Des Juifs allemands portent plainte pour crimes de guerre contre les dirigeants israéliens
En Allemagne, une organisation juive a introduit des plaintes pénales contre le Premier ministre israélien Yair Lapid et le ministre de la Défense Benny Gantz à propos des bombardements sur Gaza qu’ils ont ordonnés cet été.
Ali Abunimah, 12 septembre 2022
L’attaque surprise israélienne, qui a eu lieu du 5 au 8 août, a tué quelque 50 Palestiniens, dont 17 enfants, et en a blessé au moins 360 autres.
« Il s’agissait d’une prétendue frappe préemptive exécutée sans menace concrète »,
a déclaré samedi Voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient.
« En public, cette agression excessive a surtout été dépeinte comme de l’autodéfense contre le Djihad islamique palestinien qui, en fait, n’a tiré que des roquettes en réponse au bombardement israélien »,
a ajouté l’organisation.
« Mais, même dans le cas contraire, une telle gradation dans la souffrance humaine et les destructions n’aurait pu se justifier. »
« Grâce à la complicité internationale – dont celle de l’Allemagne –, Israël dispose de la technologie de guerre la plus moderne et est naturellement en mesure d’effectuer des attaques précises »
a déclaré Voix juive.
« Lorsqu’un si grand nombre de pertes civiles est accepté afin d’éliminer quelques combattants, le résultat final ne peut être que des massacres délibérés. »
Un « modéré » favorisé
En introduisant des accusations contre Lapid et Gantz à la Cour fédérale de justice d’Allemagne, l’organisation cherche
« les conséquences pour les deux hommes qui, par-dessus tous les autres, sont responsables de cette souffrance ».
La plainte pénale, dont The Electronic Intifada a pu voir une copie, accuse les deux hommes de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pour leur rôle dans l’attaque contre Gaza.
Les accusations ont été calculées dans le temps pour coïncider avec une visite de deux jours de Lapid en Allemagne, dans le but de promouvoir le commerce des armements entre Berlin et Tel-Aviv.
La visite a également fourni au chancelier allemand Olaf Scholz une occasion de soutenir efficacement Lapid dans les élections israéliennes qui approchent.
Lapid, dont la politique antipalestinienne brutale est indiscernable de celle du leader de l’opposition et ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou, est néanmoins favorisé par les dirigeants européens et souvent faussement présenté dans les médias occidentaux comme un « centriste » et un « modéré ».
Des fugitifs de la justice
Quant à Gantz, il ne s’agit pas de la première tentative de l’amener devant la justice dans un tribunal européen ou international.
Le ministre israélien de la Défense est la cible logique d’une enquête actuelle de la Cour pénale internationale, bien qu’il s’avère que la procédure ait ralenti au point d’emprunter le pas de l’escargot – pour autant qu’elle progresse encore, du moins – dans le sillage du nouveau procureur principal, Karim Khan.
Il s’avère que Khan a davantage l’intention de rassurer les bailleurs de fonds occidentaux de la CPI dans leur tentative de transformer le tribunal en une arme politique de leur guerre géopolitique contre la Russie, plutôt qu’en un forum pour les victimes qui n’ont d’autre recours que celui de chercher une justice impartiale.
Depuis 2018, aux Pays-Bas, Ismail Ziada, un citoyen palestino-hollandais, est en procès contre Gantz à propos d’un bombardement à Gaza, en 2014, qui avait tué la mère de Ziada, trois de ses frères, une de ses belles-sœurs et un neveu de 12 ans, ainsi qu’une septième personne venue rendre visite à la famille.
Jusqu’à présent, les juges ont bloqué la quête de justice de Ziada, sur base de ce que des responsables étrangers ne peuvent être attaqués civilement en justice aux Pays-Bas. Le cas est pour l’instant en appel.
Gantz, commandant en chef de l’armée au moment de l’offensive de 2014, s’est vanté plus tard dans une campagne électorale de ce que ses bombardements avaient renvoyé Gaza à « l’âge de la pierre ».
Mais même les pays européens qui reconnaissent la juridiction universelle sur les crimes de guerre et sur les crimes contre l’humanité ont fait des courbettes pour protéger les criminels de guerre israéliens que l’on accuse.
En 2002, les tribunaux belges ont mis un terme à un effort en vue d’amener Ariel Sharon devant la justice à propos des massacres de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatilah, qu’il supervisait en tant que ministre de la Défense lors de l’invasion israélienne du Liban il y a 40 ans cette semaine.
L’année suivante, à peine quelques mois après l’invasion illégale de l’Irak dirigée par les EU, la Belgique a abrogé sa loi de juridiction universelle sous les intenses pressions américaines, protégeant ainsi les dirigeants américains, britanniques, israéliens et autres dirigeants occidentaux des efforts en vue de les tenir responsables de leurs crimes.
D’autres dirigeants israéliens impliqués dans des crimes de guerre, dont le général Doron Almog et l’ancienne ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, ont à plusieurs reprises échappé à leurs poursuivants et ce, avec la complicité manifeste des gouvernements européens.
Alors qu’elle échappait régulièrement à son arrestation, Livni s’est même vu récompensée d’un « prix de la paix » en Allemagne, en 2020.
Malheureusement, les perspectives de voir la justice honorée dans le pays dont le gouvernement a assassiné des millions de juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale, sont on ne peut plus réduites.
Les procureurs en Allemagne – où les anciens membres du parti nazi d’Hitler ont dominé la justice jusqu’au moins dans les années 1970 – ont fait savoir clairement qu’ils n’ont aucun problème avec le fait qu’Israël tue des Palestiniens et même des citoyens allemands.
Malgré une loi allemande exigeant qu’ils le fassent, les procureurs fédéraux ont refusé d’ouvrir une enquête sur l’assassinat en juillet 2014 d’Ibrahim Kilani, un citoyen allemand, ainsi que sur ceux de sa femme et de ses enfants nés allemands.
La culture politique de l’Allemagne, on ne peut plus voilée et profondément hypocrite, perçoit le soutien inconditionnel aux crimes de guerre d’Israël contre le peuple palestinien et au vol de sa terre comme une forme d’« expiation » de l’Holocauste, comme si c’était Israël – qui n’existait même pas à l’époque – et non les Juifs européens, qui avaient été les victimes d’Hitler.
Pour les nazis du passé et d’aujourd’hui, prodiguer son soutien à Israël est une sorte de carte de « sortie de prison » (comme au Monopoly, NdT) qu’on peut utiliser comme une protection contre toute accusation de sectarisme antijuif.
Les Palestiniens sont les boucs émissaires métaphoriques et véritables du sacrifice.
Le diffuseur de l’État, Deutsche Welle, par exemple, a effectué une purge parmi ses journalistes palestiniens et arabe, bien que les tribunaux allemands aient récemment annulé deux de ces licenciements.
Les journalistes ont été forcés de quitter leur emploi sur base de fausses allégations d’antisémitisme et ce, en raison des critiques qu’ils avaient émises à propos d’Israël.
Néanmoins, ce mois-ci, tout en acceptant la rigueur idéologique d’application en Allemagne, Deutsche Welle a adopté un nouveau compte de conduite, plaçant ainsi tous les employés dans l’obligation de soutenir le « droit à l’existence » d’Israël.
Mais Voix juive pour une paix juste dans le Moyen-Orient est bien déterminée à contester ce statu quo pervers.
« En tant qu’organisation juive, nous sommes pour les droits humains universels »,
a déclaré l’organisation.
« Comme bien des organisations juives dans le monde entier, nous insistons sur le fait qu’Israël ne représente ni les juifs ni ne parle en notre nom. Israël doit être tenu responsable de ses crimes de guerre à l’instar de n’importe quel autre État. »
°°°°°
Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
°°°°°
Publié le 12 septembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine