Les Palestiniens en ont eu assez de l’hypocrisie de l’Europe à propos de l’Holocauste

Ce mercredi, les hauts responsables politiques européens et israéliens ont bavé toute leur indignation et leur grandeur morale à propos des commentaires proférés par Mahmoud Abbas au cours d’une visite en Allemagne.

Ali Abunimah, 17 août 2022 

La veille, alors qu’il se tenait à côté du chancelier Olaf Scholz, le chef de l’Autorité palestinienne avait accusé Israël d’avoir commis « 50 holocaustes » contre les Palestiniens.

Scholz s’est servi de Twitter pour se déclarer « dégoûté par les remarques indignes » proférées par Abbas.

« Pour nous les Allemands en particulier, toute relativisation de la singularité de l’Holocauste est intolérable et inacceptable »,

a déclaré Scholz.

« Je condamne toute tentative de nier les crimes de l’Holocauste. »

Armin Laschet, un éminent politicien allemand de droite et candidat malchanceux au poste de chancelier, a même prétendu que les propos d’Abbas constituaient le « discours le plus dégoûtant » jamais entendu à la Chancellerie allemande – élevant apparemment le chef de l’AP à un niveau dans l’histoire pire encore que celui d’Hitler.

Cette condamnation a été répétée par tout un chœur de hauts responsables de l’Union européenne – qui vient tout juste de soutenir le bombardement par Israël de civils à Gaza.

Le Premier ministre israélien Yair Lapid – sans nul doute impatient de détourner le peu l’attention internationale suscitée par la dernière vague homicide d’Israël – s’est empressé de faire chorus.

« Mahmoud Abbas qui accuse Israël d’avoir commis ’50 Holocaustes’ alors qu’il se trouvait sur le sol de l’Allemagne constitue non seulement une infâmie morale, mais un mensonge monstrueux »,

a déclaré l’homme qui, tout récemment, a dit qu’Israël ne présenterait pas ses excuses pour avoir tué des enfants à Gaza.

« Six millions de juifs ont été assassinés, durant l’Holocauste, dont un million et demi d’enfants juifs »,

a ajouté Lapid.

« L’histoire ne le pardonnera jamais. »

Même les médias de l’État allemand ne prétendent pas qu’Abbas « a nié » l’Holocauste – comme Scholz l’en a accusé.

Plus tard, Abbas lui-même a clarifié – sans doute dans une tentative d’apaiser les bailleurs de fonds européens de l’AP, tous très en colère – que son commentaire en Allemagne

« n’était pas destiné à nier la singularité de l’Holocauste qui avait eu lieu au siècle précédent ».

Au lieu de cela, Abbas a dit qu’il voulait mettre en évidence

« les crimes et massacres commis contre le peuple palestinien depuis la Nakba, et ce, des mains des forces israéliennes ».

« Ces crimes n’ont toujours pas cessé à ce jour »,

a ajouté le dirigeant de l’AP avec justesse.

Il est légitime de se demander si de telles comparaisons sont utiles, mais elles ne sont pas rares.

Les mots du père de Lapid

En effet, il y a quelques années, le père même de Yair Lapid, feu Yosef « Tommy » Lapid, comparait la persécution quotidienne des Palestiniens par les colons juifs israéliens dans la ville de Hébron, en Cisjordanie occupée, à la persécution des juifs en Europe juste avant l’Holocauste.

« Ce ne sont pas les fours crématoires ou les pogroms qui ont rendu amère notre vie dans la diaspora avant qu’ils ne se mettent à nous tuer, mais la persécution, le harcèlement, les jets de pierres, les dégâts infligés à nos moyens de subsistance, l’intimidation, les crachats, les insultes »,

avait dit en 2007 le vieux Lapid, à l’époque président du conseil consultatif du mémorial israélien de l’Holocauste, Yad Vashem.

Dans un esprit semblable, le général israélien Yair Golan comparait Israël à l’Allemagne nazie, lors d’un discours prononcé le jour de la commémoration de l’Holocauste il y a six ans.

« S’il y a une chose qui m’effraie à propos du souvenir de l’Holocauste, c’est d’identifier les tendances révoltantes qui ont vu le jour en Europe dans l’ensemble, et en Allemagne en particulier, il y a quelque 70, 80 et 90 ans, et de trouver des traces des mêmes tendances ici, chez nous, en 2016 »,

a déclaré le général.

On peut présumer que tirer les leçons de l’histoire – comme les mémorialistes de l’Holocauste insistent pour que nous le fassions – signifie d’examiner et de débattre les événements contemporains à la lumière des crimes de l’Allemagne.

Comme le dit l’agence culturelle des Nations unies, l’UNESCO, l’éducation autour de l’Holocauste

« fournit un point de départ pour examiner des signes de mise en garde susceptibles de révéler un potentiel d’atrocités de masse ».

Mais, selon Scholz, c’est absolument interdit – du moins pour les Palestiniens. En effet, l’insistance du chancelier allemand sur la « singularité » de l’Holocauste ne semble déployée que lorsqu’elle est utile pour protéger Israël.

Le dirigeant ukrainien minimise l’Holocauste

En avril, par exemple, et ce n’était pas la première fois, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé que l’invasion russe de son pays avait été pire même que l’occupation nazie au cours de la Seconde Guerre mondiale.

En une autre occasion, où il s’adressait à des députés israéliens, Zelensky a prétendu que la Russie appliquait une « solution finale » à l’Ukraine, utilisant ainsi un terme habituellement réservé aux plans nazis pour l’assassinat de millions de juifs.

Selon le musée américain du Mémorial de l’Holocauste, les occupants allemands et leurs collaborateurs ukrainiens ont assassiné au moins un demi-million de juifs au cours de l’Holocauste.

Je ne me souviens pas de torrents d’indignation de la part des dirigeants de l’Allemagne ou de l’UE à propos de la minimisation éhontée par Zelensky du génocide allemand et ukrainien des Juifs ukrainiens et des Polonais.

Si quelqu’un trivialise l’Holocauste, ce sont bien les dirigeants européens et israéliens, et les organisations sionistes qui se servent de la mémoire des juifs assassinés comme d’une arme afin de justifier la colonisation sioniste et l’occupation de la Palestine, et l’incessant massacre des Palestiniens qui leur est associé.

Comme le fait remarquer Joseph Massad, professeur à la Columbia University,

« les sionistes israéliens se sont approprié les événements de l’histoire juive, y compris l’Holocauste, à des fins propagandistes, et ce, pour affirmer leur « droit » à la Palestine – une terre sur laquelle ils avaient jeté leur dévolu colonial suspect un demi-siècle avant le génocide ».

« En s’appropriant l’Holocauste, Israël affirme que toute reconnaissance du génocide est une reconnaissance du ‘droit d’Israël à l’existence en tant qu’État juif’, alors que toute tentative en vue de nier ce droit équivaut à nier l’Holocauste »,

ajoute Massad.

Historiquement, fait remarquer Massad, l’Organisation de libération de la Palestine

« a toujours insisté pour témoigner sa sympathie avec les victimes juives de l’Holocauste et condamner les nazis ».

Mais Israël et ses partisans ont rejeté cette solidarité parce que, à l’époque, l’OLP refusait de reconnaître et d’accepter les prétentions d’Israël à la terre des Palestiniens.

La carte « Sortez de prison » de l’Allemagne

À ce jour, Israël et ses partisans rejettent comme non sincère toute reconnaissance de l’Holocauste ou solidarité avec ses victimes juives qui ne soit pas explicitement accompagnée d’un soutien au nettoyage ethnique brutal et à la colonisation de la Palestine par les sionistes.

C’est exactement le processus en jeu dans la condamnation d’Abbas par Scholz – condamnation que le bureau du chancelier allemand s’est assurée de tweeter en hébreu, ainsi qu’en anglais et en allemand.

Telle était la façon indirecte de Scholz de dire que la mémoire de l’Holocauste appartient à Israël et aux sionistes et qu’il leur est permis de l’utiliser politiquement comme bon leur semble.

Pour les élites allemandes, le soutien inconditionnel à l’occupation, aux meurtres, à la persécution et à la dépossession par Israël du peuple palestinien depuis près de huit décennies et sans interruption fait facilement fonction de carte « sortez de prison » [comme au Monopoly, NdT].

Ils simulent une pieuse expiation, alors que c’est aux Palestiniens qu’on vole les existences et les terres – censément en compensation des crimes allemands.

Se joignant aux attaques contre Abbas, le vice-président de l’UE, Margaritis Schinas, a affirmé que

« l’Holocauste est une tache indélébile sur l’histoire européenne ; il a effacé la vie et l’héritage des juifs dans bien des parties de notre continent ».

Il a absolument raison, à ce propos. Ainsi donc, si du territoire est une compensation appropriée à un génocide, pourquoi aucun pays européen, surtout l’Allemagne, n’a-t-il pas proposé son propre territoire pour y instaurer un « État juif » ?

Les Palestiniens sont malades de payer le prix de l’hypocrisie européenne et des crimes génocidaires.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 17 août 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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