Allez à Gaza et criez Jamais plus !

Gideon Levy

Au lieu de répéter jusqu'à la nausée "Jamais plus", les hommes d'Etat invités par Netanyahou feraient mieux de se rendre à Gaza

Des écolières dans le quartier de Shajaya, à l’Est de la ville de Gaza (septembre 2014). Photo : Anne Paq/Activestills

Il est très important de se souvenir du passé et il n’est pas moins important de connaître le présent sans fermer les yeux.

Les dizaines d’hommes d’État qui sont arrivés hier en Israël peuvent sans doute se souvenir du passé, mais ils embrouillent le présent.

Dans leur silence, dans leur mépris de la réalité quand ils se rangent inconditionnellement aux côtés d’Israël, ils ne trahissent pas seulement leur rôle, ils trahissent également la mémoire du passé au nom de laquelle ils sont venus ici.

Être les invités d’Israël sans mentionner ses crimes, commémorer l’Holocauste tout en ignorant ses leçons, visiter Jérusalem sans se rendre dans le ghetto de Gaza lors de la Journée du souvenir de l’Holocauste – on aurait du mal à imaginer pire hypocrisie.

C’est une bonne chose que les rois, présidents et autres notables soient venus ici en l’honneur de cette Journée du souvenir. Il est déplorable qu’ils ignorent ce que les victimes de l’Holocauste infligent à une autre nation.

La ville d’Erevan n’assistera jamais à un rassemblement aussi impressionnant pour commémorer l’Holocauste arménien. Les dirigeants du monde ne se rendront jamais à Kigali pour marquer le génocide qui a été perpétré au Rwanda.

En effet, l’Holocauste a été le plus grand crime de tous les temps contre l’humanité, mais il n’a pas été le seul.

Et les juifs et l’État d’Israël savent très bien comment sanctifier son souvenir ainsi que l’utiliser pour satisfaire leurs propres buts.

En cette Journée internationale du souvenir de l’Holocauste, les dirigeants mondiaux sont les invités d’un Premier ministre israélien qui, à la veille de leur visite, réclamait des sanctions – croyez-le ou non – contre la Cour pénale internationale de La Haye, qui est un héritage des tribunaux mis en place pour juger les crimes de la Seconde Guerre mondiale.

En cette Journée du souvenir, les dirigeants mondiaux rendent visite à un Premier ministre qui tente de les inciter contre le tribunal de La Haye.

Il est difficile d’imaginer un usage plus exaspérant de l’Holocauste, il est malaisé de concevoir une pire trahison de ce souvenir que la tentative de saper le tribunal de La Haye pour la seule raison que celui-ci souhaite remplir son rôle et enquêter sur Jérusalem.

Les invités garderont le silence sur cette question aussi. Certains d’entre eux peuvent être persuadés que le problème se situe à La Haye, et non à Jérusalem. Des sanctions contre le tribunal et non contre l’État occupant !

On ne doit jamais oublier l’Holocauste, évidemment. On ne doit pas non plus occulter le fait qu’il était dirigé contre le peuple juif. Mais c’est précisément pour cette raison qu’on ne doit pas ignorer la conduite de ses victimes à l’égard des victimes secondaires de l’Holocauste des juifs : le peuple palestinien.

Sans l’Holocauste, les Palestiniens n’auraient pas perdu leur terre, ils ne seraient pas emprisonnés aujourd’hui dans un gigantesque camp de concentration à Gaza ni ne vivraient sous une occupation militaire brutale en Cisjordanie.

Aujourd’hui, quand ces invités répètent ad nauseam « Jamais plus », ils devraient honnêtement tourner les yeux vers le sud et l’est, à quelques kilomètres à peine de la salle du souvenir à Yad Vashem.

Il n’y a pas d’holocauste, là, uniquement de l’apartheid. Pas d’anéantissement, mais le recours à une brutalité systématique à l’encontre d’une nation. Pas d’Auschwitz, mais Gaza.

Comment peut-on ignorer cela en cette Journée internationale du souvenir de l’Holocauste ?


Publié le 23 janvier 2020 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...