Les quakers britanniques capitulent face aux mensonges du lobby israélien
L’organisation religieuse des « Quakers in Britain » se prépare à annuler sa réservation du début de semaine pour un événement sur la Palestine dans l’un de ses foyers de rencontre en Ecosse.
Ali Abunimah, 30 septembre 2022
La décision est venue après une campagne de calomnies contre le principal orateur, David Miller, l’accusant faussement de sectarisme antijuif.
Cette capitulation est un camouflet à la face des Palestiniens et de la longue tradition de solidarité et de soutien aux droits palestiniens entretenue par les quakers. Elle est également critiquée par un autre groupe important de quakers.
La Campagne contre l’antisémitisme, un lobby israélien de droite dont le chef des « enquêtes politiques » s’est attribué le mérite de la « mise à mort » politique de Jeremy Corbyn – il s’est effectivement vanté de ce que l’ancien chef du Labour ait été « liquidé » – a applaudi à cet acte manifeste de censure contre David Miller.
Mais l’effondrement des Quakers in Britain (également appelés Britain Yearly Meeting – Rencontre annuelle en Grande-Bretagne) n’a pas été bien accueilli par une des organisations actives des quakers les plus connues au monde, l’American Friends Service Committee (AFSC).
L’AFSC est largement connu des Palestiniens pour son long engagement dans leur lutte pour la justice, qui remonte aux tout premiers jours qui ont suivi la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948.
« Avec tout le respect dû à nos collègues et amis de Britain Yearly Meeting, notre expérience et notre travail nous mènent à des conclusions différentes en ce qui concerne la mise en place de la paix et l’activisme en faveur des droits palestiniens »,
a déclaré l’AFSC en réponse à la demande de commentaire de The Electronic Intifada à propos de ce qui s’était passé à Édimbourg.
« Comme l’a fait remarquer notre déclaration d’opposition à l’antisémitisme, ces quelques dernières années, nous avons assisté à une montée de l’antisémitisme »
a déclaré l’organisation.
« Les juifs sont confrontés à un sectarisme persistant, à la haine, au racisme et à la violence. Nous condamnons l’antisémitisme sous toutes ses formes et œuvrons à y mettre un terme. »
L’AFSC d’ajouter :
« Nous avons également assisté à une dangereuse tendance par laquelle des allégations d’antisémitisme sont utilisées pour réduire au silence les gens qui plaident en faveur des droits palestiniens. »
L’organisation a mis en lumière la façon dont la prétendue définition de l’antisémitisme de l’IHRA, promue par Israël et son lobby, cherche à redéfinir
« la critique d’Israël et du sionisme comme étant de l’antisémitisme ».
« Un effort concerné et bien financé recourt à la guerre juridique, aux accusations d’antisémitisme, aux accusations de soutien au terrorisme, à la législation, aux campagnes de doxing et diffamation en ligne afin que soit mis un terme à la promotion des droits palestiniens »,
a ajouté l’AFSC.
C’est précisément ce qui est arrivé à David Miller.
I have such warm memories from the UK of Quakers sticking to their principles during the Iraq war.@BritishQuakers, what a shameful decision to fall for and amplify racist smears against anti-racists. https://t.co/OhBaFHQgio
— Syksy Räsänen (@SyksyRasanen) September 28, 2022
Capitulation sous pression
Il était prévu que David Miller prenne la parole mardi lors d’une événement intitulé « Libres propos sur la Palestine : les réseaux sionistes et la menace contre la liberté d’expression » à la Quaker Meeting House d’Édimbourg.
Ce devait être l’une des deux apparitions de David Miller organisées par la Campagne écossaise de solidarité avec la Palestine (Scottish Palestine Solidarity Campaign – AFSC)
Selon Mick Napier, qui parle pour l’AFSC, un événement prévu pour lundi au Renfield Centre de Glasgow a dû être prévu pour une autre date après que la police écossaise a conseillé aux organisateurs de « reconsidérer » les réservations de l’organisation – ce qui constituait le résultat d’une autre tentative manifeste de censure.
« Initialement, la Quaker Meeting House d’Édinbourg a rejeté les pressions sionistes en vue d’annuler l’événement de mardi soir, mais elle a cédé ensuite et a annulé ses réservations quelques heures avant que la soirée n’ait été censé débuter »,
a déclaré Mick Napier.
« Rapidement, nous avons choisi un autre endroit à quelques centaines de mètres de là. »
Bien que l’événement eût pu avoir lieu ailleurs, le grave tort causé par les Quakers in Britain ne peut être négligé. Le fait d’avoir cédé aux pressions du lobby israélien a joué en partie un rôle dans un échange public sur Twitter.
Mardi, Nicole Lampert, une apologiste des crimes d’Israël contre les Palestiniens et rédactrice au journal de droite Daily Mail, a tweeté l’annonce de l’apparition de David Miller à Édimbourg et a demandé
« pourquoi les quakers britanniques confiaient à cet homme une tribune dans laquelle il allait pouvoir diffuser sa judéophobie violente ? »
Les Quakers in Britain ont répondu :
« Après plus ample considération, cette réservation à la Quaker Meeting House d’Édimbourg a été annulée. »
« Les Quakers in Britain croient que toutes les formes de racisme, y compris l’antisémitisme, sont des barrières à la construction d’un monde juste et en paix »,
a ajouté l’organisation en adoptant clairement la caractérisation par Lampert de l’événement comme étant une plate-forme potentielle de « judéophobie ».
After further consideration this booking at Edinburgh Quaker Meeting House has been cancelled.
Quakers in Britain believe that all forms of racism, including antisemitism, are barriers to building a just and peaceful world.
— Quakers in Britain (@BritishQuakers) September 27, 2022
David Miller a été la cible d’une campagne soutenue de mensonges et de calomnies de la part du gouvernement britannique, des lobbyistes israéliens et des médias qui leur témoignaient leur sympathie et décrivaient David Miller comme un sectaire antijuif en raison de ses recherches sur le lobby israélien et ses critiques à l’égard du sionisme, l’idéologie de l’État raciste d’Israël.
Son employeur de l’époque, l’Université de Bristol, a commandité deux enquêtes indépendantes sur le torrent d’allégations contre David Miller. Ces deux enquêtes, menées par un important avocat britannique, l’ont complètement innocenté.
Le premier rapport de l’avocat déclare sans ambiguïté qu’« il ne doit en aucun cas être répondu contre le professeur Miller », pour quelque motif supposé d’antisémitisme que ce soit.
« Le professeur Miller aurait du mal à faire la distinction entre le sionisme et Israël, d’une part, et le peuple juif, de l’autre »,
ajoute le rapport.
L’avocat concluait que
« la conduite de David Miller ne pouvait raisonnablement pas être catégorisée comme une méconduite ».
Le deuxième enquête, commanditée afin d’examiner des plaintes à propos d’un discours public de David Miller en février 2021 de même qu’à propos d’un article qu’il avait rédigé pour The Electronic Intifada le même mois, déboucha sur des conclusions identiques.
L’avocat déclara :
« Formellement, il ne doit en aucun cas être répondu contre le professeur Miller », qui n’a aucunement « dépassé les limites d’un discours inacceptable ».
Même si ces enquêtes ont vengé David Miller, l’Université de Bristol – intimidée bien évidemment par l’incessante campagne de calomnie du lobby israéliens – l’a de toute façon licencié en octobre dernier.
« Se faire calomnier par les quakers est d’un bas niveau »
a déclaré David Miller vendredi à l’adresse de The Electronic Intifada.
Et d’ajouter que c’est
« manifestement le cas que des allégations d’‘antisémitisme’ ont été utilisées comme armes. Mes recherches montrent qu’il s’agit d’une stratégie consciemment planifiée par l’État d’Israël, nourrie goutte à goutte par le biais de ses avoirs et agents au sein du mouvement sioniste. »
La réponse des Quakers in Britain
The Electronic Intifada a demandé aux Quakers in Britain d’expliquer la base factuelle de leur acceptation des calomnies de Nicole Lampert et de l’annulation de la réservation pour la soirée de David Miller à Édimbourg.
L’organisation avait-elle reçu quelque information étrangère au domaine public qui aurait étayé les calomnies et mensonges déjà infirmés contre David Miller ? L’organisation croit-elle que critiquer Israël et le sionisme soit de l’antisémitisme ?
Votre serviteur avait espéré que les Quakers in Britain seraient restés fidèles à leur credo affirmé consistant à « dire la vérité à tous moments, y compris à l’adresse de personnes en position de pouvoir ».
Sur ce plan, la réponse de l’organisation, adressée par courriel jeudi à The Electronic Intifada, a été décevante.
« Les Quakers in Britain ne croient pas que la critique d’Israël, de sa politique, de ses mesures, de ses pratiques et de son idéologie politique soit antisémite »,
a écrit l’organisation.
« Bien sûr, nous avons critiqué les actions du gouvernement israélien en plusieurs occasions, lorsque nous croyons que ses actions nuisent à la possibilité d’une paix durable. »
Mais les Quakers in Britain ne veulent pas placer des limites sévères à l’expression de la vérité, de façon à ne pas offenser les puissants – dans le cas présent, Israël et ses groupes de pression.
À en juger par leur réponse, les Quakers in Britain ne reconnaissent même pas qu’un tel lobby existe. Peut-être l’organisation croit-elle que reconnaître sa réalité va l’exposer à des accusations d’antisémitisme ?
« Quand nous critiquons, c’est précisément au gouvernement israélien que nous nous adressons. Nous prenons soin de ne pas utiliser ni faire des allusions à des expressions qui déshumanisent les juifs »,
a affirmé l’organisation.
« Notre toute première préoccupation quant à l’événement d’Édimbourg était la façon dont le matériel potentiel utilisait des expressions comme ‘transformer en armes des allégations d’antisémitisme’ et ‘faux outrage’. Nous croyons qu’utiliser des expressions de ce genre crée un obstacle au dialogue, qui est essentiel pour la paix. »
Les Quakers in Britain ont affirmé que
« la paix entre la Palestine et Israël ne sera trouvée qu’à travers un dialogue étayé par les principes du droit international » et que, « dans le dialogue, le choix de vos mots est d’une grande importance ».
Mais les Quakers in Britain n’ont pas mis le doigt sur la moindre « expression déshumanisante contre les juifs » dans le matériel promotionnel de l’événement de David Miller à Édimbourg, de sorte qu’il s’avère que ce qu’ils disent, c’est que ne serait-ce qu’essayer de dénoncer et contester des allégations d’antisémitisme israéliennes ou du lobby israélien est déjà antisémite en soi.
Ergoter autour de quelques expressions dans l’annonce de l’événement – qui nulle part ne mentionne les juifs – n’est en fait qu’une tentative rétroactive des Quakers in Britain en vue de justifier une réaction excessive mue par la panique et dénuée de principe à ce qui ne peut être décrit que comme un faux outrage émanant d’opposants aux droits palestiniens.
En fin de compte, les Quakers in Britain ont confirmé qu’ils avaient
« conseillé la Quaker Meeting House d’Édimbourg de reporter la réservation et ils croient toujours que la chose est correcte ».
Claquer la porte sur les Palestiniens
Au lieu de réfléchir honnêtement à leurs actions en écoutant le sage conseil de leurs homologues de l’AFSD et en faisant amende honorable pour leur erreur, les dirigeants des Quakers in Britain ont surenchéri sur leur complicité dans une campagne de calomnie d’Israël et de son lobby en vue de réduire au silence les Palestiniens et leurs sympathisants.
Cette lâcheté peut acheter la « paix » des Quakers in Britain avec le lobby pro-israélien, mais elle claque la porte au visage des Palestiniens. Elle ne fera pas la promotion du « dialogue » que prétendent chercher les Quakers of Britain, parce que le dialogue ne peut naître d’une fondation de mensonges.
En effet, comme l’a écrit l’AFSC à The Electronic Intifada,
« le dialogue et les lois internationales ont été distordus et utilisés pour maintenir des décennies durant un statu quo injuste en Palestine et en Israël ».
« À la lumière de la reconnaissance croissante des réalités de l’apartheid affrontées par les Palestiniens, comprendre et affronter les déséquilibres de pouvoir et le besoin de changement structurel via des actions qui vont au-delà du dialogue est vital pour la construction de la paix »,
a déclaré l’AFSC.
« Et ceci inclut d’ouvrir des espaces à cet effet et pour écouter les voix qui nous rendent mal à l’aise. »
« À un moment ou l’autre, des organisations comme les Quakers in Britain devront décider entre leur poursuite déclarée de « l’égalité, la paix, la vérité, la justice et la simplicité » d’une part, et s’habituer à fournir une couverture au nettoyage ethnique en cours actuellement et, en effet, au génocide rampant des Palestiniens, d’autre part »,
a déclaré David Miller.
« Il n’y a pas de voie intermédiaire. Le crime de l’occupation de la Palestine ne peut être résolu par une approche « équilibrée » de la relation entre l’oppresseur et l’opprimé. »
L’AFSC et David Miller ont raison. Blablater autour du « dialogue » tout en restant assis sur la clôture ne trompe personne et ne sert que l’oppresseur.
L’annulation de la soirée de David Miller à la Meeting House d’Édimbourg par les Quakers in Britain est une injustice faite à David Miller. Mais c’est bien plus que cela.
C’est une profonde et cinglante trahison à l’égard de tous les Palestiniens et de la camaraderie et de la solidarité que tant de Quakers ont partagées avec eux pendant près de 80 ans.
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
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Publié le 30 septembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine