Sionisme, police et empire : Un dossier du Mapping Project
Les intersections entre les agents de l’oppression nous offrent des possibilités de connecter nos luttes. Ils nous étudient et sont groupés en réseaux. Il nous faut à notre tour les étudier et constituer nos propres réseaux de résistance.
Cet article est en quelque sorte un aperçu du Mapping Project : un projet mis sur pied par des activistes et des organisateurs de l’est du Massachusetts, qui examinent les liens locaux entre les entités responsables de la colonisation de la Palestine, du colonialisme et de la dépossession, ici, où nous vivons, et de l’économie de l’impérialisme et de la guerre. Si vous voulez en savoir plus sur le Mapping Project, lisez cette interview de certains membres du Mapping Project et visitez ici même le projet.
Par The Mapping Project (*), 3 juin 2022
Qu’est-ce que le Mapping Project ?
Bienvenue au sein du Mapping Project. Nous sommes un collectif multigénérationnel d’activistes et d’organisateurs de la terre des nations Massachusett, Pawtucket, Naumkeag et autres nations tribales (Boston, Cambridge et les régions avoisinantes) qui désiraient développer une compréhension plus profonde du soutien institutionnel local à la colonisation de la Palestine et des nuisances que nous percevons comme y étant liées, tels la police, l’impérialisme américain et les déportations et/ou le nettoyage ethnique. Notre travail s’appuie sur la prise de conscience de ce que les oppresseurs partagent des tactiques et des institutions – et de ce que nos luttes de libération sont connectées les unes aux autres. Nous désirions visualiser ces connexions afin de voir où nos luttes se croisent, et d’accroître stratégiquement nos capacités organisatrices locales.
Notre dossier interactif illustre certaines façons dont le soutien institutionnel à la colonisation de la Palestine est structurellement lié au travail policier et au suprémacisme blanc systémique, ici, où nous vivons, et aux projets impérialistes américains dans d’autres pays. Notre dossier montre aussi les connexions entre les nuisances comme la privatisation et l’apartheid médical, qui sont souvent facilitées par les universités et leurs partenaires du monde des entreprises. Du fait que les universités locales s’engagent dans ces multiples formes d’oppression et qu’elles produisent une grande partie de la classe dirigeante, et parce qu’elles sont d’importantes propriétaires de terrains dans notre région, nous avons mis l’accent sur l’université en tant que noyau central reliant ensemble un grand nombre des nuisances répertoriées dans le dossier. (Pour en savoir plus sur ce que nous pensons que le dossier révèle, voir la page What We See – Ce que nous voyons – et lisez nos articles.)
Nous reconnaissons que notre dossier n’est pas une représentation complète des institutions locales responsables de la colonisation de la Palestine ou des autres maux tels la police, l’impérialisme américain et les déportations. Nous reconnaissons aussi que les luttes des nations autochtones locales contre la colonisation américaine sont sous-représentées dans notre dossier. Nous serions enchantés que les personnes s’engageant avec notre dossier partagent avec nous suggestions et savoir et nous espérons qu’il pourra continuer de s’accroître et de s’améliorer par le biais de leurs contributions.
Ce dossier est avant tout destiné à cultiver des relations entre des organisateurs au sein des mouvements et d’approfondir nos analyses politiques à mesure que nous mettons sur pied le pouvoir de la communauté. Mettre ce pouvoir sur pied, pour nous, a signifié chercher le savoir de ceux qui s’organisent en communauté avec nous et qui mettent en évidence les analyses radicales et la résistance des générations précédentes qui ont été opprimées.
Notre but dans la poursuite de cette mise en carte collective était de révéler les entités et réseaux locaux qui provoquent la dévastation, de façon à pouvoir les démanteler. Chaque entité a une adresse, chaque réseau peut être désorganisé.
Sionisme, police et empire
Au Massachusetts comme dans le reste de EU, la police a constitué d’importantes forces militarisées, elle s’est dotée de réseaux de plus en plus larges afin de partager ressources et informations et elle utilise sa puissance militaire et de surveillance pour mettre en place les systèmes d’interaction du suprémacisme blanc et du capitalisme. Notre travail au sein du Mapping Project révèle l’ampleur locale des interactions de ses propres réseaux, ainsi que son fonctionnement en réseau avec les universités, les firmes d’armement et certaines ONG. Avec son emploi du « contreterrorisme » comme un fourre-tout pour des programmes de surveillance et de militarisation, le département de la Sécurité intérieure a joué un rôle central dans l’organisation et le financement de ces réseaux, en utilisant souvent Israël comme un point de référence pour l’idéologie, la politique, la technologie et l’organisation.
L’une des premières choses qui devrait frapper toute personne examinant notre dossier de l’oppression institutionnelle est le nombre impressionnant d’organisations policières que compte l’État et la densité du réseau des liens entre elles. Bien que nous n’ayons pas inclus chaque département de police local en tant qu’entité séparée sur la carte et que nous n’ayons pas enregistré chaque lien entre les services de police, au moment de la rédaction du présent texte (mai 2022), notre dossier a des entrées pour plus de 200 organisations de police et il révèle plus de 700 liens connectant la ville, le comté, l’État et les forces de police fédérales entre eux et à d’autres entités reprises dans le dossier.
Notre dossier va également montrer des liens extensifs entre des services de police et l’Anti-Defamation League (ADL – Ligue anti-diffamation), avec ses formations spéciales destinées aux programmes qui envoient des policiers américains en Israël et qui prévoient aussi que des conseillers israéliens viennent former la police aux EU.
Légende photo : Carte graphique des liens entre l’ADL, les institutions de police et d’autres entités. Les points violets représentent la police, les points jaunes représentent les universités, les points verts représentent les ONG. ADL est le point vert au centre de la carte. (Photo : The Mapping Project)
Organisation coloniale de la police
Nous reconnaissons que le rôle de la police dans les sociétés capitalistes consiste avant tout à protéger la propriété et ceux qui ont des biens de ceux qui n’en ont pas. Dans les États coloniaux de peuplement, la police se concentre avant toute chose sur les colonisés, en les plaçant sous un régime de surveillance, en leur refusant la liberté de mouvement, en pratiquant les emprisonnements de masse et en recourant à la violence meurtrière. Dans l’État colonial de peuplement américain, ce régime s’étend également aux migrants sans papiers, venus particulièrement d’endroits visés par l’impérialisme américain pour être dévastés militairement et économiquement, comme l’Amérique centrale et du Sud, les Caraïbes, l’Afrique et certaines parties de l’Asie.
Dans l’État colonial de peuplement américain, cette fonction de la police est passée par plusieurs périodes majeures de développement :
- Des milices blanches et des patrouilles d’esclaves dans les débuts de la période coloniale ;
- L’établissement des premiers départements de police urbaine afin de réprimer les luttes de travailleurs et la lutte sociale au cours de 19e siècle, en recourant aux modèles britanniques développés pour organiser la police en Irlande ;
- Le développement de « forces de police professionnelles » au 20e siècle, et la création du FBI pour coordonner la police fédérale et les polices locales dans le « combat contre le communisme », qui a lourdement ciblé les mouvements politiques noirs et autochtones, ainsi que les activistes hostiles à la guerre et à l’impérialisme, avec des programmes du genre de COINTELPRO ;
- La criminalisation des communautés BIPOC et la poursuite de l’expansion de la coordination fédérale et municipale sous l’égide de la « guerre contre la drogue » ;
- La création du département de Sécurité intérieure et l’expansion massive de l’appareil policier après le 11 septembre 2011, sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme ».
Dans chaque phase, la police américaine a développé son idéologie, ses méthodes, sa technologie et son organisation à ses « frontières » les plus actives. L’armée américaine développe de nouvelles technologies dans ses zones de guerre et les rapporte ensuite à la police sur le front intérieur. Partout dans l’empire américain, les responsables de la police américaine aident à installer et à former des forces étrangères de police et leur font expérimenter de nouvelles méthodes d’interrogatoire, de torture, de surveillance biométrique et de fichage humain, puis rapporte toute cette expertise au pays avec elle. Les départements de la police recrutent leur personnel parmi les vétérans expérimentés dans le combat et l’occupation à l’étranger et ces hommes participent ensuite à l’occupation des communautés BIPOC au pays même.
En tant que frontière particulièrement active de la colonisation et de l’occupation durant une très longue période, Israël en est venu à jouer un rôle spécial en tant que laboratoire de police – un rôle qui passe de plus en plus au premier plan du fait que les EU reconditionnent leur propre appareil policier sous l’égide du « contreterrorisme ».
De la guerre du Vietnam à la guerre contre le terrorisme : les réseaux policiers au Massachusetts
Comme va le montrer notre dossier, les forces de police au Massachusetts sont connectées vie une série de « law enforcement councils » (conseils d’application de la loi – LEC) présents dans l’État, dont tous ceux que voici : le Central Massachusetts Law Enforcement Council (CEMLEC) (60 agences) ; le Greater Boston Police Counil (181 agences) ; le Metropolitan Law Enforcement Councilhttp://mapliberation.org/plain/entities/MetropolitanLawEnforcementCouncil(MetroLEC).html (Metro LEC) (46 agences) ; le Northeastern Massachusetts Law Enforcement Council (NEMLEC) (61 agences) ; et le Souheastern Massachusetts Law Enforcement Council (SEMLEC) (30 agences). Conçues comme des organisations professionnelles du non-marchand, ces LEC ont tenté de travailler dans l’ombre, du moins partiellement, et elles sont bien connues pour avoir maintes fois rejeté des requêtes de rapports publics sur leurs activités. Elles constituent des réseaux de forces de police opérant dans tout l’État pour les communications, la collecte et le partage de renseignements, des actions jointes via des accords d’aide réciproque – ce qui autorise des bien plus importants déploiements de forces – des exercices d’entraînement communs et un partage de ressources pour l’achat d’équipements militaires tels des Lenco Bearcats (transporteurs de troupes blindés, NdT).
Bien que les LEC aient gardé leurs activités et achats de matériel spécifiques quelque peu dans l’ombre, leur positionnement public sur les sites Internet a été clair en expliquant leurs origines, leurs fondements idéologiques et leurs buts. Le Greater Boston Police Council (Conseil de police du Grand Boston – le plus important des LEC) déclare :
« La période 1968–1972 a été une période de grande agitation civile à l’échelle de la nation, l’attention étant entre autres focalisée sur l’implication de l’Amérique au Vietnam. Vu le grand nombre de collèges et d’universités dans la région, Boston a été un foyer de dissension. Fin 1969, il y a eu quelques protestations très vives dans la zone Boston/Cambridge, et certaines ont engendré violence et destruction.
Pour gérer convenablement ces troubles, Boston et/ou Cambridge devait demander de l’aide à d’autres services de police de l’est du Massachusetts. Bien que de nombreuses communautés aient envoyé de l’aide, l’important facteur de complication fut le manque de communication entre les départements. »
En réponse, le GBPC créa un réseau de communication et établit des accords d’« aide mutuelle » entre les forces de police locales, du comté et fédérales au cœur même de la ville, en un réseau qui compte aujourd’hui plus de 180 agences.
Ce qui est remarquable dans le cas du GBPC, c’est la participation de la police de l’université, tel le Département de police de l’Université de Harvard (HUPD). Ces départements bénéficient d’une licence de la police de l’État du Massachusetts en tant qu’« agents spéciaux » et ont les pleins pouvoirs d’arrestation, mais sont considérés comme des organisations « privées » – ce qui leur permet de rejeter des requêtes de rapports publics à propos de leurs activités tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des campus. On les a néanmoins vus en train de surveiller étroitement l’activisme estudiantin et fournir des renseignements à la Sécurité intérieure. Le rôle des départements de police des universités semblerait particulièrement important, puisque le GBPC lie explicitement son existence à la participation des étudiants au mouvement contre la guerre.
Le Northeast Massachusetts Law Enforcement Council (NEMLEC) a encore été plus explicite sur les origines des LEC. Puisque le NEMLEC s’est retrouvé sous une surveillance plus intense après le double attentat du marathon de Boston et les fouilles maison par maison organisées à Watertown et qui ont révélé le niveau de la militarisation policière au niveau local (ce qui a abouti à un procès de l’Union américaine sur les libertés civiles – l’ACLU – à propos des rapports publics), il a modifié son site internet depuis lors mais, jusqu’en 2014, il tenait le discours suivant :
« Le North Eastern Massachusetts Law Enforcement Council (NEMLEC) a fait ses débuts en 1963 […] au cours des luttes houleuses, tant sociales que politiques des années 1960, quand les départements de police ont été confrontés à une hausse de la délinquance. […] Le désordre, associé à l’étalement des banlieues suite à la migration des gens en provenance de villes plus grandes, au développement du système autoroutier inter-États, au Mouvement des droits civiques et à la résistance croissante à la guerre de Vietnam, menaçait de submerger la sérénité des villes pittoresques de la Nouvelle-Angleterre au nord et à l’ouest de Boston. Les chefs de la police se réunirent pour partager des informations sur les modèles et tendances des délits, pour discuter des mesures sociales et pour développer une prévention et des programmes de réponse efficaces. »
Le Mouvement des droits civiques, la résistance à la guerre du Vietnam et les migrations des gens depuis les villes plus grandes (racisme codé) sont tous identifiés comme des « délits » et des menaces contre l’« ordre ».
Un rôle prioritaire des LEC a été d’organiser les forces de police locales pour en faire des unités militaires dans le genre des unités SWAT (Special Weapons And Tactics – Armes et tactiques spéciales). Cela met en parallèle les origines politiques des unités SWAT de Los Angeles, recourant au modèle de la « guerre urbaine » pour réprimer les protestations et la résistance des années 1960 et 1970 en intervenant contre le mouvement de libération des noirs, de même que contre les organisations des travailleurs agricoles. (Pour des sources et davantage de renseignement sur le sujet et sur la discussion suivante, consultez notre entrée sur le Boston Police Department.
En parallèle aussi avec Los Angeles (LA), il y a eu la reconstitution de la police autour des « gangs », en utilisant des définitions suffisamment souples pour permettre à la police de criminaliser des familles entières, des communautés et des quartiers entiers. Comme nous le disons dans notre entrée sur le Boston Police Department (BPD), l’appareil antigang de LA a eu ses précurseurs à la fois dans les programmes d’entraînement de la police américaine au Vietnam – dans lesquels le chef adjoint de la police de LA, Frank Walton, a joué un rôle – et dans un usage consistant des occupations militaires américaines et israéliennes en Palestine, au Liban et dans la région avoisinante en tant que modèles conceptuels.
En 1993, le BPD créa la Youth Violence Strike Force (Force de frappe contre la violence des jeunes – YVSF), connue communément sous le nom de « Gang Unit ». La force elle-même était une multi-agence, une police de la ville, de l’État et de la MBTA (Autorité des transports de la baie du Massachusetts, NdT). S’inspirant du modèle de LA, le BPD développa aussi une « banque de données sur les gangs » informatisée et aujourd’hui conspuée. Le système de la YVSF consistant à encoder les rapports FIO (Field Interrogation Observation – interroger et observer sur le terrain), qui peuvent être créés chaque fois que « la police a une interaction avec un membre de la communauté ou quand elle remarque certaines choses parmi les gens de la communauté », lui permet de s’engager dans une surveillance et une collecte de renseignements constantes et de filtrer de plus en plus de personnes dans la banque de données. On a vu tant la banque de données que le FIO cibler des noirs et les quartiers à majorité noire de Boston.
Le département de la Sécurité intérieure (DHS), créé au lendemain du 11 septembre 2001, a amené tous les anciens développements des réseaux de police, de son travail de surveillance et de sa militarisation à un niveau nouveau, tant sur le plan national que dans le Massachusetts.
Au niveau national, le DHS commande la plus importante force de police du pays (avec plus de 60 000 agents), concentrée avant tout sur l’encadrement policier, la détention et la déportation des migrants. Placer cette fonction dans les mains du DHS a remodelé le système de la violence et de la domination sur les existences des migrants en une opération de « contreterrorisme », justifiant ainsi un régime de surveillance et de contrôle totaux. Les programmes du DHS ont également placé une grande emphase sir la mise en réseau de la police municipale, du comté, de l’État et fédérale pour la collecte de renseignements, le partage d’informations, les formations communes et l’action commune sous une structure de « commandement unifié ».
Dans le Massachusetts, le DHS a fondé et contribué à créer deux centres de fusionnement des renseignements : le Boston Regional Intelligence Center (BRIC) sous le contrôle du Boston Police Department et le Commonwealth Intelligence Fusion Center, sous le contrôle de la police de l’Etat du Massachusetts.
Le BRIC crée un réseau entre la police et d’autres agences municipales (comme les départements des pompiers) de neuf municipalités qui constituent le cœur urbain : Boston, Brookline, Cambridge, Chelsea, Everett, Quincy, Revere, Somerville et Winthrop. Après sa création, le BRIC est devenu responsable de la gestion de la banque de données des gangs, fusionnant les appareils de la « guerre contre la drogue » et de la « guerre contre le terrorisme » et traitant les « gangs » comme des « terroristes » – ce qui constitue la métaphore active à LA depuis les années 1980.
Le Massachusetts Executive Office of Public Safety (MEOPS – Bureau exécutif du Massachusetts pour la sécurité publique) a également créé cinq « régions de planification de la sécurité intérieure » dans le Massachasetts et a mis en place des « comités consultatifs » afin de recevoir des fonds du DHS : le Northeast Homeland Security Advisory Council (NERAC) ; le Central Region Homeland Security Advisory Council (CRHSAC) ; le Western Region Homeland Security Advisory Council (WHRSAC) ; et le Southeast Regional Homeland Security Advisory Council (SRHSAC). Pour le cœur urbain, il a créé le Metro Boston Homeland Security Region (MBHSR), et établi un Comité de points de contact juridictionnels spéciaux (Jurisdictional Points of Contact Committee – JPOC) dans des buts de planification, avec un financement reçu via le Metropolitan Planning Council (Conseil de planification métropolitaine – qui fait également office de canal fiscal pour les cinq régions). Ces conseils rassemblent des chefs de la police, des chefs des départements de pompiers et d’autres organisations municipales, ainsi que des responsables fédéraux, afin d’organiser des réseaux de communications, des exercices d’entraînements communs et d’acheter des équipements militaires – souvent destinés aux Law Enforcement Councils (LEC) correspondants et à leurs unités militarisées dans chaque région.
Les subsides du DHS dans le Massachusetts ont également été des instruments en vue de déplacer davantage la recherche universitaire vers le développement de la technologie de surveillance destinée à la police et à l’armée. Il faut remonter au moins jusqu’en 2006 pour voir la Northeastern University sceller des contrats avec le département de la Sécurité intérieure et recevoir au fil des années des millions de dollars dans des projets multiples soutenant des missions du DHS. Ceci inclut en 2008 le lancement d’un Centre d’excellence spécial du DHS appelé Centre de conscientisation et de localisation des menaces concernant des explosifs (Awareness and Localization of Explosives-Related Threats – ALERT), qui impliquait également la Boston University et Tufts, ainsi que la firme d’armement Raytheon en tant que partenaire de l’industrie. En 2021, ce centre a décroché un contrat de 36 millions de USD émanant de DHS, afin de mettre sur pied un système de surveillance appelé SENTRY (Sentinelle, en anglais : Soft Target Engineering to Neutralize the Threat Reality ou Ingénierie des cibles faciles afin de neutraliser la réalité des menaces). Le système promet de transformer les écoles, les événements sportifs et les espaces urbains en des panoptiques qui
« intégreront des éléments tels des senseurs pour scanner les foules, montés au sommet de poteaux d’éclairage, des signaux vidéo, des trafics de téléphonie cellulaire, un imagerie aérienne captée par drone et des messages sur les médias sociaux ».
Les dépenses du DHS révèlent également des bourses de scolarité pour des membres du personnel assistant à des séminaires de la Harvard Kennedy School sur la Sécurité intérieure, dans le cadre du programme « Direction de crise », comme le « Séminaire exécutif sur la sécurité intérieure à l’usage des généraux et des officiers supérieurs ».
Contreterrorisme et répression politique
Tant le BRIC que le Commonwealth Intelligence Fusion Center (Centre de regroupement des informations pour le bien commun – CIFC) ont utilisé leur technologie et capacité de surveillance pour contrôler une large gamme d’activités politiques. Le BRIC a utilisé le logiciel Geofeedia pour contrôler des protestations contre les violences policières, en utilisant des termes comme « #blacklivesmatter » et « protest » et il a également contrôlé les mots arabes utilisés quotidiennement, des termes religieux musulmans et l’hashtag « #muslimlivesmatter ». Un instantané publié en 2018 par la Police d’État du Massachusetts a révélé que le CIFC avait contrôlé des groupes comme Mass Action Against Police Brutality (MAAPB – Action de masse contre les brutalités policières) et la Coalition to Organize and Mobilize Boston Against Trump (COMBAT – Coalition pour organiser et mobiliser Boston contre Trump). Cette surveillance s’inscrit dans un modèle plus large du contrôle par le DHS et le FBI dans tout le pays et autour d’étiquettes comme « extrémisme identitaire noir ».
La surveillance de Mass Action Against Police Brutality est particulièrement significative, puisque le groupe a maintenu l’attention publique sur l’histoire locale des meurtres de noirs par la police à Boston, dont le meurtre de Burrell Ramsey-White au cours d’un blocage de la circulation en 2012 et le meurtre de Terence Coleman à son domicile en 2016.
Une autre affaire qu’ils mettent en exergue, l’affaire Usaamah Rahim, prouve les niveaux croissants de la violence militarisée du fait que le « contreterrorisme » a été intégré dans le travail policier. En 2015, la police de Boston et les agents du FBI de la Joint Terrorism Task Force (Force commune d’intervention contre le terrorisme) habillés en civil ont entouré Usaamah Rahim dans un parking de Roslindale et l’ont abattu et tué. Des unités de SWAT et des agents du FBI ont fait irruption dans la maison d’un de ses proches, David Wright, avec des grenades assourdissantes et l’ont entouré de fusils d’assaut de l’armée pour l’interroger pendant plus de dix heures à son domicile avant de l’arrêter. Selon la mère de Rahim, les deux hommes étaient ciblés et répertoriés « comme Afro-Américains et musulmans ».
Plusieurs cas politiques retentissants au Massachusetts ont en outre démontré au fil des années que le recours au « contreterrorisme » était un fourretout pour la répression contre les activistes et les organisateurs, particulièrement ceux des communautés vivant sous oppression raciale et coloniale.
En 2002, un directeur de la Laidlaw Corporation avait faussement accusé le conducteur de bus et organisateur syndical haïtien Marcus Jean d’avoir menacé de faire sauter un bâtiment, en recourant à ces fausses accusations de « terrorisme » dans une tentative flagrante d’empêcher l’organisation d’un syndicat comptant quelque 80 pour 100 d’affiliés migrants.
Entre 2002 et 2003, cinq organisateurs palestiniens associés au Comité de Nouvelle-Angleterre pour la défense de la Palestine avaient été harcelés par des départements de la police municipale, le FBI et la police de l’immigration. Dans les deux cas les plus marquants, ceux de Jaoudat Abouazza et d’Amer Jubran, tous deux avaient été arrêtés par la police de l’immigration, interrogés par des agents du FBI et, finalement, forcés de quitter le pays. Abouazza avait également été torturé dans le centre de détention pour immigrants du comté de Bristol, dirigé par le sheriff Thomas Hodgson. Les requêtes relatives à la Loi sur la liberté d’information soumises par des membres du NECDP avaient révélé un modèle de surveillance et d’information partagés entre les départements de la police municipale et le FBI, dont 12 bandes vidéos de protestations publiques captées par la police de Boston, des photos en gros plan se concentrant sur les visages individuels de sympathisants et prises à l’intérieur du tribunal de Brookline, et des fichiers prouvant le contrôle de certains sites activistes. L’implication du département de la police de Brookline (BPD) illustre également la coordination étroite entre la police américaine et la face locale du sionisme : l’arrestation en son temps d’Amer Jubran pour avoir dirigé des protestations contre la célébration de la Journée d’Israël à Brookline avait été menée à la demande d’Alex Koifman, un éminent dirigeant de l’un des groupes qui avaient organisé la célébration. Les requêtes FOIA avaient révélé que la police avait été en communication avec le consulat israélien à propos des organisateurs des protestations.
En 2004, à Cambridge, huit activistes des droits au logement agissant avec l’organisation « Homes Not Jails » (Des maisons, pas des prisons) avaient tenté de nettoyer le site d’un immeuble abandonné à Lafayette Square (à l’intersection de Mass Avenue et de Main Street), et de le revendiquer en vue d’un usage communautaire. Le département des pompiers de Cambridge, de l’autre côté de la rue, opérant en réseau avec le DHS, avait tout de suite rapporté la chose à la police. Les activistes avaient été arrêtés à la pointe du fusil, accusés de délits graves et calomniés dans la presse par le manager de la ville de Cambridge, qui avait faussement prétendu qu’ils tentaient de stocker dans le bâtiment vide des marchandises inflammables et ce, dans le cadre d’un complot visant à commettre un attentat contre la Convention démocratique nationale.
En 2006, des agents du FBI avaient approché Tarek Mehanna, un membre respecté de la communauté musulmane et avaient tenté de le soumettre à des pressions afin qu’il se mue en informateur au sein de sa propre mosquée. Ils l’avaient menacé de faire de sa vie un « enfer sur terre » s’il ne coopérait pas. En 2009, le FBI et le ministère américain de la Justice avaient accusé Tarek Mehanna de « soutien matériel au terrorisme », en se basant entièrement sur un de ses discours et sur ses écrits publics en soutien du droit des personnes vivant dans des pays à majorité musulmane de se défendre contre les invasions américaines. En 2012, Tarek Mehanna avait été condamné à 17 ans de prison pour son discours politique.
Le rôle d’Israël
Du fait que tous les niveaux du travail policier ont été entraînés plus avant dans la restructuration en « contreterrorisme » sponsorisée par le DHS, Israël est devenu un solide point de référence. En tant qu’État qui, depuis longtemps, identifie la totalité de son appareil de colonialisme et de guerre sous le prétexte de combattre le « terrorisme », Israël se positionne lui-même sur le marché comme le tout premier expert mondial du « contreterrorisme ». Il est à remarquer dans ce contexte qu’Israël qualifie de « terroriste » toute opposition à ses régimes d’expansion et de domination raciste, depuis la résistance armée aux soldats et aux colons jusqu’aux protestations et aux rapports critiques.
En tant que chef du DHS, Michael Chertoff avait annoncé en 2005 la « Secure Border Initiative » (Initiative de sécurisation des frontières), un plan qui comprenait l’usage de clôtures, de murs, de tours, de routes et de systèmes de contrôle de haute technologie le long de la frontière mexicaine. En 2006, le DHS avait accordé des contrats relatifs à cette initiative à la société américaine d’armement Boeing et à la filiale américaine d’Elbit Systems, la société israélienne responsable en dernier recours de la construction en Palestine du mur prévu pour étrangler et emprisonner les communautés palestiniennes, annexer leurs terres agricoles et s’approprier leurs ressources en eau. Le plan comprenait « 1 800 tours équipées de caméras et de détecteurs de mouvement et étalées le long de la frontière ».
En 2008, Chertoff avait participé à des réunions avec des homologues israéliens lors du « premier forum international des ministres de l’Intérieur et de la Sécurité intérieure » à Jérusalem et il avait signé des accords en vue de « partager des technologies et des informations sur des méthodes censées améliorer la sécurité intérieure », y compris le recours au « profilage comportemental » aux aéroports, un système à peine camouflé d’application sélective et de ciblage s’appuyant sur la race et la religion. Plus tard, le programme avait été utilisé à Boston Logan et dans d’autres aéroports du pays.
Au Massachusetts, Massport avait déjà engagé des conseillers israéliens pour remodeler la sécurité de l’aéroport de Logan dès 2001 déjà. La police de Boston avait engagé des « spécialistes israéliens des attentats suicides et des tacticiens du contrôle des foules » comme formateurs et conseillers dans ses préparatifs en vue des protestations contre la DNC (Convention nationale démocrate), en 2004. Ces préparatifs comprenaient le quadrillage de la ville avec des caméras de surveillance et un « modèle de commandement unifié » reliant la police de la ville, celle de l’État et la police fédérale. Cet appareil policier fut alors lâché sur les communautés noires et latinos sous l’appellation « Opération Bouclier de quartier » (Neighborhood Shield) après que la DNC eut quitté la ville. (Voir de nouveau notre entrée sur le département de la police de Boston).
Dès 2011, le DHS organisa et finança les exercices de « Urban Shield » à Boston et dans les communautés avoisinantes à plusieurs reprises. Ces exercices avaient pour but de rassembler les forces de police à tous les niveaux en compagnie d’autres « premiers répondants » en un « modèle de commandement unifié » – en se servant souvent d’unités SWAT rivalisant dans les quartiers urbains en vue d’apprendre les capacités de terrain de de test. Ces exercices sont connus pour inclure des forces de police et des conseillers israéliens, ainsi que d’autres forces de police étrangères.
Après les attentats du marathon de Boston, en 2013, le commissaire de police Ed Davis fit plusieurs allusions à des voyages en Israël et à l’implication d’Israéliens dans la formation de policiers du BPD dans le cadre du programme de sécurité du département alors de mise. Davis visita Israël sous les auspices du Police Executive Research Forum (PERF – Forum exécutif de recherche de la police, une organisation qui se réunit chaque année à l’Université de Boston) et dans le cadre de son Projet policier au Moyen-Orient, qui réunissait des policiers américains et israéliens, et leurs homologues de Jordanie et de l’Autorité palestinienne. Le PERF coordonnait aussi les appels entre les exécutifs de la police dans tout le pays afin de discuter et d’échanger des renseignements sur le mouvement Occupy, et il a publié des manuels sur la gestion d’événements et protestations importants, gestion comprenant l’implantation d’« escadrons secrets de capture et d’arrestation » et l’utilisation de tactiques contre-insurrectionnelles afin d’isoler les meneurs et les radicaux.
L’Anti Diffamation Ligue (ADL) est un autre acteur central reliant les polices américaine et israélienne et utilisant des programmes « contreterroristes » pour faire progresser des buts politiques.
Tant au niveau national qu’au Massachusetts, l’ADL a une longue histoire de soutien indéfectible à Israël, en se faisant passer pour une organisation des « droits civiques », tout en transformant en armes de fausses accusations d’antisémitisme à l’encontre des personnes qui critiquent Israël. L’ADL a fait preuve d’un zèle particulier dans l’utilisation de ces accusations afin de diaboliser les dirigeants noirs et autochtones qui ont vu des parallèles entre leurs propres luttes et les luttes des Palestiniens et elle a donc œuvré en vue de réprimer toute forme de résistance anticoloniale ici.
Tout au long de son histoire, l’ADL a espionné les organisations de gauche, compilé des dossiers sur des activistes et communiqué des renseignements au FBI et à d’autres forces de répression. En Californie uniquement, l’ADL a travaillé avec la police pour rassembler des renseignements et créer des dossiers sur environ 10 000 personnes et 600 organisations engagées dans l’activisme antiraciste. Les renseignements collectés par l’ADL durant ces opérations policières d’espionnage comprenaient des informations personnelles sur des activistes organisés contre l’apartheid en Afrique du Sud, ainsi que des informations personnelles sur des activistes palestiniens vivant aux EU, informations qui étaient ensuite cédées au gouvernement israélien.
Après le 11 septembre 2001, l’ADL a pris un caractère officiel et a étendu sa coopération avec la police américaine en coordonnant des séjours tous frais payés au « Séminaire national sur le contreterrorisme en Israël » et en faisant venir aux États-Unis des conseillers israéliens afin d’y diriger des programmes de formation, telle « l’École de formation avancée dans les menaces extrémistes et terroristes » de l’ADL. Dans son rapport annuel de 2016, l’ADL se vantait que « 100 pour 100 des principaux départements de police métropolitaine des EU » avaient participé à ces formations.
Au Massachusetts, l’ADL de la Nouvelle-Angleterre a saisi les attentats du Marathon, en 2013, comme une opportunité d’étendre plus encore son programme. La police à tous les niveaux – ville, comté, État et fédéral, ainsi que la police des université – a désormais participé à ces formations sponsorisées par l’ADL.
Pour la seule année 2016, les chefs de la police et autres officiers supérieurs de sept départements de police municipale de l’État (dont le BPD) ont participé à ces formations, de même que des responsables de la police de l’État du Massachusetts, le sheriff et l’attorney de district du comté de Suffolk et les agents spéciaux en charge de l’Immigration & Customs Enforcement-Homeland Security Investigations (Application à l’immigration et aux douanes des enquêtes ICE sur la sécurité intérieure) et du Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs).
Au cours des dernières années, les formations ont impliqué également des officiers supérieurs de plus de 15 autres départements de police municipale, dont Cambridge, Somerville, Arlington, Watertown et Chelsea, ainsi que la MBTA Transit Police, le sheriff du comté de Middlesex, le service des US-marshals et d’autres agences.
Parmi les départements de police des universités locales qui ont participé aux délégations de l’ADL figurent le département de police de la Tutfs University (TUPD), celui de la Boston University (BUPD), celui de la Northeast University (NUPD), la police du MIT et le département de police de la Suffolk University (SUPD).
Du fait que les campus américains constituent un front particulièrement actif dans la lutte idéologique pour la solidarité avec la Palestine et que les étudiants palestiniens jouent souvent un rôle crucial dans la mise sur pied d’organisations cherchant à faire avancer la lutte, nous ne devrions pas sous-estimer la signification des formations de la police universitaire en Israël, où le mouvement de libération palestinien est présenté comme « terroriste ». Comme on l’a déjà dit plus tôt, la police universitaire a reçu toute liberté de collecter des renseignements sur les activistes estudiantins et communautaires, elle opère en réseau avec la police de la ville, de l’État et la police fédérale et elle a constamment affirmé son statut privé afin d’éviter tout examen public. (Voir, par exemple, notre entrée sur le HUPD).
Perturber le réseau
Notre dossier sur le travail policier au Massachusetts s’inscrit dans un dossier plus important révélant les connexions entre des institutions oppressives, là où nous vivons – dont des ONG, des firmes d’armement, des sociétés d’informatique et de logistique, des universités, des institutions de recherche biomédicale et bien d’autres encore.
Nous percevons notre dossier et la banque de données qui l’accompagne comme une ressource permettent de collecter des renseignements sur les agents de l’oppression ; leurs intersections nous proposent des possibilités de nous organiser et de connecter nos luttes. Ils nous étudient et sont en réseau entre eux. Nous devons les étudier et former nos propres réseaux de résistance.
Nous avons montré des adresses physiques, cité des officiers et des dirigeants et mis en carte des connexions. Ces entités existent dans le monde physique et elles peuvent être perturbées dans le monde physique. Nous espérons que les gens utiliseront notre dossier pour contribuer à envisager des ripostes efficaces.
Nous percevons la police américaine à tous les niveaux comme des institutions coloniales, suprémacistes blanches qui n’ont aucun rôle dans nos communautés ; nous soutenons la non-coopération, l’autodéfense communautaire et la résistance sous toutes ses formes.
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(*) Le Mapping Project
Nous sommes un collectif multigénérationnel d’activistes et d’organisateurs du Massachusetts oriental et nous avons voulu développer une compréhension plus profonde du soutien institutionnel local à la colonisation de la Palestine et des nuisances, tels la police, l’impérialisme américain, la déportation et le nettoyage ethnique, dont nous considérons qu’elles lui sont liées. Nous ne sommes pas payés et nous n’adressons de rapport à aucun donateur
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Publié le 3 juin 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Lisez également : « Nos luttes sont réellement connectées » : une interview autour du Mapping Project