscation instrumentale de ce genre constitue un acte de désarmement des opprimés par l’oppresseur, mais que représente la transformation de la cellule de prison en un atelier de fabrication d’instrument dans la volonté de contrer cet acte de vol colonial ?

Qu’est-ce qui est représenté quand on fait sortir un oud apparemment du néant ?

Le passage suivant théorise sur l’ingéniosité de la masse et sur les implications de « devenir révolutionnaire » pendant son emprisonnement politique et au-delà.


Le devenir révolutionnaire et le développement d’un peuple-génie

Feu Fidel Castro Ruz était un partisan remarqué de la cause palestinienne, un critique acide du sionisme et de l’intervention impérialiste au Moyen Orient et il supervisa la solidarité cubaine avec le mouvement de la libération palestinienne tout au long des décennies que dura son pouvoir politique. Durant son propre emprisonnement sous la dictature de Cuba avant la révolution, il fit cette déclaration fameuse :

« Je ne crains pas la prison et je ne crains pas la colère du misérable tyran qui a ravi les vies de 70 de mes camarades. Condamnez-moi. Cela n’a aucune importance. L’histoire m’acquittera. » (Castro, 1993)

Ayant décroché son diplôme en compagnie d’autres combattants de Cuba d’avant la révolution, en passant par la « prison fertile » de l’organisation et l’éducation politiques après avoir dirigé l’attaque de la caserne de la Moncada, le 26 juillet 1953 (18), Fidel allait prendre sur son temps de prison pour lire Marx, Lénine et toute une série d’autres afin de développer des perspectives culturelles fondatrices dès les premières années de la révolution.

Celles-ci allaient s’avérer des thèmes importants durant les décennies de la construction du socialisme. Publié sous le titre « Adresse aux intellectuels » (19), son discours de juin 1961 à la Bibliothèque nationale José Marti de Cuba, deux mois après l’invasion américaine à la baie des Cochons, faisait remarquer qu’au contraire de la Chine, Cuba n’avait pas encore eu sa conférence de Yen’an des artistes (20), mais que les révolutions économiques et sociales qui avaient lieu à Cuba « devaient inévitablement produire une révolution culturelle dans notre pays (21) ».

L’appel de Fidel aux artistes et aux intellectuels était large et cosmopolite, il ne s’exprimait pas en faveur de formes particulières, mais pour les défenseurs de chacune de ces formes afin qu’ils contribuent sous la bannière de la nation révolutionnaire.

Alors que les œuvres mêmes de Che Guevara ont été d’une importance cruciale pour les premiers grands débats de la révolution cubaine, Che attribuait à Fidel la qualité d’entretenir une proximité inouïe avec le pouls du peuple (Yaffe, 2009, p. 131), acquise par le biais d’une compréhension particulière de ses intérêts et d’une relation bâtie au travers des rassemblements de masse et des débats (22).

Bien que Fidel s’inspirât du Che, son propre marxisme peut être défini au travers des leçons du processus révolutionnaire, façonné non pas via des traités sur le matérialisme historique mais via une abondance de très longs discours, conférences, interviews et articles dans les journaux.

Le propre génie de Fidel est proclamé à la fois par ses supporters et ses détracteurs. Les premiers incluent des personnalités palestiniennes et syriennes, ainsi que l’opinion populaire. Le marxiste palestinien Georges Habache a étudié l’exemple cubain et a fréquemment discuté du rôle de Fidel dans la conscience populaire (pp. 85, 105).

En 1978, lors de son discours inaugural à la Friedrich Engels Vocational School à Pinar del Rio, Fidel est revenu sur un thème qu’il avait étudié lors de son emprisonnement en 1954 (Mencia, p. 43), devant un public d’étudiants et de travailleurs médicaux :

« Je ne crois pas que, dans le monde du futur, ou dans la patrie du futur, il y ait la moindre place pour de grandes célébrités ; parce que les grandes célébrités (ou les prétendus génies) appartiennent essentiellement à une époque dans laquelle une minorité insignifiante de la population pouvait aller à l’école ou se cultiver, et où les masses étaient ignorantes.

Mais, dans le monde de demain, il n’y aura pas une, deux ou dix personnes qui pourront se cultiver ; car le monde de demain sera une société dans laquelle des millions de personnes pourront se cultiver, dans laquelle des millions de personnes pourront aller à l’école.

Puis il y aura des millions d’intellects développés et cultivés et un individu qui a eu une bonne part d’éducation ou qui connaît beaucoup de choses ne passera pas pour l’homme sage du peuple, parce que tout le peuple sera constitué d’hommes sages.

Il n’y aura pas un ou deux génies, parce qu’il y aura un peuple-génie. Ces individus supposés hyperdoués n’existeront pas, parce qu’il existera un peuple hyperdoué (Castro, 1978). »

Fidel voyait, dans les réalisations rapides de Cuba dans l’alphabétisation, la scolarité et la culture, le développement d’« un peuple-génie » qui, plutôt que de promouvoir les mentalités d’« élite » rencontrées sous le capitalisme, allait finir par percevoir la distinction individuelle comme porteuse d’une obligation d’empathie avec les autres, « sans les humilier de prétentions à la supériorité » (Castro, 1978).

Au début des années 1990, avec la chute de l’Union soviétique et le durcissement du blocus américain menaçant Cuba de ruine économique, Fidel allait s’appuyer sur les concepts du devoir révolutionnaire et de la réalisation collective, voyant « les solutions aux problèmes du pays » reposer « sur l’investissement que la révolution a effectué dans les esprits du peuple » (Castro, 2002).

Décrivant le développement des écoles médicales, des polycliniques, des centres agricoles et technologiques, Fidel prit comme référence le travail des Brigades des pièces détachées, qui avaient commencé en 1961 en tant que mouvement en partie spontané et s’étaient intégrées aux institutions cubaines.

Semblables aux prisonniers palestiniens et à leur acharnement pour se mettre en quête de bois de récupération pour la fabrication de l’oud, les brigades de masse des travailleurs cubains fouillèrent les décharges et adaptèrent les matériaux recyclés afin d’éviter la paralysie des industries métallurgiques, à cause du blocus américain qui empêchait les Cubains d’obtenir des pièces mécaniques de fabrication américaine et utilisées précédemment.

Le magazine révolutionnaire Bohemia exhortait : « Votre machine est aussi votre tranchée – défendez-la ! », en concluant que « la bataille des pièces détachées mène à la victoire sur l’impérialisme ! » (Wolfe).

Réfléchissant à cette période des débuts, Fidel résuma ses pensées et les adressa à l’Académie cubaine des Sciences :

« Je défendais la thèse selon laquelle un génie n’est rien sans le groupe, sans la société, sans les autres. Sans la nation, il n’est rien. Si un génie est un génie désintéressé et noble, désireux de dédier l’intelligence qu’il a reçue de la nature au service de son peuple, dans ce cas, ce génie n’est rien sans la révolution. » (Castro, 2002)

Lorsque je faisais partie d’une brigade des jeunes à Cuba, je fus un témoin émerveillé du discours de Fidel aux Cubains et à leurs partisans internationaux au théâtre Karl Marx de La Havane, le 26 juillet 2005.

Mettant en lumière le caractère concret de la contribution philosophique de Fidel, un discours s’étendant sur quatre heures environ se concentra sur les réalisations de la Bataille des Idées, dans la lutte pour l’efficience de l’énergie, et il traita des menaces contre l’île du régime de l’époque, celui de G.W. Bush.

L’intellectuelle de pointe de Cuba, Helen Yaffe, prétend que cette période porte le sceau de l’influence de Fidel, dans

« Mobilisation massive et volontaire (…) rappelant la ferveur révolutionnaire du début des années 1960 » (2000, p. 70).

Mélangeant le progrès technologique et l’engagement de la jeunesse dans des programmes sociaux de porte-à-porte, le génie envisagé par Fidel et attribué à lui-même témoignait de ses prétentions selon lesquelles de telles idées n’ont aucun sens si elles ne sont pas reprises par un peuple engagé désireux de les transformer en action (23).

Dans les discours de Fidel, le concept du génie est à la fois collectif et individuel, mais irrévocablement révolutionnaire, en tant que rupture avec les notions capitalistes de réalisation de l’élite, et glissement fondamental vers la perception de la masse consciente, plutôt que celle d’un individu supérieur comme stimulant en faveur du changement.

L’évolution de ses réflexions portant sur plus d’un demi-siècle suggère un processus en mouvement – une révolution, en devenir permanent, évoluant jusqu’à la victoire.

Dans son « Adresse aux intellectuels », de 1961, Fidel avait parlé à la première personne du pluriel, reconnaissant « le peuple » comme l’essence du processus, demandant aux intellectuels et aux artistes de rejeter les privilèges et de s’unir pour forger de nouvelles générations de penseurs humains, à un moment transcendant de l’histoire mondiale (Kumaraswami).

Il existe un passé et une philosophie révolutionnaires des inventos (ou la production créative afin de gérer les pénuries) au cœur des tentatives cubaines en vue de traiter les sanctions et le sous-développement.

Inventos avait signifié la recherche de composantes mécaniques dès les tout premiers instants du blocus américain en 1962, mais le terme allait se traduire plus tard en un passage à l’agriculture organique au moment de la chute de l’Union soviétique, ou au développement au niveau de la rue, vers la fin du siècle, d’un hip-hop cubain socialement conscient qui, plus tard, allait bénéficier du sponsoring du gouvernement socialiste (Jacobs-Fantauzzi).

Tous ces mouvements se faisaient l’écho de l’engagement de Fidel, des années avant cela, à vouloir définir en termes vastes et inclusifs l’idée que les artistes et les intellectuels pouvaient développer des voies nouvelles de contribution au processus révolutionnaire (Kumaraswami, p. 540).

Les défis de la Palestine et du Golan syrien tous deux soumis à une colonisation permanente sont naturellement très différents.

Toutefois, des notions de devenir révolutionnaire trouvent des analogies intéressantes parmi celles pour lesquelles les luttes anticoloniales, anti-impérialistes sont des priorités quotidiennes.

Dans le marxisme de Fidel, le génie collectif est aspirationnel, mû par un processus et, comme la révolution elle-même, dépendant des masses.

Voir la destination de la société socialiste dans « le monde de demain » signifie interroger les conditions d’aujourd’hui, trouver des solutions de fortune, développer de nouvelles mentalités et forger une rupture décisive avec la compétitivité autocentrée du capitalisme.

Décoloniser la société dans les intérêts des opprimés fusionne des initiatives pratiques et idéationnelles en mouvement.

Parlant en 1959 des progrès de la révolution algérienne, de ses défis, de sa description au niveau internationale et des extrémités brutales auxquelles l’impérialisme française était allé pour maintenir son emprise sur l’Afrique du Nord, Fanon fait remarquer que le nouvel être humain

« n’était plus le produit d’imaginations brumeuses et encombrées des fantaisie »,

mais une réalité (19). Cette conjoncture avait pour but

« une Algérie ouverte à tous, dans laquelle chaque espèce de génie pouvait se développer » (p. 7).

Mais les exemples cubain et algérien avaient la victoire en vue et, dans le premier cas, la consolidation de l’État dans les mains du mouvement révolutionnaire.

Fanon et le Che étaient rejoints dans leur perception du nouvel être humain d’une société révolutionnaire par le communiste palestinien Ghassan Kanafani (2015, p. 484) après la défaite arabe de 1967 et la Naksa, c’est-à-dire la colonisation de certaines parties de la Palestine et de la Syrie.

Dans le même temps qu’il exprimait sa critique du sionisme et de la réaction arabe, Kanafani appelait le « sang nouveau », une organisation léniniste renouvelée à sa base, et des réponses créatives à la crise.

Pensé à une époque de réaction, cet appel constituait en même temps une réflexion sur l’action collective, un acte prospectif et une vision qui allait au-delà des limites systémiques du discours libéral. La révolution est un processus, pas seulement un événement ou une année sur laquelle mettre le doigt.

Le processus actif de la résistance collective rejette ce qu’a perçu Kanafani comme étant les tendances de la lamentation et du repli dans certains points de vue critiques de la défaite qui ont prouvé que les gens qui les proposaient étaient « moins capables du sumud » (1990) (24).

En examinant davantage le « mode singulier / collectif », Meari conclut :

« En ce sens, héros ou icônes, les termes utilisés par les Palestiniens pour en référer aux Palestiniens-en-état- de-sumud, n’appuient pas l’état subjectif libéral de l’exceptionnalité individuelle (p. 554). »

De bien des manières, la période réactionnaire dans laquelle nous vivons, les crises qui poussent les prisonniers politiques vers l’avant en tant qu’éminents acteurs anti-impérialistes et sources d’inspiration nationale, mettent également en exergue leur caractère exceptionnel.

Pourtant la façon d’être représenté par le sumud dépasse la camisole étriquée de l’universalisme libéral et le fait d’être simplement humain, comme le montre Meari, pour présenter un potentiel de révolution et de libération à l’humanité.

Avec ces mots et avec le dynamisme social et le temps passé en prison qui a poussé Fidel vers la conceptualisation de l’ingéniosité populaire, il est logique de concevoir une masse organisée de prisonniers politiques palestiniens qui forme un corps de génie collectif, agissant avec inventivité et une force politique insurmontable pour résister à son démembrement interne par le régime colonial de peuplement.

Les actions des asra de Gilboa en préparant l’évasion audacieuse de 2021 et en confectionnant des instruments de musique à l’époque de l’emprisonnement de Fida’ al-Shaer répondent aux appels de Kanafani, Fanon et du Che en faveur de nouveaux êtres humains et, en outre, donnent de la substance à forment une nouvelle existence morale, en prenant en un geste de défi le futur en mains propres et mettant ainsi en évidence leur propre rôle avant-gardiste.

Le fait que des Syriens sont impliqués offre aussi des aperçus des genres de résistance arabe envisagés par Kanafani, Habache et d’autres penseurs clés. De la sorte, leurs actions évoquent le futur révolutionnaire imaginé par Fidel dans tout l’horizon de la construction socialiste.

Produire des instruments en détention coloniale trouve une confluence dans l’expérience des prisonniers politiques républicains irlandais dans les prisons de l’occupation britannique, où des harpes ont été sculptées et où des sessions d’enregistrement secrètes ont eu lieu au cours de la lutte d’après 1969 (25).

Les thèmes de la terre, de la détermination et de l’héroïsme ont également trouvé leur place dans la composition de chansons rebelles en Irlande. En même temps, les histoires d’activisme musical proposées dans cet article portent la spécificité des cas de Palestiniens et de Syriens sous l’occupation, en référant aux genres d’art de guérilla qui a figuré dans les histoires des personnes déplacées.

Il vaut certainement la peine de considérer si les crises extrêmes d’énergie qui accompagnent les sanctions impérialistes et sionistes en Syrie et à Gaza incitent les jeunes à adopter des instruments acoustiques comme l’oud et le bouzouki.

La joueuse d’oud Reem Anbar se rappelle avoir joué chez elle pour sa famille et des voisins au cours des coupures d’électricité et des bombardements sionistes ; elle a enregistré des morceaux instrumentaux en tant que « message (…) disant que la Palestine continuerait de vivre (26) ».

Discutant du rôle des femmes palestiniennes, Ilham Abu Ghazaleh voit leur reconnaissance en tant qu’héroïnes qui reflètent leur « ingéniosité en développant des méthodes de survie sous l’occupation » (Sabbagh, p. 192).

Jouer sur des instruments autochtones défie et le pillage auquel on a tenté de les soumettre et leur réduction au silence par le colonisateur et cela permet aux récits des résistants d’être exprimés sous diverses formes esthétiques.

Comme j’en ai appris davantage sur les camps de prisonniers de l’occupation, je prétends que les voies alternatives de la collectivité communautaire et de l’organisation politique défient l’« autonomie » individualiste poursuivie dans les industries de la musique motivée par le profit et dans la culture « Insta-selfie » promue dans le monde extérieur duquel les asra ont été isolés de façon violente.

Conclusions

Bien que la musique constitue une composante établie et centrale dans l’histoire anticoloniale de la Palestine et celle de la Syrie, fabriquer des instruments dans les prisons de l’occupation est rare et atteste d’une motivation particulière et collective dans les moments de confrontation.

L’histoire de Fida’ suggère qu’il a été poussé vers son rôle de luthier/asir par ses geôliers mêmes, mais le fait d’avoir compris que cela allait requérir de nouvelles formes de solidarité collective a pris forme à l’intérieur.

Les structures organisationnelles qui ont rendu cette brève expérience possible sont enracinées dans des années d’organisation de masse entre factions décrites par al-Ka’abi, et dans lesquelles les asra prennent politiquement le contrôle de leur propre existence sociale et du calendrier de leurs activités.

Mes brèves références à l’Irlande suggèrent qu’il y a d’autres exemples à examiner, unis par une volonté commune de culture politique parmi les personnes dépossédées et incarcérées par les régimes impérialistes et coloniaux de peuplement.

En surmontant les interdictions et les confiscations, de même que la torture endurée à l’occasion, la séparation et le contrôle administratif, les prisonniers politiques enfermés par le sionisme deviennent des révolutionnaires au cours de ce processus.

Les ethnographies et arguments présentés ici n’ont pas l’intention de glamouriser ou de romantiser la vie derrière les barreaux dans des conditions auxquelles la plupart d’entre nous ne peuvent se rattacher directement.

En effet, l’enfermement par les sionistes débilite et détruit le talent les moyens de subsistance, comme le montre le cas de l’ancien footballeur palestinien Mahmoud Sarsak, qui a gagné sa propre liberté en juillet 2012, et dont la carrière était bel et bien terminée, après cela.

À l’instar des sportifs, les musiciens actifs avec une formation de conservatoire, perdent rapidement leurs dons techniques une fois qu’ils sont privés des moyens de pratiquer leur musique.

Depuis sa libération, Fida’ a surtout joué à Majdal Shams, mais il a voyagé régulièrement en Europe, malgré la persistance des problèmes de visa.

Il vaut la peine de considérer que, bien qu’il ait agi par solidarité avec des Palestiniens emprisonnés (et avec leur important soutien), l’isolement physique par rapport aux scènes musicales plus larges peut être indicatif des voyages politiques d’après 2011.

On peut prétendre que cela reflète une limitation des formes de la campagne propalestinienne en ne parvenant pas à faire cause commune avec la lutte syrienne en vue de libérer de Golan occupé.

En même temps, les événements syriens propalestiniens et anti-occupation continuent de fournir une plate-forme importante pour la contribution musicale de Fida’ al-Shaer, avec l’enthousiasme impatient d’un public qui reflète un engagement activiste ainsi qu’un intérêt esthétique pour l’oud.

L’histoire fait allusion aux possibilités créatrices et politiques de l’organisation collective.

J’ai enveloppé le récit sur Fida’ dans toute une discussion sur le génie, non parce que les asra sont arrivés à la société future ou à la personnification de l’être humain du futur annoncé par Fidel Castro et les autres personnages cités ici, mais parce que, comme l’écrit Meari, la résistance des personnes détenues en captivité par Israël montre des gens qui émergent et deviennent révolutionnaires par le biais de la « potentialité révolutionnaire anticoloniale » ou de la détermination (2014, p. 575).

Fidel compte sur le potentiel libératoire pour stimuler le génie chez les gens et, par la même occasion, de la propension de l’ingéniosité populaire à forger un avenir libéré.

Fabriquer l’oud à la prison de Gilboa propose une contre-attaque face à la répression de la culture musicale autochtone par les forces du colonialisme et de l’impérialisme, menée par les prisonniers politiques selon des méthodes nouvelles contre ces mêmes forces.

L’histoire les acquittera.

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Louis Brehony est un activiste, musicien, chercheur et éducateur de Manchester, au Royaume-Uni. Il est l’auteur d’une monographie à paraître sur les musiciens palestiniens en exil et il est le réalisateur du documentaire primé, Kofia : A Revolution Through Music (Une révolution par la musique) (2021).

 

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Publié au printemps 2022 sur Memorial University
Traduction, Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Découvrez ici la vidéo du webinaire La culture de la résistance : Musique derrière les barreaux coloniaux, organisé par le réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, accueillabnt le Dr Louis Brehony

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Notes

(1)-Le chant de 1964, « Li-Sabri Hdud » a été composé par Muhammad al-Mogi sur une poésie d’Abd al-Wahab Muhammad.

(2)-J’adapte légèrement cette phrase puisée chez Lena Meari, qui fait allusion aux Palestiniens-en-état-de-sumud, afin de reconnaître la présence particulière de Syriens dans les prisons israéliennes, comme cela a été fait dans cet article (2014).

(3)-Cette déclaration devrait être complétée en faisant remarquer que, bien que l’œuvre de Fidel soit méprisée de Fidel par bien des universitaires traditionnels et bien d’autres s’auto-proclamant marxistes en Europe, son unique contribution n’est pas négligée par d’autres révolutionnaires, dont certains venant de pays comme l’Afrique du Sud, où la solidarité cubaine a été d’une importance monumentale dans la défaite du pouvoir colonial de peuplement.

(4)-Un rapport de campagne d’Addameer fait remarquer que, bien que 970 prisonniers aient été libérés en un « geste de bonne volonté » en mars 1994, tous avaient purgé la quasi-totalité de leur peine et n’avaient pas été accusés de délits graves. La chose fut suivie par l’arrestation de 2 700 Palestiniens entre le 15 et le 20 avril, et l’emprisonnement de 200 autres sous le régime de la « détention administrative », sans charge ni procès (Addameer).

(5)-Statistiques fournies par Abdel-Nasser Ferwaneh, Comité des prisonniers et des prisonniers libérés de l’Organisation de libération de la Palestine, septembre 2019.

(6)-Au moment d’écrire ceci, l’« aide » américaine à Israël tourne autour de 3,8 milliards de USD par an. Généralement, en outre, on ne dit mot du fait que les programmes israéliens ont reçu en 2020 la somme de 1,45 milliard de USD du programme Horizon de l’UE pour la recherche scientifique (Cronin).

(7)-Barakat écrit : « Oui, il y a un conflit palestinien qui existe toujours. Sa flamme diminue et s’avive selon l’équilibre des forces et la tension de la lutte de classe interne. C’est la norme depuis que les chefs féodaux et la grande bourgeoisie sont au pouvoir, se muant ainsi en une poignée de compradors représentant l’occupation et le capital à Ramallah, Amman et Naplouse. Quelles que soient les causes qui ont débouché sur cette réalité – des causes qui sont indéniablement importantes et qui devraient être traitées dans de futurs articles – la vérité fondamentale et inébranlable est qu’il existe un secteur palestinien minoritaire de dirigeants qui tient les cordes du processus décisionnel politique et qui le monopolise avec le pouvoir, l’argent et le soutien étranger (américain, européen et réactionnaire arabe), et ce, en raison de sa coordination sécuritaire avec l’occupation. Il accepte volontiers de commettre des crimes politique pour défendre ses intérêts. Ces forces ont empêché la victoire, fait avorter plus d’une insurrection populaire, négocié la cession de terres et de droits ainsi que la destruction de réalisations nationales palestiniennes. » (Barakat).

(8)-Les prisonniers politiques étaient des personnalités centrales dans la lutte irlandaise contre le colonialisme britannique, avec James Connolly et d’autres participants de l’Insurrection de Pâques 1916 qui furent emprisonnés et exécutés par la Grande-Bretagne. La période qui suivit la réintroduction en 1969 des forces armées britanniques, connue sous l’appellation de « Les Troubles », a été accompagnée d’un tas de lois « antiterrorisme », y compris l’internement sans procès, rappelant la détention administrative en Israël. Les luttes intérieures et extérieures pour les prisonniers politiques inclurent très notoirement les morts, lors d’une seconde grève de la faim, de l’activiste dirigeant Bobby Sands et de neuf autres en 1981, quand le gouvernement conservateur de Thatcher trouva du soutien auprès de son opposition du Labour. Les deux se concentraient sur la criminalité et refusèrent le statut politique à ceux qui avaient été emprisonnés. Des processus de « paix » tant en Irlande occupée qu’en Palestine ont échoué dans le traitement adéquat de la question des prisonniers politiques.

(9)-C’était un but déclaré de la conférence de Masar Badil (Voie alternative) à Madrid, en octobre 2021.

(10)-J’emprunte l’analyse sur les guerres par procuration chez Matar et Kadri, qui concluent que la guerre en Syrie d’après 2011 reflète « un jeu de pouvoir impérialiste » (p. 279) et une extension des motifs de la guerre de 2003 en Irak.

(11)-Des enregistrements disponibles comprennent une performance sur oud et une performance vocale par Ibrahim Salah.

(12)-Les citations tirées d’Asim al-Ka‘abi proviennent de mon interview de l’auteur, le 27 août 2021.

(13)-Le mot qaharna a une double traduction, ici : signifiant « conquérir », la racine qaf-ha-ra suggère également « mettre en colère », avec le sujet (al-sijjan, le geôlier) mis en colère par les actes des prisonniers gagnant leur liberté. Ma traduction en « conquérant » fait allusion aux propos de Fida’ al-Shaer dans la section qui suit.

(14)-Les Syriens dans le Golan rejettent la citoyenneté israélienne à une écrasante majorité. Une conséquence de ce refus est l’exposition à un système d’apartheid concernant les déplacements et les visas, un système dans lequel les privilèges des personnes nanties d’un passeport israélien sont hors de portée.

(15)-Sauf indication, toutes les citations de Fida’ al-Shaer ont été traduites de l’arabe suite à une série d’interviews avec l’auteur en septembre-novembre 2021.

(16)-Walid Daqqa avait été emprisonné avant l’intifada, en 1986. Sa situation met en exergue la situation très pénible des prisonniers politiques pour qui le processus d’Oslo était un mirage.

(17)-Pluriel de qasida. Bien que cette forme poétique traditionnelle ait des caractéristiques particulières, le mot est parfois utilisé comme un terme générique désignant la poésie.

(18)-Dans The Fertile Prison/La prisión fecunda (La prison féconde), l’historien cubain Mario Mencía montre comment le concept du dirigeant anticolonial José Marti selon lequel « une forteresse d’idées veut plus qu’une forteresse de pierre » a été appliqué et développé par les prisonniers politiques sous la dictature de Batista. Puisant dans les lettres et les souvenirs de Fidel et d’autres plus tard afin de diriger le Mouvement du 26 juillet, Mencia décrit l’organisation détaillée des jours à l’intérieur de la prison par les prisonniers de l’île des Pins, où « les armes étaient la bibliothèque » et « la forteresse était l’université, un petit tableau noir et les tables en bois sur lesquelles ils mangeaient sous la corniche de la cour ». (p. 37).

(19)-Selon Par Kumaraswami, ce discours servir d’exemple clé « des mesures et de la politique culturelles complexes qui ont caractérisé toute la trajectoire de la culture et de la révolution à Cuba » (p. 528).

(20)-Il fait allusion au Forum de la littérature et de l’art, dirigé par les communistes, dans la province chinoise de Yen’an, en mai 1942, pendant laquelle Mao Zedong présenta un commentaire culturel influent dans le contexte de la Chine prérévolutionnaire. Traduction par (p. 531).

(21)-Che prétendait que la volonté des Cubains de suivre la direction de Castro et « le degré auquel il avait gagné cette confiance résultaient précisément d’avoir interprété la signification totale des désirs et aspirations du peuple et résultaient également de la lutte sincère en vue de concrétiser les promesses qu’il avait faites ». (Guevara 2005, p. 126).

(22)-Des visions significatives de la connaissance de masse via l’invention technologique et créative – et illustrer en outre la proximité avec les masses perçues dans Fidel par le Che – les discours dans lesquels j’ai puisé étaient publiés dans les organes de la presse écrite et de la radio les plus lus et écoutés du pays.

(23)-Utilisant un langage semblable, le chanteur et guitariste palestinien Ahmed Haddad a décrit le fait de grandir à Gaza comme équivalant à rendre les jeunes « plus capables du sumud ». Conversation avec l’auteur, décembre 2020.

(24)-Je reviendrai sur le thème de la musique chez les prisonniers politiques irlandais dans un futur article.

(25)-Conversation avec l’auteur, juillet 2014.

(26)-Le prisonnier politique palestinien Dahoud Ariqat a lui aussi, dit-on, fabriqué un oud pendant son emprisonnement.

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