La police israélienne est bien décidée à intensifier la violence à Jérusalem

De Sheikh Jarrah à la porte de Damas et au site d’Al-Aqsa, la police a lancé et intensifié une campagne de répression contre les Palestiniens.

Jérusalem, 8 mai 2021. Des manifestants palestiniens s’enfuient après que les forces sécuritaires israéliennes ont lancé des gaz lacrymogènes à l’extérieur de la porte de Damas. (Photo : Oren Ziv)

Jérusalem, 8 mai 2021. Des manifestants palestiniens s’enfuient après que les forces sécuritaires israéliennes ont lancé des gaz lacrymogènes à l’extérieur de la porte de Damas. (Photo : Oren Ziv)

Oren Ziv, 8 mai 2021

Quatre jours durant, la semaine dernière, la police israélienne a dispersé les jeunes Palestiniens venus à Sheikh Jarrah pour exprimer leur soutien aux familles confrontées à l’expulsion de force par les colons dans ce quartier de Jérusalem-Est. La police a qualifié ces veilles nocturnes de « heurts » et d’« émeutes » alors qu’en réalité, c’est la police même qui a recouru à la violence.

Ces trois derniers jours, les Palestiniens de Sheikh Jarrah se sont mis activement à faire face à la police et aux colons, entre autres, en boutant le feu à la voiture d’un colon. Les Palestiniens du quartier protestent contre l’expulsion imminente de quatre familles de leurs maisons et de leur remplacement par des colons israéliens. Exactement comme lorsque la police a tenté d’interdire aux Palestiniens de se rassembler sur la place de la porte de Damas, dans la Vieille Ville, durant la première moitié du Ramadan, les policiers à Sheikh Jarrah ont recouru inutilement à la force, ce qui s’est traduit par plus de violence encore. Quand les Palestiniens ont fait face à la police, cette dernière s’est servie de ce prétexte pour intensifier encore la violence.

Vendredi, lors de la manifestation hebdomadaire à Sheikh Jarrah, des policiers ont lancé des grenades assourdissantes sur une foule composée presque entièrement d’activistes de gauche israéliens. Plus tard, dans la soirée, des Palestiniens venus d’Umm al-Fahem, dans le nord d’Israël, ont été empêchés par la police d’entrer dans le quartier et ont été forcés d’organiser leur repas de l’Iftar – la célébration nocturne qui rompt le jeune du Ramadan – sur les trottoirs.

Brusquement, la rue Uthman ibn Affan, à Sheikh Jarrah, s’est mise à ressembler à la rue Shuhada isolée à Hébron, avec ses nombreux blocages routiers, des centaines de policiers armés, de la cavalerie, des officiers commandants allant en tous sens avec des cartes et des colons qui entrent et sortent plutôt librement. Pendant ce temps, les Palestiniens et les activistes de gauche se voyaient interdire l’entrée à Sheikh Jarrah s’ils ne disposaient pas pour ce faire d’une justification légale.  

7 mai 2021. Des Palestiniens organisent leur repas nocturne de l’Iftqar, qui rompt le jeûne du Ramadan, à l’extérieur d’une maison palestinienne précédemment reprise par des colons israéliens dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. L’Iftar faisait partie d’une veille nocturne organisée dans le quartier par les Palestiniens pour protester contre l’expulsion prévue de quatre autres familles palestiniennes de leurs maisons dans le quartier. (Photo : Oren Ziv)

7 mai 2021. Des Palestiniens organisent leur repas nocturne de l’Iftqar, qui rompt le jeûne du Ramadan, à l’extérieur d’une maison palestinienne précédemment reprise par des colons israéliens dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. L’Iftar faisait partie d’une veille nocturne organisée dans le quartier par les Palestiniens pour protester contre l’expulsion prévue de quatre autres familles palestiniennes de leurs maisons dans le quartier. (Photo : Oren Ziv)

 

7 mai 2021. Des colons israéliens célèbrent le sabbat sous la protection de policiers israéliens armés, dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. (Photo : Oren Ziv)

7 mai 2021. Des colons israéliens célèbrent le sabbat sous la protection de policiers israéliens armés, dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. (Photo : Oren Ziv)

Alors que les familles palestiniennes menacées d’expulsion prenaient leur repas de l’Iftar en face de la maison de la famille Ghawi – reprise par les colons en 2009 – des colons à l’extérieur de la maison dansaient et chantaient des chants du sabbat sous la protection de dizaines de policiers armés.

La nuit d’avant, un colon avait aspergé de spray au poivre des Palestiniens en rupture de jeûne juste en face de la maison de la famille Ghawi. L’incident s’était rapidement mué en une bagarre générale, avec des Palestiniens et des colons se balançant mutuellement des chaises et d’autres objets leur tombant sous la main, dans le même temps que la police opérait un repli. Non sans surprise, le lendemain, Salah Diab, l’un des dirigeants de la lutte contre les colons dans le quartier, était arrêté pour « agression à motivation nationaliste ». Pas un seul colon impliqué dans la mêlée n’a été retenu en garde à vue.  

Le même soir, j’ai filmé le maire adjoint de Jérusalem, Aryeh King, racontant que c’était une honte que le fameux activiste palestinien Muhammed Abu Hummus — venu à Sheikh Jarrah pour témoigner sa solidarité avec les résidents – n’ait pas pris une balle dans la tête. Comme l’a reporté la journaliste Orly Noy, la Municipalité de Jérusalem a décidé de traiter les remarques de King adressées à un résident de la ville dont il est responsable, comme une « question personnelle ».

Voilà le contexte de ce qui s’est passé vendredi soir sur le site d’Al-Aqsa, lorsque les forces de sécurité israéliennes ont blessé plus de 200 Palestiniens, dont 14, dit-on, ont été touchés au visage ou à la tête par des « armes de contrôle des foules ». Les médias israéliens ont choisi de mettre en exergue les policiers légèrement blessés lors de ces prétendues « émeutes », alors que le commentateur israélien Ron Ben-Yishai écrivait que la police avait agi « de façon raisonnable » et sans la moindre préparation préalable, ajoutant : « Il est possible qu’il n’y ait pas eu d’autre choix que de tirer à balles réelles sur les manifestants. » Pourtant, les témoignages et les prises de vue racontent une tout autre histoire.

Selon un Palestinien présent à Al-Aqsa, hier, et qui a demandé de rester anonyme, la violence a commencé après qu’un policier a jeté une grenade assourdissante vers des fidèles massés à la porte de la Chaîne, près de l’entrée du site. « Après cela, les Palestiniens se sont mis à lancer des pierres vers les policiers », a déclaré le Palestinien,

« mais, au lieu de mettre un terme à l’incident, des centaines de policiers ont fait irruption sur le site, ce qui a dégénéré en affrontements. C’était réellement dangereux, à l’intérieur, la police tirait sans discrimination. On avait le sentiment qu’elle voulait envenimer la situation. »

7 mai 2021. La police antiémeute israélienne a envahi le site de la mosquée Al-Aqsa, dans la Vieille Ville de Jérusalem. (Photo : Jamal Awad / Flash90)

Un journaliste palestinien présent à l’intérieur du périmètre a expliqué sur la police tirait directement sur les journalistes, qu’elle attaquait les manifestants et qu’elle avait lancé des grenades assourdissantes à l’intérieur d’une clinique où l’on soignait les blessés.

La décision de la police d’intensifier la violence montre bien que l’escalade l’intéresse, particulièrement dans les heures précédant immédiatement la Laylat al-Qadr (la nuit du destin) de la soirée de samedi, la nuit la plus sainte de l’islam, ainsi que la marche nationaliste annuelle dans la Vieille Ville, qui a lieu lors de la Journée de Jérusalem, et sans oublier l’audience de la Cour suprême concernant l’expulsion des familles de leurs maisons à Sheikh Jarrah — ces deux événements doivent avoir lieu lundi.

Samedi soir, la police a fait en sorte qu’il soit malaisé pour les fidèles d’atteindre Al-Aqsa, en bloquant des tronçons entiers de la Route 1, la route principale menant à Jérusalem à partir du centre d’Israël, de même que le check-point Macabbim sur la Route 443, en Cisjordanie, et ce, afin d’empêcher des centaines de citoyens palestiniens d’Israël d’aller prier sur le site. Les tentatives en vue d’empêcher les citoyens palestiniens d’atteindre Jérusalem ont été vaines, toutefois, puisque des centaines d’entre eux ont laissé leurs voitures sur place et ont fait route à pied vers Jérusalem. Sur la Route 443, des résidents palestiniens de Cisjordanie ont procuré aux marcheurs de l’eau et de la nourriture afin qu’ils puissent rompre leur jeûne du Ramadan.

Pendant ce temps, le samedi soir, la police avait complètement bloqué les accès vers Sheikh Jarrah, permettant toutefois aux colons de quitter le quartier sous accompagnement policier.

8 mai 2021. Une Palestinienne à pied sur la Route 443 en Cisjordanie. Elle se rend à Jérusalem pour les prières du ramadan après que la police israélienne a bloqué le trafic vers la ville afin d’empêcher plus de Palestiniens encore d’y entrer. (Photo : Oren Ziv)

8 mai 2021. Une Palestinienne à pied sur la Route 443 en Cisjordanie. Elle se rend à Jérusalem pour les prières du ramadan après que la police israélienne a bloqué le trafic vers la ville afin d’empêcher plus de Palestiniens encore d’y entrer. (Photo : Oren Ziv)

Si on peut tirer une leçon du succès des jeunes à la porte de Damas le mois dernier, quand ils sont parvenus à forcer la police à annuler une interdiction de rassemblement sur la place, c’est bien qu’Israël va connaître des temps difficiles, en réprimant par la force les protestations des Palestiniens. Israël l’a déjà appris selon la méthode dure quand il a essayé d’installer de détecteurs de métaux à l’entrée du site Al-Aqsa et qu’il a été aussitôt confronté, dès 2017, à une vague de désobéissance civile palestinienne.

Porte de Damas, vendredi soir, la police a commencé par disperser la foule – y compris les familles et les enfants qui quittaient les prières du soir à Al-Aqsa – en aspergeant les fidèles de « skunk », un liquide particulièrement nauséabond, et en lançant des grenades assourdissantes en direction des enfants.

Porte de Damas, vendredi soir, la police a commencé par disperser la foule – y compris les familles et les enfants qui quittaient les prières du soir à Al-Aqsa – en aspergeant les fidèles de « skunk », un liquide particulièrement nauséabond, et en lançant des grenades assourdissantes en direction des enfants.

Porte de Damas, vendredi soir, la police a commencé par disperser la foule – y compris les familles et les enfants qui quittaient les prières du soir à Al-Aqsa – en aspergeant les fidèles de « skunk », un liquide particulièrement nauséabond, et en lançant des grenades assourdissantes en direction des enfants.

Des policiers israéliens faisant partie d’une unité SWAT d’élite a ratissé les rues pour intimider la foule. Ils poussaient les gens sans avoir été provoqués, les menaçaient de leurs armes et, dans un cas, ils ont même pris les clés d’un véhicule qui passait dans une rue toute proche et les ont balancées dans la nature. Une autopompe de la police a aspergé d’eau les boutiques et étalages palestiniens en face de la porte de Damas. Au moment de publier le présent article, 64 Palestiniens ont été blessés par les forces sécuritaires israéliennes, dont de nombreux par des balles enrobées de caoutchouc et des grenades assourdissantes.

8 mai 2021. Des manifestants palestiniens s’enfuient quand les forces sécuritaires israéliennes lancent des gaz lacrymogènes à l’extérieur de la porte de Damas, à Jérusalem. (Photo : Oren Ziv)

8 mai 2021. Des manifestants palestiniens s’enfuient quand les forces sécuritaires israéliennes lancent des gaz lacrymogènes à l’extérieur de la porte de Damas, à Jérusalem. (Photo : Oren Ziv)

 

8 mai 2021. La police israélienne arrête une femme au cours d’une manifestation contre l’expulsion imminente par la force de familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. (Photo : Oren Ziv)

8 mai 2021. La police israélienne arrête une femme au cours d’une manifestation contre l’expulsion imminente par la force de familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. (Photo : Oren Ziv)

Alors que les négociations se poursuivent autour de la formation d’un gouvernement d’unité entre Naftali Bennett et Yair Lapid, il y a une personne qui a un intérêt tout particulier à provoquer l’étincelle susceptible d’incendier Jérusalem : le Premier ministre Benjamin Netanyahou. On dirait vraiment que événements de Jérusalem-Est soient partis pour se poursuivre, surtout sur le site d’Al-Aqsa et, au cas où les militants palestiniens de Gaza choisiraient de répondre par des tirs de roquettes, cela rendrait bien plus compliqué pour des gens d’extrême droite comme Bennett et l’ancien membre du Likoud Gideon Sa’ar de rallier un gouvernement auquel participeraient également le Parti travailliste et Meretz.


Publié le 8 mai 2021 sur +972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Oren Ziv

Oren Ziv

 

 

Oren Ziv est un photo-journaliste, membre fondateur du collectif de photographie Activestills et il fait partie de l’équipe rédactionnelle de Local Call. Depuis 2003, il traite de toute une série de questions sociales et politiques en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, avec une prédilection pour les communautés militantes contre le mur et les colonies, pour l’accessibilité des logements et autres questions socioéconomiques, l’antiracisme et les luttes contre la discrimination, sans oublier la lutte pour la liberté des animaux.

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