L’UE ignore la décision de la Cour concernant le droit de boycotter Israël

Dans son verdict – rendu en juin de cette année – la Cour européenne des droits de l’homme défendait explicitement les droits des activistes de la campagne à lancer un appel en vue de boycotter Israël.
Une lettre de Von Schnurbein, adressée à l’auteur de l’article, ne fait absolument pas mention de la décision de cette Cour.

La haute fonctionnaire de l’UE Katharina von Schnurbein a calomnié les activistes des campagnes pour le boycott d’Israël. (Photo : Frank Hoermann Sven Simon)

David Cronin, 29 octobre 2020

L’empressement de Donald Trump à vouloir faire plaisir à Israël est obscène, même s’il a quelque chose d’amusant.

Par moments, il a été impossible de ne pas découvrir avec un mélange d’horreur et d’amusement la façon dont le président bousculait en tous sens les conventions de la diplomatie.

En 2017, Trump admettait qu’il se moquait bien de savoir s’il y aurait une solution à un seul ou à deux États, et il lâchait cette remarque stupide : « J’aimerai celle qui plaira aux deux parties. »

L’année suivante, il se vantait d’avoir réduit les coûts du déménagement de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.

Mais qu’importe que Trump traite les résolutions de l’ONU comme du papier WC, il a toujours eu un œil pour les marchandages immobiliers.

Et, cette fois, Trump s’est demandé si Joe Biden aurait été capable d’arranger un pacte de « normalisation » entre Israël et le Soudan. En même temps qu’il tentait de faire passer cet arrangement pour un triomphe de la paix, Trump cherchait (sans succès, toutefois, dans ce cas) d’asséner quelques coups de poing à « Joe l’Endormi ».

Un parti pris

Pour des raisons purement égoïstes, je souhaiterais que les décideurs politiques de l’UE fassent preuve de la même forfanterie que celle de Trump. Alors que ce dernier me fait pouffer de rire, la conduite des premiers a fait de moi un incorrigible grincheux.

La semaine dernière, on rapportait que Frontex, l’agence de l’UE pour la gestion des frontières, faisait équipe avec l’industrie israélienne de l’armement. Le principal exportateur d’armes israélien, Elbit Systems, et un partenariat impliquant Israel Aerospace Industries et la multinationale Airbus, s’est vu accorder un contrat d’une valeur totale de quelque 118 millions de USD par l’agence.

Des avions de combat testés sur des Palestiniens seront plus que vraisemblablement utilisés pour contribuer à empêcher les réfugiés d’atteindre les rivages de l’Europe – encore qu’il y ait un détail que vous avez loupé, si vous avez lu l’histoire de ces contrats telle que l’a publiée The Guardian.

Le parti pris manifeste des autorités et des médias pour Israël rend plus urgente encore la cause du boycott des marchandises et institutions israéliennes.

L’ennui, c’est que ces mêmes autorités essaient activement de torpiller le boycott.

Durant l’été, j’ai adressé une plainte à Margaritis Schinas, l’un des vice-présidents de la Commission européenne.

Ma plainte portait principalement sur un discours peu remarqué mais significatif délivré par Schinas et dans lequel il prétendait que

« l’antisémitisme revêt de nombreuses formes, allant de l’antisionisme à la négation et la distorsion de l’Holocauste ; d’un commentaire discriminatoire à l’égard d’un collègue sur le lieu de travail à de graves menaces contre la vie d’une personne ».

Je demandais que Schinas explique pourquoi il assimilait le sionisme, une idéologie politique développée à la fin du 19e siècle, au judaïsme, une religion bien plus ancienne. Je lui rappelais que le sionisme avait été utilisé dans les années 1940 comme prétexte à la dépossession massive des Palestiniens et que, de nos jours, il soutient un système de racisme à l’égard des Palestiniens.

Un discours protégé

De plus, j’attirais l’attention de Schinas sur le fait – après qu’il a délivré le discours en question – qu’une importante décision a été prise par la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans son verdict – rendu en juin de cette année – la cour défendait explicitement les droits des activistes de la campagne à lancer un appel en vue de boycotter Israël.

La cour affirmait même que les discours concernant le boycott d’Israël requéraient « un degré élevé de protection ».

Je prétendais que, si la décision de la cour était prise au sérieux, la critique envers l’idéologie de l’État d’Israël – le sionisme – devait dès lors être considérée comme un libre discours protégé.

Schinas n’a pas répondu en personne à ma plainte. Il en a chargé Katharina von Schnurbein, la coordinatrice de l’UE contre l’antisémitisme.

Von Schnurbein, qui a calomnié les activistes en faveur d’un boycott d’Israël, n’a en fait pas traité les points que j’avais épinglés. Sa lettre – reprise ci-dessous – ne faisait absolument pas mention de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme.

Elle faisait plutôt allusion à la façon dont l’UE adopte une définition de l’antisémitisme approuvée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Elle oubliait d’ajouter que cette définition, en fait, a été rédigée par des groupes de pression pro-israéliens et elle s’abstenait de dire comment ces derniers l’utilisaient dans l’intention de tenter d’empêcher qu’Israël soit tenu de rendre des comptes. (*)

Von Schnurbein renvoyait également à un sondage d’opinion de 2018 publié par l’Agence des droits fondamentaux de l’UE. Selon ses dires,

« l’étude met en exergue le fait que l’antisémitisme concernant Israël est la forme la plus commune de discrimination et d’abus antisémites auxquels sont confrontés les Juifs européens ».

Quoi qu’en pense von Schnurbein, les sondages d’opinion ne sont en aucun cas un substitut des décisions de la cour.

L’UE s’apprête à incorporer la Convention européenne des droits de l’homme dans ses propres règlements.

La Cour européenne des droits de l’homme – qui est indépendante de l’Union européenne – supervisera le respect de cette convention. Si les représentants de l’UE pensent réellement ce qu’ils disent à propos de leur désir de sauvegarder une convention des droits de l’homme, ils doivent dès lors respecter les décisions de la cour.

Les conclusions d’un sondage d’opinion ne leur fournissent pas un alibi pour ignorer des jugements qu’ils n’apprécient pas.

La promotion de l’ignorance

De plus, il est permis de douter de l’objectivité de l’équipe qui a dirigé l’étude de 2018.

Son directeur de projet était Jonathan Boyd, de l’Institut londonien de recherche sur la politique juive. Boyd est un partisan fanatique d’Israël et lui non plus ne fait pas la distinction entre le sionisme et le judaïsme.

Dans la rubrique qu’il tient dans The Jewish Chronicle, Boyd a médité sur la façon dont il est possible d’inculquer aux jeunes Juifs une dévotion envers Israël. Avant les élections générales de l’an dernier en Grande-Bretagne, il avait prétendu que le Labour Party connaissait un important problème de sectarisme antijuif, même si ce problème a en réalité été inventé afin de saper la tête du parti dirigé à l’époque par Jeremy Corbyn.

Cela dit, le sondage de 2018 ne devrait pas être ignoré.

L’une de ses conclusions était que 43 % des Juifs qui y ont participé ont ressenti qu’ils portaient le blâme pour les actions d’Israël, soit à tout moment, soit souvent. Une autre tranche de 36 pour 100 estimaient qu’ils étaient occasionnellement blâmés.

Ici, le message est clair : l’oppression des Palestiniens par Israël peut également nuire aux Juifs européens.

Si les autorités européennes étaient vraiment aussi préoccupées par l’antisémitisme qu’elles ne le prétendent, elles mettraient dans ce cas la pression sur Israël afin qu’il mette un terme à l’oppression et tout le monde pourrait ainsi respirer plus facilement.

Elles pourraient combiner ce travail avec une meilleure conscientisation de ce que les Juifs du monde entier ne doivent pas être tenus pour responsables de ce que fait Israël.

En réalité, l’UE fait exactement le contraire.

En achetant des armes à Israël – comme Frontex vient précisément de le faire – les autorités européennes rendent l’oppression lucrative, contribuant de la sorte à se persistance. Et, en traitant le sionisme comme s’il n’était pas possible de la distinguer du judaïsme, elles font en outre la promotion de l’ignorance.

(*) La réponse de Katharina von Schnurbein

Cher M. Cronin,

Merci pour votre courriel du 27 juillet 2020 adressé au vice-président Margaritis Schinas, responsable de la promotion de notre mode de vie européen, à propos des remarques faites par le vice-président à l’occasion du 2e groupe de travail de la Commission sur l’antisémitisme, en décembre 2019. En ma qualité de coordinatrice de la Commission de la lutte contre l’antisémitisme et de promotion de la vie juive, le vice-président m’a demandé de vous répondre en son nom.

Dans ses remarques, le vice-président Schinas faisait allusion au fait que l’antisémitisme pouvait se dissimuler derrière l’antisionisme, rappelant que « l’antisémitisme revêt de nombreuses formes, allant de l’antisionisme à la négation et la distorsion de l’Holocauste ; d’un commentaire discriminatoire à l’égard d’un collègue sur le lieu de travail à de graves menaces contre la vie d’une personne ».

La Commission européenne s’engage pleinement à sauvegarder les droits fondamentaux de toutes les personnes vivant dans l’UE, y compris les Européens juifs. Étant donné le discours antisémite et la violence antisémite, la Commission européenne coordonne étroitement ses actions avec un large éventail de communautés juives, d’organisations de la société civile et d’États membres de l’UE afin de garantir la sécurité des lieux et citoyens juifs et de faire reculer l’antisémitisme.

Pour une approche complète en vue de contrer toute forme de racisme et de discrimination, il est essentiel de reconnaître toutes leurs formes. La Commission considère la perspective des victimes comme un point de départ important en vue de contrer toutes les formes de racisme et de haine.

Les diverses formes d’antisémitisme telles que les subissent les Européens juifs sont représentées dans les exemples de la définition (1) juridiquement non contraignante de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH), que la Commission utilise comme base directrice dans son travail et qui a été adoptée par 18 États membres de l’UE. Selon l’AIMH, les manifestations d’antisémitisme « peuvent inclure le ciblage de l’État d’Israël, conçu en tant que collectivité juive. Toutefois, la critique à l’égard d’Israël, semblable à celle formulée à l’égard de tout autre pays, ne peut être considérée comme antisémite. »

La définition de l’AIMH, y compris ses exemples, est également en ligne avec les conclusions de l’étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE sur les expériences et perceptions par les juifs de l’antisémitisme. En particulier, l’étude met en exergue le fait que l’antisémitisme concernant Israël est la forme la plus commune de discrimination et d’abus antisémites auxquels sont confrontés les Juifs européens. (2)

J’espère que les explications ci-dessus répondront à vos préoccupations.

Bien sincèrement,

(e-signature)
Katharina VON SCHNURBEIN

Notes
(1) https://www.holocaustremembrance.com/resources/working-definitions-charters/working-definition-antisemitism
(2) https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2018-experiences-and-perceptions-of-antisemitism-survey_en.pdf


Publié le 29 octobre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ »arrestation citoyenne » à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

 

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