Les évadés de Gilboa passent en jugement au moment même où les prisonniers palestiniens se lancent dans la désobéissance de masse

Dans le sillage de la retentissante évasion de la prison de Gilboa, les prisonniers palestiniens ont été confrontés à de sévères mesures punitives des Services carcéraux israéliens (IPS). Aujourd’hui, ils entament la riposte au moment même où les évadés de Gilboa passent en jugement.

 

Les évadés de Gilboa passent en jugement au moment même où les prisonniers palestiniens se lancent dans la désobéissance de masse. 16 février 2023. Des protestataires palestiniens à Khan Younis, Gaza, participent à une manifestation de soutien aux prisonniers politiques palestiniens. (Photo : Ashraf Amra / APA Images)

16 février 2023. Des protestataires palestiniens à Khan Younis, Gaza, participent à une manifestation de soutien aux prisonniers politiques palestiniens. (Photo : Ashraf Amra / APA Images)

 

Mariam Barghouti, 16 février 2023

En septembre 2021, six prisonniers politiques palestiniens organisaient avec succès l’évasion de prison la plus spectaculaire de l’histoire moderne palestinienne, en s’évadant de la tristement célèbre prison de Gilboa et en échappant aux autorités israéliennes avant d’être finalement repris après plusieurs jours de cavale. Populairement appelée l’opération « Tunnel de la liberté » (nafaq al-hurriyah en arabe), l’évasion est devenue un moment emblématique pour les Palestiniens.

Dix-sept mois plus tard, on retrouve les six de Gilboa en prison, au moment où ils doivent comparaître devant un tribunal israélien.

Mardi dernier, le 14 février, Zachariah Zubeidi, 47 ans, Munadel Nufeiat, 26 ans, Yacoub Qadri, 49 ans, Mahmoud Ardah, 46 ans, Mohammad Ardah (le cousin de Mahmoud), 39 ans, et Ayham Kamamji, 35 ans, comparaissaient donc devant le tribunal central de Nazareth pour être confrontés à leurs charges.

L’appel introduit par les six prisonniers et les cinq autres accusés de les avoir aidés et d’avoir facilité leur évasion a été rejeté par le tribunal.

« Le rejet est venu sous la forme d’un rapport de 50 pages »,

a expliqué à Mondoweiss Khaled Mahajneh, le principal avocat de l’affaire.

« Ce sur quoi les tribunaux tentent d’insister, c’est que non seulement l’appel a été rejeté, mais qu’en outre rien ne modifiera cette décision. La plupart du temps, les rejets sont notifiés sous forme de quelques lignes mais celui-ci a requis 50 pages »,

a-t-il ajouté.

« Nous nous attendions à ce que l’appel soit rejeté »,

a déclaré à Mondoweiss Amany Sarahneh, de la division de contrôle de la Société des prisonniers palestiniens.

« Clairement, il n’existe pas de précédent d’affaire palestinienne ayant reçu une réponse positive »,

a-t-elle expliqué.

 

« J’ai oublié les 29 années passés à l’intérieur de ces prisons dès l’instant où je suis sorti du tunnel »

Ardah et Qadri avaient été les premiers à être repris après leur courte période de liberté.

« Mahmoud m’a dit qu’il avait marché dans un champ plein de vaches »,

avait dit à Mondoweiss, depuis son domicile à Arraba (Jénine), Mohammad Ardah, le frère aîné de Mahmoud (l’architecte de l’évasion) et le cousin de Mohammad, un autre des évadés.

« Il s’est approché d’une vache et s’est mis à l’embrasser. Il a dit que, s’il avait eu un appareil, il aurait pris des photos avec elle. »

« Ils ont mangé des grenades et des cactus »,

avait poursuivi Mohammad dans le même souffle, en rapportant le récit de son frère sur ces cinq jours de liberté.

« Et ils ont également mangé une sorte d’olives qui poussent hors saison. »

« C’est une olive verte. Mahmoud m’a dit qu’il doit en avoir mangé un kilo »,

avait-il poursuivi, ne s’arrêtant que pour rire.

« Maintenant, il ne faut pas oublier que ce genre d’olives vous donnent des maux d’estomac et qu’aucun être humain ne peut les digérer. Mais, pour lui, elles étaient délicieuses. »

« Il était en prison depuis 29 ans »,

avait ajouté le frère de Mahmoud.

« En septembre 2021, quand il s’était échappé du tunnel et qu’il avait vu la liberté, qu’il avait vu le monde, la terre et les collines, il m’avait dit : ‘J’ai oublié les 29 années passées à l’intérieur de ces prisons dès l’instant où je suis sorti du tunnel.’ »

Mahmoud Ardah avait été repris en même temps que Yacoub Qadri au moment où un véhicule de la police israélienne s’était arrêté près d’eux et que les policiers leur avaient demandé leurs papiers. Les hommes avaient tenté de se faire passer pour des travailleurs venus de Cisjordanie, mais ils avaient été reconnus et arrêtés.

La première fois que Mahmoud a été arrêté, il avait 16 ans, et l’avait été de nouveau à l’âge de 21, en 1996. Ayant eu 48 ans en janvier dernier, il a donc passé 27 années consécutives dans les prisons israéliennes, moins cinq jours de liberté en 2021, par conséquent. Yacoub Qadri, 50 ans, est en prison en Israël depuis 20 ans, lui aussi moins les cinq jours qui ont suivi la sortie du Tunnel de la liberté.

Ce Tunnel de la liberté constituait la troisième tentative d’évasion de Mahmoud. Il avait déjà essayé de s’évader à deux reprises en 2014, mais chaque fois sans succès.

« Les hommes ont savouré ces cinq jours »,

a déclaré son frère.

« Ces cinq jours ont été fêtés comme s’ils avaient valu 50 années »,

a-t-il ajouté.

Pour Nufeiat et Kamamji, leurs heures de liberté s’étaient poursuivies jusqu’au moment où ils avaient atteint le camp de réfugiés de Jénine.

« C’est là que les deux hommes sont restés trois jours »,

avait expliqué fièrement à Mondoweiss un combattant de la résistance de la Brigade de Jénine, Abu Mujahed, dans une interview réalisée en octobre dernier, dans la maison même où les hommes recherchés s’étaient réfugiés.

 

La répression contre les prisonniers après leur capture

Mahmoud Ardah et Yaqoub Qadri avaient été repris le 10 septembre, alors que Zubeidi et Mohammad Ardah, le cousin de Mahmoud, l’avaient été le 11. Kamamji et Nufeiat avaient été les derniers à être repris le 19 septembre dans le camp de réfugiés de Jénine : Ils s’étaient rendus afin de protéger leurs communautés des mesures punitives de châtiment collectif d’Israël.

Depuis leur capture, les six détenus ont été gardés en confinement solitaire, sous le prétexte qu’ils constituaient « une menace pour la sécurité nationale israélienne », explique Khaled Mahajneh. De plus, les six hommes n’ont cessé d’être transférés d’une prison à l’autre toutes les quelques semaines, et ce, en « bosta », le fameux bus qui sert également de chambre de torture pour les prisonniers palestiniens.

L’arrestation de Nufeiat avant son évasion avait eu lieu le 11 février 2020 et il est actuellement détenu dans une prison israélienne sans accusation ni procès. De même, Zachariah Zubeidi, arrêté le 27 février 2019 après avoir été relâché suite à un accord d’amnistie ficelé par l’Autorité palestinienne (AP), est aujourd’hui détenu lui aussi sans accusation ni procès.

« Aujourd’hui, et surtout après le Tunnel de la liberté, Zachariah est devenu un héros politique »,

a déclaré Abu Mujahed alors qu’il était assis dans la pièce même qui avait accueilli Nufeiat et Kamamji.

« Quand on considère tout particulièrement que Zubeidi a été arrêté après avoir bénéficié d’une amnistie suite aux accords, cela montre bien que la diplomatie n’a rien d’efficace »,

a-t-il poursuivi.

Au même moment que la comparution des six hommes au tribunal ce mardi, le mouvement des prisonniers a lancé une campagne de désobéissance civile de masse contre le durcissement accru de leurs conditions de vie par les autorités israéliennes.

« Le dernier message de Mahmoud disait que tout le soutien international devrait être adapté de façon à se focaliser sur la cause des prisonniers »,

a expliqué Mohammad Ardah à Mondoweiss.

« Transmettez leur histoire au monde entier afin de mobiliser pour que prennent fin les crimes perpétrés contre eux par Israël. »

Selon la Société du prisonnier palestinien, il y a 4 780 prisonniers palestiniens répartis dans 23 prisons israéliennes. Certains des détenus, dont des enfants, ont été illégalement transférés de Cisjordanie vers des prisons situées au-delà de la Ligne verte, ce qui constitue une violation des lois internationales.

L’histoire des six évadés concerne moins l’évasion que la dynamique de l’événement et la motivation qui a poussé les hommes vers la liberté.

« La question des prisonniers est la plus importante »,

a expliqué Mohammad Ardah.

 

Des sentences punitives

Non seulement les six hommes ont été condamnés à un supplément de cinq ans à leur sentence initiale, mais ceux qui les avaient aidés et encouragés ont vu s’ajouter eux aussi quatre années à leur propre sentence.

La plupart des six sont condamnés à la prison à vie, si bien que cinq ans de plus à une sentence de 99 ans ne représente rien. Pour ceux qui ont été condamnés pour leur complicité, un rabiot de quatre ans constitue au contraire une réelle vengeance.

« Ils ont mis sur un même pied les évadés et leurs associés »,

a déclaré Khaled Mahajneh.

« Pour avoir aidé et encouragé des prisonniers de guerre, ils auraient dû donner un strict minimum aux autres : pas plus de la moitié de la sentence infligée aux évadés, au lieu d’une sentence quasi égale. »

En sa qualité d’avocat ayant des années d’expérience avec le système des tribunaux militaires israéliens et les procès des prisonniers politiques palestiniens, Khaled Mahajneh qualifie ces sentences additionnelles de punitives,

« censées s’ajouter à la série de punitions quotidiennes infligées aux prisonniers à l’intérieur des murs de leur prison ».

En reconnaissant l’escalade permanente de l’agression israélienne et des arrestations massives de Palestiniens, Khaled Mahajneh a exprimé ses inquiétudes quant à sa propre efficacité en tant qu’avocat.

« Parfois, je marche à l’intérieur du tribunal et je sens que, quoi que je fasse, je ne puis être d’aucun secours pour mes clients »,

a-t-il confessé à Mondoweiss.

« Ces tribunaux ne se soucient aucunement des procédures juridiques. Ils vont jusqu’à tenir des audiences secrètes avec des preuves secrètes et ni l’avocat ni l’accusé n’ont le droit d’être présents. »

« Les prisons sont bondées, les salles d’audience sont bondées et nous fonçons vers des temps horriblement pénibles »,

met en garde Khaled Mahajneh.

 

La désobéissance massive dans les prisons israéliennes

Après avoir été repris, Yacoub Qadri avait crié dans la salle d’audience :

Ce que nous réclamons, c’est la liberté ! Nous vivons dans des tombes ! »

Pour les prisonniers palestiniens, les conditions qu’ils doivent endurer dans les prisons israéliennes ressemblent à une sorte de mort.

Mardi après-midi, en pleine escalade de la répression envers les prisonniers palestiniens, le Comité d’urgence des prisonniers, constitué en 2021 suite à la répression israélienne contre les prisonniers dans le sillage du Tunnel de la liberté, a sorti une déclaration condamnant le tout dernier appel du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir à refuser aux prisonniers l’accès à l’eau en limitant son écoulement à une heure par jour d’usage collectif.

La déclaration confirmait la désobéissance civile au vu de ces mesures punitives.

« À ceux qui ont décidé de nous combattre avec le pain et l’eau, nous répondrons par une bataille de la liberté et du martyre »,

disait la déclaration.

Ce matin, les autorités carcérales israéliennes avaient coupé l’eau chaude des prisonniers à la prison de Nafha, dans le sud de la Palestine, dans une région désertique où la température nocturne peut atteindre des moyennes situées entre 0 et – 15 °C la nuit.

Depuis des mois, les Services carcéraux israéliens (IPS) renforcent de nouvelles mesures punitives à l’encontre des prisonniers palestiniens.

Dans un même temps, les nouvelles arrestations continuent d’augmenter. Au cours des seuls 48 derniers jours, plus de 780 Palestiniens ont été arrêtés, estime la Société des prisonniers palestiniens.

« Chaque jour, vous avez 50 affaires qui passent devant les tribunaux militaires »,

a expliqué Khaled Mahajneh à Mondoweiss.

« L’absurdité des accusations vous montre également les possibles escalades qui se poursuivront à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons »,

a-t-il ajouté.

Selon Khaled Mahajneh, certaines des accusations portées contre des Palestiniens, et même contre des enfants d’à peine 13 ans que l’on juge dans des tribunaux militaires, reprochent aux accusés d’avoir donné des interviews à des médias israéliens célébrant la résistance ou exprimant leur soutien au camp de réfugiés de Jénine.

« Des jours sombres nous attendent »,

a mis en garde Amany Sarahneh.

« Tous les développements auxquels nous assistons sont intrinsèquement politiques »,

a-t-elle dit, faisant référence à la connexion entre la répression et le climat politique en vigueur actuellement en Israël, surtout en ce qui concerne la montée de la droite fasciste et l’actuelle campagne israélienne contre la résistance palestinienne en Cisjordanie et à Jérusalem.

« Nous sommes dans une phase transformative. Elle est liée à un gouvernement sans précédent, qui fait preuve d’un racisme extrême et d’incitations sans précédent contre les prisonniers »,

a-t-elle poursuivi.

Pour les Palestiniens confrontés à la brutalité des décideurs politiques israéliens, ces mesures sont ressenties quotidiennement.

« Voyez la toute dernière mesure, qui est fondamentalement liée à une ressource extrêmement importante pour toute la population humaine, l’eau ! »,

dit Amany Sarahneh.

« Ils enlèvent l’eau ! »

L’actuelle vague de désobéissance des prisonniers a été lancée pour entraver les Services carcéraux israéliens, mais elle a également un but symbolique :

« Insister sur le fait que la détermination à l’intérieur des prisons est plus forte que toute mesure que le gouvernement israélien tente d’imposer »,

conclut Amany Sarahneh.

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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine. 

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Publié le 16 février 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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