Résister au “deal” de Trump comme je l’ai appris de “Sitti Tamam”

Majed Abusalama, 10 mars 2020

La grand-mère de Majed Abusalama, Sitti Tamam, face à des soldats israéliens qui veulent imposer un couvre-feu à Gaza. (Photo : Al-Ayyam)

La grand-mère de Majed Abusalama, Sitti Tamam, face à des soldats israéliens qui veulent imposer un couvre-feu à Gaza. (Photo : Al-Ayyam)

Quand il est question du « Deal du siècle » de Trump, toute ma famille dans la bande de Gaza en état de siège se sent décontenancée, mais certes pas surprise.

Survivants de l’apartheid et des blocus imposés par Israël, ils ont appris à se concentrer sur une chose : la libération de la Palestine.

Les Palestiniens ont appris très tôt comment les puissances coloniales n’avaient et n’ont toujours pas l’intention de soutenir notre libération.

La seule chose qu’elles veulent, c’est nous affaiblir, détruire notre capacité à vouloir lutter et anéantir nos espoirs de liberté et d’égalité.

Trump et ses alliés cherchent à se servir de notre extrême vulnérabilité comme d’une arme en vue de tenter de nous empêcher de revendiquer une juste solution.

Pendant ce temps, ils observent le sumud et la résistance des Palestiniens – dont le mouvement BDS est l’un des plus grands exemples – croître face aux pratiques d’apartheid d’Israël.

Le jour de l’annonce du plan, j’ai appelé mes parents, qui m’ont dit :

« Aussi longtemps que toi et tes frères et sœurs serez en vie, le rêve de la Palestine se poursuivra. »

Et mon père a ajouté :

« Nous sommes prêts pour un seul État et c’est ce que nous préconisons depuis des générations ; c’est là la plus grande crainte des sionistes. »

Ma mère, Halima, poursuit en disant :

« Ils s’imaginent que les Palestiniens oublieront, mais ils n’oublieront jamais. »

Cette façon de parler de l’actuelle lutte de libération est très présente dans la vie quotidienne de la Palestine depuis un siècle au moins, et particulièrement à Gaza, malgré toute la misère et les incessantes agressions subies.

Cela se remarque entre autres dans le refus des Palestiniens de se soumettre aux plans de paix normalisant l’épuration ethnique de la Palestine.

Tout ce qui minimise la lutte palestinienne et qui comprend moins que l’éventail complet des droits humains devrait être rejeté par tout État faisant preuve de moralité.

Les accords d’Oslo ont été la pire des trahisons, sur ce plan. Les capitalistes se sont vu proposer des promesses néocoloniales et nous continuons d’en voir les résultats sur le terrain avec une Autorité néolibérale complètement corrompue sans aucun pouvoir d’action si ce n’est celui d’administrer la sécurité en vue de protéger des pratiques coloniales d’implantation.

Les mêmes plans continuent à être introduits aujourd’hui, mais sans même la présence des Palestiniens à table, cette fois ; des plans qui ne feront que délégitimer les aspirations palestiniennes et les appels collectifs fondamentaux à l’autodétermination et au droit au retour.

Pourtant, en dépit de la vulnérabilité des Palestiniens en Palestine colonisée et dans la diaspora, nous continuons à élever la voix et à défier l’apartheid israélien dans tous les espaces, en rattachant la lutte palestinienne à toute lutte anticapitaliste, anticoloniale et anti-impérialiste dans le monde entier.

La réponse de mes parents, de mes grands-parents et de chaque Palestinien au deal de Trump, n’est rien de moins qu’une intensification de la résistance en faveur de nos droits légitimes et de notre droit au retour, ainsi qu’une dénonciation de la complicité de la communauté internationale dans l’apartheid israélien.

En de tels moments, me revient le souvenir de mes grands-parents. Leur esprit m’observe et me dit :

« Résiste, Majed, résiste, il n’y a qu’une seule voie. »

Mes parents et mes grands-parents ont toujours eu la même réponse, quelle que soit la violence sous laquelle ils ont vécu ; ils ont réclamé plus de résistance populaire encore tant que la Palestine ne serait pas décolonisée.

Ma grand-mère, Taman, est décédée il y a treize ans, quand l’armée israélienne a fait irruption près de la maison de mon oncle, chez qui elle vivait.

Elle s’était précipitée au bas de l’escalier et avait creusé un trou derrière chez elle pour y dissimuler une chose : les documents officiels prouvant que notre famille possédait bel et bien nos terres et notre propriété dans un village du nom de Beit Jirja, et ce, avant la Nakba de 1948.

Ce sont les documents officiels que nous – réfugiés à Gaza et dans la diaspora – considérons comme le seul et véritable deal du siècle.

Ce serait un deal qui accorderait le droit au retour aux millions de réfugiés du monde entier qui résistent depuis des décennies et rêvent de concrétiser cette reconnaissance qui leur est garantie par les lois internationales.

Ma grand-mère Taman a fait une crise cardiaque le jour même où elle est allée dissimuler ces documents. Je crois que c’est la peur panique et la crainte des bombardements massifs de l’armée israélienne qui l’ont tuée.

Elle avait quatre-vingt-cinq ans au moment de sa mort. À l’époque, elle était bien plus âgée que le pays d’Israël, comme l’étaient aussi de nombreux survivants de l’épuration ethnique de notre peuple par les sionistes, qui a eu lieu durant la Nakba et par la suite.

Ma grand-mère Taman – ou, comme on dit en arabe, « Sitti Taman » – m’a enseigné une chose :

« Ne jamais se fier aux sionistes. »

Elle a toujours fait allusion à ces gens de la façon qui convenait, et elle le pensait sans anbiguïté.

« Ils nous trahiront toujours et voudront toujours nos terres »,

disait-elle et, de ce fait, notre seule option était de résister au pouvoir colonial sioniste du mieux que nous pouvions.

Sitti Tamam parlait toujours de Jaffa, Haïfa, Nazareth, Safad, Akku (Acre) et de la montagne d’Alkarmel (le mont Carmel) comme de lieux situés en Palestine.

Elle n’avait guère été à l’école mais elle connaissait bien la Palestine. Elle comprenait la politique coloniale sioniste et elle savait qu’elle était une réfugiée et qu’elle devait résister aux colonisateurs.

Elle était bien consciente de son identité et la célébrait quotidiennement au moyen de ses vêtements brodés.

Sitti Taman ne s’appropriait pas l’identité d’autrui, sur le plan des vêtements et de la nourriture.

Elle craignait d’utiliser un vêtement, même du village voisin, parce qu’elle était fière de l’héritage de son propre village et qu’elle avait coutume de respecter les vêtements et la cuisine des autres villages, même si elle se sentait très proche d’eux.

Jusqu’à sa mort, Sitti Tamam a été un être humain d’une grande bonté, gentil et attentionné qui aimait la divezrsité de notre héritage palestinien, du fleuve à la mer.

Sitti Tamam n’a jamais accepté la solution à deux États, disant toujours que ceux qui céderaient en acceptant de récupérer 22 pour 100 de nos terres palestiniennes étaient des traîtres.

Elle disait toujours que les Juifs israéliens étaient des lâches parce qu’ils acceptaient d’être dirigés par des sionistes.

Sitti parlait toujours du village voisin du nôtre où vivait un fermier juif qui était l’ami de tous dans notre village et cela se passait sans le moindre problème.

Mais ce sont les sionistes qui ont provoqué les problèmes dans la Palestine historique.

Je pense que Sitti Tamam aurait été une grande partisane de la solution à un seul État : elle disait toujours que les sionistes étaient les fauteurs de troubles.

Je ne doute pas un seul instant que Sitti Tamam aurait imaginé un meilleur deal que celui de Donald Trump.

Sitti Tamam avait grandi en résistant aux colonisateurs britanniques et sionistes.

Elle bravait tous les couvre-feux sionistes dans notre camp et il lui arrivait même de faire les gros titres de la presse pour avoir défié les militaires.

Elle assistait à chaque manifestation de solidarité avec les prisonniers palestiniens et disaient d’eux qu’ils étaient ses fils et ses filles.

Elle consacrait son existence à notre communauté, telle une femme compatissante et passionnée qui ne tournait pas autour du pot pour exprimer ses revendications.

Elle disait toujours :

« Je ne connais pas Lénine ou Karl Marx, mais je sais que l’injustice et l’oppresion doivent prendre fin. »

Elle insistait pour que ses six fils et ses deux filles résistent au colonialisme sioniste et participent à des manifestations politiques tant qu’ils ne seraient pas tous emprisonnés en raison de leur lutte politique contre le sionisme et le colonialisme d’implantation.

Le dernier de ses enfants à avoir été en prison était mon père, Ismael, emprisonné pendant dix-huit ans en sa qualité de dirigeant du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine). C’était une fière grand-mère palestinienne.

Elle n’avait pas appris la politique à Princeton ou à Georgetown, mais elle savait où se trouvait la vérité et elle ne plaidait qu’en faveur de cette même vérité. Je crois que sa vérité à elle devrait être l’officiel « Deal du siècle ».

L’esprit de ma grand-mère a été planté comme des semences dans des dizaines d’enfants qui n’oublieront jamais la Palestine que nous avons apprise dans les histoire de nos grands-parents et autres personnes âgées. Ils nous ont enseigné cette vérité même que bien des Occidentaux et Israéliens refusent d’entendre.

Pourrons-nous bientôt nous mettre à travailler au profit de l’égalité absolue en Palestine / Israël ?

Ne sommes-nous pas suffisamment courageux et révolutionnaires pour être des rêveurs radicaux ?

Je crois que nous pouvons y arriver. Ce sera cette fois au tour des dirigeants d’accepter le deal de la masse, le deal du peuple.

La vidéo qui suit reprend une interview de Sitti Tamam, extraite du film And Still They Dance (Et ils dansent toujours) :

 

Majed Abusalama

Majed Abusalama est né et a été élevé en tant que réfugié (et fier de l’être) du camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza.

Majed fait partie de l’équipe du site Internet We Are Not Numbers (Nous ne sommes pas des numéros), et il est cofondateur de la Palestine Speaks Coalition (Coalition Paroles de Palestine) en Allemagne et du site internet hébreu : www.bordergone.com. On peut le suivre sur Twitter : @MajedAbusalama.

Majed Abusalam est activiste BDS et était accusé, avec Ronnie Barkan, dans le procès des « trois de Humboldt ».
A ce propos, lisez ici :
Le discours de Ronnie Barkan dans un tribunal de Berlin : «Je suis ici en accusateur, pas en accusé.»

 

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