75 ans après la libération d’Auschwitz, Gaza est ma prison
Tamam Abusalama
La semaine dernière, Israël célébrait le 75e anniversaire de la libération par les Soviétiques d’Auschwitz, le camp de la mort nazi où le gouvernement allemand a exterminé plus d’un million de personnes au cours de l’Holocauste.
C’était la première fois que cet événement était commémoré en Israël, et non en Pologne, comme c’est le cas habituellement.
En 2015, au cours de mon programme Erasmus (un échange d’étudiants de l’Union européenne), j’ai visité la ville de Cracovie, au nord de laquelle avait été construit le camp de concentration d’Auschwitz durant la Seconde Guerre mondiale.
Le premier jour, j’accompagnai mes amis dans l’une des visites de la ville sous la direction d’un guide local. « D’où êtes-vous ? », m’avait demandé le guide. « De Palestine », lui avais-je répondu.
« Vous ne devriez pas révéler explicitement votre origine palestinienne, dans cette ville. Mais vous pouvez toujours demander l’aide de la police chaque fois que vous aurez des ennuis »,
avait-il commenté. Sa réponse m’avait laissée sans voix. Je m’étais tue un moment, essayant de digérer ce qu’on venait de me dire et de trouver une excuse pour m’apaiser un peu.
« Qu’est-ce que vous venez de dire ? », avais-je de nouveau demandé, en souhaitant que la maladie génétique de ma famille, la perte de l’ouïe, m’ait également frappée.
L’homme m’avait calmement expliqué que bien des touristes palestiniens subissaient des menaces et des discriminations, ici, ajoutant que Cracovie était « est une ville conservatrice ».
Le lendemain, il était prévu de visiter le camp de concentration d’Auschwitz, ce qui constituait la principale raison de notre visite à Cracovie.
Bien des éléments se déclenchèrent une fois que je me mis en route, comme le fait d’entendre parler l’hébreu.
Dans mon expérience, l’hébreu était la langue de l’occupation et, ici, on l’entendait partout en même temps que le drapeau israélien s’agitait en de nombreux endroits.
Plusieurs traumatismes individuels et intergénérationnels me traversèrent le corps.
La douleur de l’étiquette de réfugiée, qu’on m’avait collée à la naissance et qui tout entière pouvait modeler ma vie, m’envahit. Je me rappelai
les bombardements israéliens auxquels j’avais eu la chance de survivre ;
ma grand-mère décrivant son expulsion de notre village, Bayt Jirja, et sa fuite vers Gaza avec deux bébés dans les bras ;
ma mère assistant à l’arrestation de mon père alors qu’elle était enceinte ;
les 18 années d’emprisonnement de mon père en Israël et dont il n’a plus jamais cessé de parler comme si cela venait de se produire.
Malgré les sentiments qui m’envahissaient douloureusement, je continuai et parcourus les différentes parties du camp, y compris le bloc des punitions le mur de la mort et le bloc où l’on se livrait à des expériences médicales sur les femmes.
C’était absolument horrible et émotionnellement pénible de se retrouver aussi près d’un endroit où plus d’un million de personnes avaient été confrontées à des tortures systématiques et à la mort.
En même temps, je ne pouvais m’empêcher de penser à Gaza, où je suis née et où j’ai grandi.
Gaza est surveillée et contrôlée par des technologies hautement sophistiquées qui imposent et étendent le pouvoir illégitime d’Israël sur les terres et sur les corps.
En ce moment, 4 544 Palestiniens sont détenus dans les prisons israéliennes, dont 186 enfants, environ 40 femmes et 464 personnes détenues sans la moindre accusation.
M’est venue brusquement à l’esprit une image de mon père, qui avait été condamné à 7 fois la perpétuité plus 10 ans, mais avait eu la chance d’être relâché après 13 ans lors d’un échange de prisonniers en 1985.
« Je pensais que ç’allait être mon tombeau », m’avait-il dit un jour lors d’une conversation portant sur les sombres années de sa détention.
J’admets qu’on ne devrait pas oublier les horreurs d’Auschwitz, mais d’autres nations ne devraient pas non plus payer le prix de ce que certains pays européens ont fait endurer à leurs minorités.
Depuis 2007, Gaza est étranglé par un siège israélien et égyptien.
Les deux pays continuent à punir collectivement plus de 1,816 million de personnes entassées dans une zone de 365 km² et aux prises avec des conditions de vie particulièrement inhumaines.
Pourtant, la communauté internationale s’ingénie par son silence à ne pas vouloir condamner ces deux pays.
Personne n’a mentionné Gaza lors de la commémoration de l’Holocauste en Israël, où l’on a pourtant assisté au plus grand rassemblement de chefs d’État de tous les temps.
Netanyahou a même profité de l’occasion pour accroître ses pressions sur la Cour pénale internationale de La Haye du fait qu’elle enquête sur les crimes de guerre possibles d’Israël et du Hamas.
Quelques jours avant l’événement, Natanyahou a confié à un émetteur évangélique qu’il allait chercher des « actions concrètes, des sanctions contre le tribunal international – ses fonctionnaires, ses procureurs, tout le monde » de la part des chefs d’État en visite.
Par leur participation à ce rassemblement, ces dirigeants mondiaux ont exprimé sans la moindre honte leur complicité en soutenant les crimes commis actuellement par Israël aux dépens des Palestiniens.
Quand ces dirigeants mondiaux entreprendront-ils des actions contre les crises actuelles ? Cela fait aujourd’hui 13 ans que Gaza subit ce siège et je me demande quelles sont les leçons qu’on en a tirées…
Post Scriptum : Ces appels n’émanent pas de l’espoir, chez la majorité des dirigeants mondiaux et leurs nations, en raison des innombrables coups que nous avons reçus.
En effet, la source principale, c’est le désespoir profond et l’indignation que des générations entières de Palestiniens ont portés en eux, en se rendant compte à quel point l’injustice prévaut dans le monde actuel.
Mais, quoi qu’il en soit, la foi en ceux dont la conscience est bien vivante est toujours là.
Publié le 6 février 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal
Tamam Abusalama est une blogueuse palestinienne, née et élevée dans la bande de Gaza. Elle vit actuellement en exil en Belgique. Elle est originaire du village palestinien de Bayt-Jirja, qui fut rasé par les forces israéliennes en 1948.
Lisez aussi :
Allez à Gaza et criez Jamais plus !
Pourquoi la Belgique se montre-t-elle cruelle envers les réfugiés de Gaza ?