Des défenseurs des droits de l’homme défient le Parlement allemand en justice
Trois défenseurs des droits de l’homme ont décidé de contester en justice une résolution du Bundestag (le Parlement allemand) condamnant BDS – le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions en faveur des droits palestiniens.
Adri Nieuwhof, 5 octobre 2020
Les partisans de BDS intentent un procès au Parlement allemand pour avoir violé leurs droits à la liberté d’expression et à la liberté de rassemblement.
S’appuyant sur la très contestée définition de l’antisémitisme établie par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) et promue par Israël et son lobby, la résolution adoptée par le Bundestag en mai 2019 diffame l’activisme BDS en le taxant d’antisémitisme.
La définition de l’IHRA associe la critique à l’encontre des mesures anti-palestiniennes d’Israël et de l’idéologie étatique sioniste, d’une part, au fanatisme antijuif d’autre part.
La résolution du Bundestag compare sans fondement aucun les appels à ne pas acheter des marchandises israéliennes au slogan nazi, « N’achetez pas chez les Juifs ».
Elle institue aussi en valeur le système raciste de l’apartheid israélien, lorsqu’elle déclare que toute personne
« mettant en question le droit de l’État juif et démocratique d’Israël à l’existence ou le droit d’Israël de se défendre sera confrontée à une résistance résolue de notre part ».
La résolution prétend que
« l’argumentation, les normes et méthodes du mouvement BDS sont antisémites ».
En fait, les revendications du mouvement BDS afin qu’Israël respecte les droits palestiniens sont fermement enracinées dans la législation internationale.
La résolution du Bundestag invite instamment aussi les institutions et autorités publiques allemandes à refuser de financer et d’héberger les organisations de la société civile qui soutiennent le mouvement BDS.
Une intensification de la répression
Bien que non contraignante, la résolution a incité les autorités de Francfort-sur-le-Main, Oldenburg, Munich et Berlin à refuser l’espace public aux activistes désireux d’organiser des événements.
Mais l’avocat des droits humains Ahmed Abed a contribué a une action juridique contre ces villes, action qui, dans la plupart des cas, s’est soldée par un rejet des décisions.
Aujourd’hui, Abed assiste les trois plaignants dans leur action contre la résolution même du Bundestag.
Ces trois plaignants sont Judith Bernstein, une activiste juive allemande née à Jérusalem, Amir Ali, citoyen palestino-allemand dont la famille a été expulsée de Haïfa durant la Nakba, en 1948, et Christophe Glanz, un activiste de l’antiracisme et des droits palestiniens.
Les trois espèrent obtenir le soutien du public pour leur initiative, qui comprend une demande pressante aux gens de diffuser les informations concernant le procès, voire de contribuer à réunir les fonds nécessaires pour couvrir les frais juridiques.
En 2017, Judith Bernstein et son mari Rainer Bernstein ont été récompensés par l’Union humaniste pour leur projet « Stepping Stones » (tremplins, étapes intermédiaires) qui commémore les victimes de l’Holocauste juif en plaçant des marques à l’extérieur des maisons de Munich où elles avaient vécu avant que le gouvernement allemand ne les déporte et ne les assassine.
Les trois sont les auteurs des déclarations sur vidéo que vous trouverez en bas de l’article.
Après l’adoption de la résolution anti-BDS, l’Allemagne a assisté à une intensification des campagnes de calomnie et de la répression contre les écrivains, musiciens, journalistes et intellectuels qui ont exprimé leur solidarité avec les Palestiniens ou leur soutien à la liberté d’expression.
Sous la pression du lobby israélien, le directeur du Musée juif de Berlin a été forcé de démissionnier de son poste après un tweet du musée à propos des 240 intellectuels juifs et israéliens qui avaient signé une pétition s’opposant à la résolution anti-BDS du Parlement allemand.
#BT3P
Le procès intenté devant le tribunal administratif de Berlin cherche à faire annuler cette résolution anti-BDS.
La pétition affirme que l’Allemagne a le devoir de garantir la liberté d’expression pour les défenseurs des droits de l’homme.
Les trois activistes à l’origine de la pétition espèrent que leur action contribuera à déclencher un changement fondamental dans le discours allemand sur la Palestine et Israël.
Ils utilisent le hashtag #BT3P dans les tweets concernant leur campagne, qu’ils ont appelée Bundestag 3 pour la Palestine.
Support the #BT3P who are taking the German Bundestag to court about their attempt to suppress free speech by outlawing support for #BDS and ordering all public bodies to withdraw public space and finance for Palestinian human rights https://t.co/mvncLFNc6g German only for now
— JewishVoiceForLabour (@JVoiceLabour) September 30, 2020
Ils affirment que la résolution anti-BDS viole leurs droits humains fondamentaux à la liberté d’expression et à la liberté de rassemblement, qui sont protégées sous les lois allemandes et européennes.
Ils citent également la décision historique de la Cour européenne des droits de l’homme, en juin dernier, selon laquelle appeler au boycott des marchandises israéliennes constituait un exercice légitime du droit à la liberté d’expression.
Ils font également remarquer que la résolution constitue une expression du racisme anti-palestinien qui sévit en Allemagne.
Le Centre européen de soutien juridique et les professeurs de droit international Eric David, Xavier Dupré de Boulois, John Reynolds, ainsi que l’ancien rapporteur spécial de l’ONU, Richard Falk, soutiennent l’action juridique.
Selon leur avis de spécialistes, ils prétendent que la résolution anti-BDS est incompatible avec les normes européennes et internationales des droits hum
Le rôle du lobby pro-israélien
Avant que le Bundestag n’adopte sa résolution anti-BDS, des douzaines d’intellectuels juifs et israéliens avaient mis en garde le Parlement allemand en lui demandant de ne pas taxer les partisans des droits humains palestiniens d’antisémitisme.
Ils ont déclaré que les démarches visant à étiqueter BDS comme antisémite étaient
« promues par le gouvernement israélien le plus à l’extrême droite de l’histoire »
et qu’elles s’inscrivaient dans le cadre d’un effort en vue de
« délégitimer tout discours sur les droits palestiniens et toute solidarité internationale avec les Palestiniens ».
Cette affirmation a été validée par un rapport d’enquête sur les activités des groupes de pression israéliens, rapport publié par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.
Der Spiegel a dénoncé l’influence de deux groupes de pression israéliens sur l’adoption de la résolution anti-BDS.
Le commissaire du gouvernement allemand sur l’antisémitisme, Felix Klein, a toutefois tenté de réduire à néant les conclusions de Der Spiegel, accusant les journalistes d’utiliser des
« clichés antisémites comme celui de la toute-puissance conspiration juive au niveau mondial ».
La politique de l’Union européenne
La responsable de l’Union européenne pour l’antisémitisme, Katharina von Schnurbein, ne cesse de promouvoir la définition de l’IHRA.
Von Schnurbein travaille main dans la main avec des groupes de pression israéliens afin de faire la promotion de leur agenda et d’utiliser le combat contre l’antisémitisme comme une couverture des plus pratiques pour étouffer la solidarité avec les Palestiniens.
Avec le soutien de Parlements, gouvernements et autorités comme ceux de l’UE, la définition de l’IHRA est utilisée pour diffamer les activistes des pays européens et de l’Amérique du Nord à l’aide de fausses accusations d’antisémitisme.
La victoire dans un procès contre la résolution anti-BDS du Parlement allemand adresserait un message très clair aux gouvernements européens et à l’UE même : Cessez de censurer et de diffamer les gens qui critiquent Israël et ceux qui défendent les droits de l’homme.
Publié le 5 octobre2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal